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Accidents

Publié le 29 sep 2020Lecture 9 min

Morsures de chien : quand demander un avis chirurgical ?

Anne LE TOUZE, Aurélien BINET, Chirurgie plastique pédiatrique, service de chirurgie viscérale et plastique pédiatrique, hôpital Gatien de Clocheville, CHRU de Tours
Morsures de chien

Les morsures font partie des accidents fréquents chez l’enfant. Les conséquences fonctionnelles, esthétiques et psychologiques sont souvent lourdes. Aussi, s’agit-il d’un véritable problème de santé publique. La prévention de ces accidents passe par l’éducation des enfants, des propriétaires de chien et des animaux domestiques. Fréquentes au visage, ces plaies par morsure de chien nécessitent une réparation de bonne qualité, et ce, malgré les risques infectieux.

Épidémiologie Les morsures de chien chez l’enfant sont fréquentes. L’Institut de veille sanitaire a réalisé une enquête multicentrique sur les facteurs de gravité des morsures vues aux urgences(1). Leur fréquence élevée est liée à une surpopulation canine en France par rapport aux autres pays européens : un chien pour six habitants. Il s’agit le plus souvent d’un animal connu de l’enfant, avec lequel il a l’habitude de jouer, mais aussi parfois de chahuter et de commettre des « sévices ». Dans 60 % des cas, il s’agit d’un chien berger allemand ou d’un « bâtard » de berger allemand qui sont aussi les chiens les plus communément rencontrés dans la population canine, puis viennent les chiens de chasse, les cockers et loin derrière les chiens d’attaque dits « chiens de catégorie 1 ou 2 » selon la réglementation. Cela correspond à peu près à la répartition de la population canine : il n’est donc probablement pas exact de dire que les bergers mordent plus que les autres... La morsure est un accident saisonnier, les trois quarts surviennent en l’espace de 6 mois, d’avril à septembre. À cette saison, les enfants jouent beaucoup dehors. On note une recrudescence les soirs d’été par temps orageux (tableau 1). Les décès par morsure animale sont exceptionnels chez l’enfant en France, mais beaucoup plus fréquents aux États-Unis. Les enfants vus aux urgences pour morsure sont traités en externe dans 80 % des cas. Vingt pour cent des enfants sont hospitalisés en chirurgie. Les localisations les plus fréquentes en pédiatrie sont la face et les mains, l’enfant jouant avec son animal familier comme avec une peluche vivante (tableau 2). Les différents aspects cliniques Les aspects cliniques sont très variables allant de la simple égratignure ou coup de croc à des délabrements très importants avec perte de substance ou amputation. La gravité des lésions a été classée en quatre stades figurant dans le tableau 3. Le bilan est primordial et doit être précis : l’interrogatoire doit recueillir les circonstances, la taille et la race du chien. L’examen clinique doit être attentif et rechercher des lésions associées et éven- tuellement moins évidentes que la plaie cutanée : atteinte d’organes nobles (voies lacrymales, canal de Sténon, parotide, nerfs, tendons), et des fractures associées. Ainsi, un stade II au premier abord peut être un stade IV. La prise en charge aux urgences Si l’examen des lésions est indispensable, un examen complet est nécessaire. Il faut également s’enquérir du statut vaccinal du patient. La ou les plaies doivent être lavées abondamment à la polyvidone à laquelle on peut associer de l’eau oxygénée. Les plaies de stades I et II pourront être prises en charge aux urgences et le nettoyage doit être méticuleux. Si cette étape s’avère difficile notam- ment pour les plaies de stade II, cela peut justifier une prise en charge au bloc opératoire sous anesthésie générale. L’antibiothérapie doit être initiée aux urgences, en raison du risque septique important(2). Le consensus préconise amoxycilline/acide clavulanique. Pour les enfants allergiques aux βlactamines, il est recommandé de prescrire des macrolides. La prescription d’antalgiques doit être systématique Pour que les soins se passent dans de bonnes conditions, il convient de rassurer l’enfant. L’attitude des soignants doit évidemment être adaptée à l’âge du patient. La morsure est toujours un accident traumatisant pour l’enfant et les parents : subit, inattendu et parfois violent, dans 70 % des cas ; le fait d’un chien connu de l’enfant et avec lequel il a l’habitude de jouer. On pourra conseiller ou proposer aux parents une prise en charge psychologique dans les suites de la morsure(3) : presque 3/4 des enfants présentent des symptômes psychologiques post-traumatiques (agressivité, difficultés de séparation avec le chien, troubles du sommeil, tristesse, repli sur soi, angoisse d’avoir été « mangé » par le chien, agitation, culpabilité, etc.). Un parent sur deux a des difficultés à prendre une décision vis-à-vis du chien. Si les soins doivent être réalisés aux urgences, l’administration de mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote (MEOPA) est très efficace. Néanmoins, la localisation privilégiée des lésions à la face complique l’administration du gaz. Il peut être intéressant de commencer l’administration au masque de façon classique puis de prendre le relais par un dispositif type « lunettes à oxygène », libérant ainsi la région péribuccale et la racine du nez. Parallèlement à l’inhalation de MEOPA, des stimulations sensorielles : musique, histoires, odeurs, goût (attention cependant à laisser à jeun en cas d’échec et de nécessité d’une anesthésie générale), massages, hypnose conversationnelle, méthodes de distraction (tablette, bulles, etc.) peuvent faciliter la réalisation des soins. La présence des parents peut rassurer l’enfant à condition qu’ils le souhaitent et se sentent capables d’assister aux soins. Enfin, il est de notre responsabilité médicale d’informer les parents de la nécessité de faire examiner le chien mordeur par un vétérinaire. Les certificats vétérinaires doivent être portés au dossier médical du sujet mordu (article 232-1 du Code rural, décret 96-596 du 27 juin 1996 relatif à la lutte contre la rage). Plus récemment, une déclaration du chien « mordeur » doit être faite en mairie : le maire peut demander une évaluation comportementale du chien (loi n°2008-582 du 20 juin 2008 - art. 7). Il faut également en informer les parents, qui ont parfois du mal à entreprendre cette démarche lorsqu’il s’agit du chien de la famille. La réalisation de photographies est indispensable, d’une part pour suivre l’évolution, d’autre part, pour la réalisation d’expertises ultérieures (assurances, justice, etc.). Un certificat médical initial doit être rédigé de façon détaillée, car ces blessures donnent en général droit à réparation du préjudice par les assurances du propriétaire de l’animal. Si la rage est théoriquement éradiquée du territoire français, il faut néanmoins remettre les coordonnées du Centre antirabique de la région, seul habilité à répondre aux questions en cas de situation difficile et à entreprendre une sérothérapie ou une vaccination si besoin. Prise en charge chirurgicale immédiate Classiquement, il est préconisé de ne pas suturer les plaies par morsures animales ou de rapprocher les berges de façon lâche. Les morsures de l’enfant, nous l’avons vu, sont très fréquentes à la face et il semble difficile d’adopter cette attitude thérapeutique. En dehors des plaies de stade I, les plaies par morsure doivent être suturées. Ainsi, pour la plupart des équipes pédiatriques(4,5,9), une suture de bonne qualité doit être réalisée, comme pour toute plaie, mais sous certaines conditions (figures 1, 2 et 3).   Figure 1. Plaie de la face par morsure de chien Figure 2. Suture au bloc opératoire sous anesthésie générale Figure 3. Résultat à 1 an Les principes de la prise en charge chirurgicale sont : – suture précoce sauf si le risque rabique existe : en effet, plus le délai entre la morsure et la suture est long, plus le risque infectieux est important. De ce fait, la suture d’une morsure de chien, notamment à la face, est longtemps restée une urgence à prendre en charge même à une heure avancée de la nuit si les délais de jeûne l’exigeaient. Récemment, il a été montré que le fait de reporter une suture au lendemain n’accroît pas le risque infectieux, à condition de débuter l’antibiothérapie et de réaliser un pansement humide antiseptique(10). Cependant il semble que lorsque le siège de la plaie fait craindre l’atteinte d’un élément vasculo-nerveux ou canalaire à suturer, il est raisonnable de ne pas attendre pour réaliser ces sutures dans de bonnes conditions avant l’apparition de l’œdème périlésionnel ; – nettoyage abondant et en profondeur ; – parage de la plaie ; – antibiothérapie ; – contrôle systématique de la plaie à la 48e heure après la suture. Sous anesthésie générale ou anesthésie locale : dès que la plaie est suffisamment étendue pour justifier de nombreux points (l’appréciation est laissée au praticien), les soins sont réalisés sous anesthésie générale de façon à pratiquer un nettoyage dans de bonnes conditions : brossage, nettoyage dans les décollements sous-cutanés, etc. Prise en charge de la cicatrice : massages cicatriciels, gel de silicone, etc. Les gestes réalisés : – sur les lésions punctiformes, il faut se méfier des lésions profondes sous-jacentes (canaux lacrymaux, canal de Sténon, nerfs, gaines tendineuses, plaies articulaires, etc.) Il est donc important d’explorer ces plaies de petite taille si elles se trouvent en regard de zones à risque. Le risque infectieux est important en raison de la contamination sous-cutanée peu accessible au nettoyage, le risque cicatriciel est relativement faible, ces plaies ponctiformes ne seront donc pas suturées, on y apposera tout au plus une suture adhésive (strips) ; – les plaies simples seront prises en charge aux urgences ou au bloc opératoire, abondamment nettoyées et brossées puis suturées comme toute autre plaie avec des points séparés au fil non résorbable, retirés au 5e ou 6e jour sur la face, au 8e ou 10e jour ailleurs. Au niveau de la face, il faut être particulièrement attentif à aligner parfaitement un arc de cupidon, ou un bord libre palpébral ; – les lésions contuses, les déchirures, les plaies complexes sans grandes pertes de substance nécessitent un parage et une suture immédiate. Un drainage peut être nécessaire s’il existe des décollements importants (crins de Florence, lame, drainage aspiratif, etc.). Elles seront prises en charge au bloc opératoire ; – en cas de perte de substance, les indications de lambeaux ou de greffes sont exceptionnelles dans ce contexte septique. La cicatrisation dirigée a encore sa place dans ces situations et donne le plus souvent satisfaction (figures 4 et 5). Elles relèvent d’une prise en charge spécialisée au bloc opératoire ; – pour les délabrements, il est important de traiter l’urgence en réparant au maximum, mais en « restant raisonnable ». Il ne faut jamais perdre de vue le risque infectieux qui pourrait compromettre un lambeau qu’il faut savoir remettre à plus tard ou garder pour le stade de séquelles(11).  Figure 4. Perte de substance de la lèvre supérieure laissée en cicatrisation dirigée Figure 5. Résultat à 6 ans.  Complications et séquelles Les complications surviennent dans 5 à 10% des cas selon les séries. Il s’agit essentiellement d’infections ou d’œdème majeur postopératoire. Il faut noter que les authentiques surinfections (écoulement de pus franc par la cicatrice) sont observées dans la plupart des cas sur les patients qui n’ont pas été suturés au bloc opératoire sous anesthésie générale et sont donc très certainement en rapport avec un nettoyage insuffisant. L’œdème postopératoire nécessite une antibiothérapie par voie générale et une surveillance pluriquotidienne surtout à la face en raison du risque de cellulite de la face (figure 6). La surinfection justifie le lâchage de points et éventuellement un nettoyage sous anesthésie générale, voire un drainage. L’inflammation et l’hypertrophie cicatricielles sont fréquentes et ne seront considérées comme complications que si elles persistent au-delà du 3e mois.  Figure 6. Début de cellulite de la face nécessitant un lâchage de points de drainage Les séquelles ne pourront être évaluées qu’après 12 à 18 mois d’évolution cicatricielle et ce n’est qu’à ce terme que le certificat de consolidation demandé par les assurances pourra être rédigé. Il faut donc savoir ne pas se presser pour les reprises, utiliser tous les moyens de guidance cicatricielle à notre disposition. Il n’est pas non plus impératif d’attendre l’adolescence pour envisager les reprises cicatricielles comme cela est parfois préconisé, mais il faudra attendre que les phénomènes inflammatoires soient résorbés (figures 7 et 8) et insister sur la nécessité de soins cicatriciels post-opératoires pendant plusieurs mois. Il est parfois difficile sur le plan psychologique de faire patienter les enfants et leurs parents lorsque les séquelles sont importantes et notamment à la face. Figure 7. Séquelle de morsure de l'oreille chez une enfant de 8 ans Figure 8. Correction chirurgicale, résultat à 3 mois Conclusion Si un certain nombre de plaies par morsure de chien peuvent être prises en charge aux urgences, il ne faut pas hésiter à envisager une prise en charge chirurgicale pour les plaies complexes ou ayant une localisation à risque, ou pour des enfants agités et terrorisés. Le risque de séquelles, notamment pour les plaies de la face qui sont les plus fréquentes en pédiatrie, justifie une suture propre comme pour toute autre plaie, sous couvert d’une antibiothérapie et d’une surveillance clinique.

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