COVID-19
Publié le 03 jan 2023Lecture 9 min
Confinement et maladies chroniques de l’enfant et de l’adolescent
Gianpaolo DE FILIPPO, Centre de référence des maladies rares endocriniennes de la croissance et du développement, hôpital Robert-Debré (AP-HP), Paris ; Groupe de recherche en médecine et santé des adolescents (GRMSA)
Fin 2019, l’émergence d’un nouveau coronavirus responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2) à Wuhan (Chine) a entraîné une pandémie mondiale et une crise sanitaire internationale sans précédent. Depuis lors, des mesures exceptionnelles ont été prises par les gouvernements du monde entier, guidés par les autorités de santé publique, afin de ralentir la propagation du virus et d’éviter l’engorgement des systèmes de santé. Le confinement de la population a comporté un changement radical du quotidien avec des conséquences directes et indirectes sur l’offre de soins. La population pédiatrique n’a pas été épargnée par ce phénomène
La crise sanitaire due à la pandémie liée au SARS-CoV-2 a imposé une réorganisation majeure de l’offre de soins. L’accès aux soins, en particulier pour les enfants atteints de maladies chroniques et/ou en situation d’handicap, et plus généralement, le suivi des actes de prévention comme les vaccinations, ont pu être décalés, voire non réalisés. Au-delà des effets directs sur l’offre de soins, l’impact général sur le vécu quotidien de la population a été considérable.
Le confinement et les enfants
Dans un premier temps, l’attention du corps médical a été monopolisée par les manifestations respiratoires graves chez les adultes, observant le fait que les enfants étaient en grande partie épargnés par les effets de la maladie, indépendamment de la présence de maladies chroniques préexistantes.
Mais, si l’épidémie à Covid-19 semblait épargner les plus jeunes à la fois en termes de prévalence et de gravité, la crise sanitaire et sociale qu’elle a entraîné, elle, n’a pas été sans conséquences sur leur santé. La France a vécu trois périodes de confinement pendant la pandémie liée au SARS-CoV-2 :
1- le premier du 19 mars au 12 mai 2020,
2- le deuxième, du 3 juin au 7 octobre 2020,
3- puis du 7 décembre au 30 avril 2021, avec entre autres dans les mesures restrictives, la fermeture des écoles. Cette mesure a concerné plusieurs millions d’élèves, qui ont été confinés pendant plusieurs semaines.
Déjà pendant la première période, le Haut Conseil de santé publique (HCSP) a rendu un avis le 17 avril 2020 spécialement dédié à « la santé des enfants, l’épidémie de Covid-19 et ses suites », soulignant que le confinement prolongé constituait en lui-même un risque pour la santé et le bien-être des enfants(1). Cet avis du HCSP a permis de dresser une typologie des effets du confinement sur la santé des enfants et des jeunes. Les conséquences délétères directes observées suite au confinement ont pu concerner plusieurs dimensions de la santé de l’enfant : troubles psychologiques et troubles de santé mentale, maltraitance, accidents domestiques, effets de la sédentarité, exposition accrue aux écrans, troubles du sommeil.
Tous les enfants, même les plus jeunes, ont été confrontés à la perception de l’épidémie virale, l’existence même du confinement leur rappelant au quotidien l’exceptionnalité de la période historique. Ce vécu a, par exemple, bien été représenté par des dessins réalisés par des enfants (atteints de maladies chroniques et suivi dans les centres hospitaliers ou non).
« 51 % des patients atteints de pathologie chroniqueont renoncé à au moins une consultation »
De nombreuses études ont focalisé leur attention sur les effets psychologiques du confinement et de la pandémie en général. Pendant la pandémie liée à la Covid-19, les enfants et les adolescents ont été soumis à des niveaux de stress considérables. CONFADO, une étude coordonnée par Santé Publique France (en partenariat avec l’hôpital Avicenne de Bobigny, l’université Sorbonne Paris Nord, l’Inserm, l’université de Tours, CN2R, l’EHESS, le Lab School Network, le CNRS et avec le soutien du Fonds FHF), a eu pour objectif d’étudier le vécu du confinement lié à l’épidémie de Covid-19. Les résultats préliminaires ont montré que les enfants et les adolescents qui ont ressenti davantage de détresse sont ceux issus des familles les plus fragilisées. La détresse psychologique était également influencée par l’infection et l’hospitalisation d’un proche suite au Covid-19(3). Dans ce contexte, on imagine facilement comment la présence d’une maladie chronique a pu amplifier l’impact : la peur d’être infecté par le virus, avec des conséquences plus importantes du fait des comorbidités, mais aussi la peur de ne pas avoir accès aux structures de soins, que ce soit pour un événement aigu (peur permanente), ou pour les contrôles habituels, pour le renouvellement des ordonnances, l’approvisionnement des outils thérapeutiques (par exemple, pour les malades nécessitant une alimentation parentérale). Les données issues d’un sondage réalisé pendant la première période de confinement ont montré que 51 % des patients atteints de pathologie chronique ont renoncé à au moins une consultation médicale en ville ou à l’hôpital(4).
Diabète, asthme et confinement
Pour les aspects spécifiques du diabète, l’emploi des nouvelles technologies a permis de mieux gérer l’impact négatif du confinement : en particulier, les appareils de contrôle continu de la glycémie, avec la possibilité d’un téléchargement et donc l’opportunité pour le diabétologue d’avoir une visibilité continue sur l’équilibre glycémique, ont été d’une grande utilité. On remarque par ailleurs que des habitudes « obligées » pendant le confinement ont perduré après, en considération de leur valeur ajoutée : par exemple, le nombre de téléconsultations a sensiblement augmenté pendant le confinement (comme c’était imaginable), mais aussi sur la période qui a suivi, témoignant d’un changement des pratiques. Différentes observations publiées dans la littérature font même état d’une amélioration du contrôle métabolique pendant le confinement(5).
Les mêmes effets ont été observés chez les enfants atteints d’asthme, avec une amélioration du contrôle. Effets en partie liés à la diminution des facteurs environnementaux déclenchant les crises (diminution de la pollution pendant la période du confinement, distanciation sociale, lavage des mains), mais aussi au temps plus important que les parents ont pu consacrer à leurs enfants (télétravail, donc même temps de travail mais avec le trajet en moins), expliquant pourquoi ce phénomène était particulièrement évident chez les enfants et les adolescents qui avaient un contrôle déjà satisfaisant. Nous retournerons sur cet argument à la fin de cet article, avec une petite note d’optimisme...
« Les cas d’acidocétose sévère ont augmenté »
Le discours est différent pour les décompensations aiguës, respiratoires (pour l’asthme) ou métabolique (pour le diabète) : les cas d’acidocétose sévère ont augmenté et les observations dans la littérature sont majoritairement concordantes sur le fait que l’infection à SARS- CoV-2 à elle toute seule ne suffit pas à expliquer cet accroissement. Les changements de style de vie, avec l’augmentation des conduites exposant à la prise de poids, comme nous le verrons plus avant dans l’article, ont sûrement été un facteur prédisposant à la décompensation d’un diabète déjà existant, et cela est vrai même pour le diabète de type 2. Mais le phénomène est aussi lié à la réticence à se rendre aux urgences dans un contexte épidémique jusqu’au moment où la situation devenait franchement préoccupante. Déjà en mars 2020, au tout début du confinement, l’association Aide aux Jeunes Diabétiques (AJD) avait émis un communiqué de presse alertant sur le danger d’un diagnostic tardif, lié à la limitation des rendez-vous engendrant un retard dans les consultations avec un risque majeur d’acidocétose au diagnostic(6). Une étude multicentrique internationale a comparé la prévalence de l’acidocétose pendant la pandémie de SRAS-CoV-2 de 2020 à 2021 avec les estimations calculées à partir de la période prépandémique entre 2006 et 2019. La prévalence observée de l’ACD au moment du diagnostic de diabète de type 1 (DT1) en 2020 et 2021 était de 39 %, significativement supérieure à la prévalence estimée de 33 % pour les deux années précédentes, sans différences significatives selon le sexe ou l’âge(7). Une étude allemande a fait état d’un taux d’acidocétoses inaugurales de 44,7 % pendant le premier trimestre de la première vague de la Covid, vs 24,5 % en 2019 et 24,1 % en 2018(8). Les données préliminaires françaises vont dans le même sens avec surtout un tableau clinique plus sévère au moment de la présentation (Bismuth E, communication personnelle).
Obésité et confinement
Un chapitre à part doit être réservé à l’obésité. Les politiques de confinement liées à la pandémie, la fermeture des écoles d’abord et la réduction significative des heures de cours en présentiel ensuite, n’ont fait qu’augmenter les facteurs de risque environnementaux déjà connus : l’accès permanent aux produits alimentaires présents à la maison, une limitation obligée de l’activité physique (temps limité pour les sorties, fermetures des salles de sport, des piscines, des équipements sportifs), avec une multiplication significative des heures passées devant les écrans. L’ensemble de ces éléments ont été observés pratiquement dans tous les pays soumis à un confinement. Une étude épidémiologique chinoise montre clairement une corrélation inverse entre l’augmentation de l’obésité infantile pendant la période de la pandémie, les heures de sommeil et l’activité physique : la réduction de la durée du sommeil et de l’activité physique étaient clairement associées à une augmentation de l’IMC ; en même temps, on a assisté à une augmentation significative du temps passé devant les écrans(9).
« Les politiques de confinement n’ont fait qu’accroître les facteurs de risque environnementaux déjà connus »
Géographiquement plus proches de chez nous, les chercheurs d’une équipe polonaise ont fait un constat intéressant : en dépit des heures de sommeil qui semblaient – contrairement aux autres observations – augmenter pendant le confinement, la variable qui ressortait comme liée à l’augmentation de l’excédent pondéral était le temps d’exposition aux écrans.
En particulier, pendant la période de confinement, l’excès de poids augmentait particulièrement chez les enfants qui étaient déjà en situation d’obésité. L’activité physique a diminué pour des raisons évidentes liées au confinement. La proportion de sujets qui dormaient plus de 8 heures par nuit a augmenté, passant de 46,9 % à 60,4 %. Le nombre d’enfants et d’adolescents qui utilisaient les écrans pendant plus de 5 heures par jour est passé de 14,7 % à 46,9 %. Il est intéressant de remarquer que les habitudes alimentaires n’ont pas semblé changer. Il s’agissait donc d’une augmentation du surpoids directement liée au « déplacement » du temps dédié à l’activité physique vers le temps dédié aux écrans(10).
Après tant de conséquences négatives, on retrouve quand même une note d’optimisme dans une observation de 2022 qui a focalisé son attention sur le fait que les mères passaient plus de temps avec leurs enfants qui étaient atteints d’une maladie chronique (asthme, DT1, cancer) en remarquant comme dans certaines circonstances que les parents et les enfants ont eu l’occasion de se retrouver grâce au confinement(11).
Conclusion
La période de confinement a représenté un réel défi pour toute la population, adultes et enfants, avec des conséquences psychologiques encore plus importantes dans un contexte de maladie chronique. L’offre de soins a eu besoin de s’adapter rapidement, avec l’emploi de la télémédecine qui a bénéficié d’une impulsion extrêmement significative, avec des pratiques qui ont continué et se sont perfectionnés après la fin des périodes de confinement.
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