Publié le 19 mai 2021Lecture 7 min
La théorie de l’attachement : un modèle de compréhension des troubles du comportement de l’enfant
Romain DUGRAVIER, Centre de psychopathologie périnatale Boulevard Brune, IPB-CHSA, Paris Professeur associé, département de Psychologie, université du Québec, Montréal (Canada)
La théorie de l’attachement permet, en complément d’autres approches, de mieux comprendre et aborder les troubles du comportement de l’enfant. Romain Dugravier en trace les grandes lignes et les principaux modèles.
Les professionnels de l’enfance (médecins, enseignants, éducateurs, etc.) s’entendent sur le fait que les troubles du comportement en milieu scolaire sont une préoccupation majeure avec toujours plus d’enfants agités et perturbateurs, toujours plus jeunes. Pourtant aussi bien les travaux d’Eric Debarbieux sur leur vécu à l’école que les données recueillies par Steven Pinker nous permettent de nuancer cet état des lieux avec des enfants qui, très majoritairement apprécient l’école s’y sentent en sécurité, et se battent moins que les générations précédentes.
Les bases de la théorie de l’attachement
John Bowlby, qui s’est intéressé très tôt aux troubles du comportement a ainsi établi un lien entre séparation précoce répétée et/ou prolongée d’avec leur mère et conduites délinquentielles chez des adolescents qui semblent « dépourvus d’affects » (Bowlby, 1944). Il fonde ensuite la théorie de l’attachement en s’appuyant sur les découvertes de son époque issues de l’éthologie, des compétences précoces des nourrissons et de la cybernétique. Il postule que, dès la naissance, chaque enfant a besoin de former une relation privilégiée avec un adulte engagé dans une relation durable et qui se montre « plus fort et plus sage ».
Ainsi, l’enfant face à toute situation de stress cherche par tous les moyens (s’agripper, pleurer, crier, s’approcher) à obtenir la proximité des adultes qui lui sont chers (parents, etc.) et sont ainsi investis progressivement comme des figures d’attachement. Dès l’âge d’un an, on peut décrire différents styles d’attachement de l’enfant qui reflètent le mode de relation de celui-ci à ses figures d’attachement et comment celles-ci ont répondu à ses besoins (ce qu’on appelle le caregiving). On distingue, grâce à un protocole d’observation standardisé, la situation étrange, l’attachement sécure, l’attachement insécure évitant, l’attachement insécure ambivalent résistant et, enfin, l’attachement désorganisé.
Ces stratégies plus ou moins adaptatives sont ensuite considérées comme des facteurs de protection ou de vulnérabilité, et certaines sont corrélées avec une psychopathologie ultérieure. Plus tard, ces styles d’attachement contribuent à forger chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte ses représentations des relations interpersonnelles, l’estime qu’il a de lui-même mais aussi son aptitude à réguler ses émotions, à « mentaliser », c’est-à-dire à comprendre les états mentaux d’autrui comme les siens.
Cette théorie qui n’a pas vocation à reconsidérer toute la psychopathologie (ainsi, même si nombre d’enfants insécures présentent des troubles psychiques, il est rare que le fait d’avoir constitué un tel style d’attachement suffise en soi à engendrer un trouble ultérieur), paraît particulièrement intéressante pour comprendre certains troubles du comportement de l’enfant. La nosologie psychiatrique dans ce domaine nous semble encore imprécise et le terme usuel de trouble des conduites ne peut être satisfaisant.
L’agressivité physique chronique, un exemple de trouble du comportement
Richard Tremblay a proposé un modèle décrivant le développement des troubles du comportement en centrant ses études prospectives sur la question de l’agressivité physique répétée durant l’enfance. Il considère que les individus n’ont jamais autant recours à de tels comportements que durant la petite enfance, avec un pic entre 24 et 36 mois (autour de 80 % des enfants) et une décroissance ultérieure (entre 3 et 4 ans) qui se poursuivra, y compris à l’adolescence. Ce serait une réponse naturelle des très jeunes enfants lors de situations déplaisantes (colère, frustration).
Ces comportements régressent quand les enfants, pour la plupart, commencent à intérioriser des règles et des valeurs, apprennent à se contrôler et réguler leur colère, s’intègrent dans la vie de groupe (à l’école), développent une théorie de l’esprit, prennent mieux conscience de leurs émotions et de celles des autres, faisant donc plus preuve d’empathie. Ils apprennent ainsi des réponses plus adaptées socialement que le recours à l’agir. De surcroît, leur langage progresse, ce qui contribue à d’autres modes de relation. Seuls 3 % des enfants, majoritairement des garçons, restent anormalement agressifs physiquement au-delà de 6 ans, sans parvenir à réfréner leur impulsivité. Ceux-là, qui ont souvent des difficultés langagières, semblent mal comprendre les intentions, les affects d’autrui.
Si ce modèle n’intègre pas la théorie de l’attachement, il nous semble néanmoins que la sécurité de l’attachement peut être comprise comme un médiateur essentiel dans ces trajectoires de développement. Plusieurs études ont tenté de le démontrer.
Les études longitudinales
Différentes études prospectives ainsi qu’une métaanalyse ont montré que les enfants insécures ont plus de problèmes de comportement que les enfants sé - cures, et que c’est encore plus vrai chez les garçons. Les enfants insécures évitants sont particulièrement vulnérables, ainsi que ceux ayant un attachement désorganisé. Mais ceci serait vrai surtout quand les facteurs de vulnérabilité s’accumulent tels qu’une éducation coercitive, un environnement familial et social préjudiciable, un tempérament irritable de l’enfant.
Plusieurs mécanismes peuvent être associés à l’émergence de troubles du comportement
Une pérennisation des comportements
Certains comportements perturbateurs dans la petite enfance sont aussi des stratégies d’attachement, surtout quand d’autres stratégies potentiellement plus adaptatives ont échoué. Pleurer, crier, désobéir peuvent servir à réguler la proximité avec les parents ou l’enseignant. Ainsi, des comportements décrits comme « troubles des conduites » peuvent être considérés comme des stratégies pour obtenir l’attention ou la proximité du caregiver qui sinon ne répond pas. En d’autres termes, l’enfant a recours à des comportements générant du conflit pour réguler l’attention de son parent. Si ces comportements paraissent être adaptatifs dans un premier temps, ils favorisent des comportements tels que la coercition parentale, engendrant le développement d’interactions familiales perturbées et la probabilité ultérieure de troubles des conduites.
Les modèles de représentation des relations
Les enfants insécures développent une attitude méfiante ou dépendante vis-à-vis d’autrui, gênant l’établissement de rapports satisfaisants. Leurs représentations des relations aux autres sont caractérisées par la colère, le manque de confiance, la peur, l’anxiété qui se généraliseraient aux liens de l’enfant avec les institutions et les adultes qui les représentent (Fonagy et Target, 1997). Ces enfants, envahis par leurs émotions négatives, dans un monde vécu comme hostile, useraient de comportements agressifs réactionnels, conséquence d’un lien altéré avec les institutions, d’un défaut de mentalisation.
• L’exemple de l’attachement insécure évitant
L’enfant évitant apprend à ne pas demander d’aide pour ne pas risquer d’être déçu, considérant qu’il vaut mieux compter sur soimême. Pour cela, il a tendance à nier ses propres émotions et n’a donc guère accès à sa souffrance ou à celle des autres. Il peut alors développer un pattern hostile, antisocial en réponse à un caregiver rejetant, trop peu disponible. Cette colère, trop dangereuse à manifester auprès de ses parents, risque de s’exprimer de manière détournée à l’égard de ses camarades ou d’autres adultes (tels que les enseignants). Il aura aussi tendance à réagir de manière hostile si les sollicitations de l’adulte lui apparaissent trop intrusives.
Un mécanisme basé sur les difficultés de régulation émotionnelle apprise dans les échanges précoces parent-enfant
Les enfants sécures ont plus d’aptitude à réguler leurs émotions. N’ayant pas à s’inquiéter pour leur sécurité, ces enfants ont l’esprit plus libre pour tenter de résoudre les problèmes qui se présentent à eux. Ainsi, développent- ils des capacités représentationnelles plus élaborées, qui les aident à faire face à l’anxiété, la tristesse et la peur. Dans le jeu, il est fréquent que les enfants rejouent des scènes de la vie réelle comme pour tenter d’en résoudre les aspects préoccupants. Cette tentative de donner du sens à leur expérience et de la maîtriser leur permet d’atténuer les sentiments d’insécurité ressentis et de continuer à se développer sans encombre. Les enfants insécures se montrent toutefois moins efficaces dans leurs tentatives de résoudre les aspects problématiques de leur existence. En conséquence, leurs émotions négatives persistent et, à terme, leur accumulation conduit à des niveaux d’anxiété difficiles à gérer.
Conclusion
Ainsi, complémentaires d’autres approches, les concepts de la théorie de l’attachement nous permettent de mieux comprendre et aborder les comportements perturbateurs de l’enfant. Elle doit permettre de mener une réflexion sur les approches éducatives, en particulier en milieu scolaire.
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