Psycho-social
Publié le 06 mar 2017Lecture 8 min
Dysphorie de genre chez l’enfant et l’adolescent
Marie-France LE HEUZEY, Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, Paris
Souvent très présentes dans l’actualité médiatique, les questions soulevées par l’identité de genre se retrouvent autant dans la population adulte (artistes et sportif célèbres, films) que chez les enfants et adolescents. Les situations particulières des enfants « gender fluid », les approches variées de l’identité sexuelle en crèches et dans certaines écoles font l’objet de débats plus ou moins virulents. Au-delà des passions et des affaires « people », les médecins et les pédiatres en particulier doivent être sensibilisés aux situations de dysphorie de genre chez l’enfant et l’adolescent, et connaître les prises en charge possibles à la fois endocrino-pédiatrique et psychologique.
Ma première rencontre avec la dysphorie de genre fut avec Paul. Il est né en 1967 de parents artistes de cabaret en Espagne. À 3 ans, il s’habille en fille (costumes de scène) et joue à la poupée. Entre 6 et 13 ans, la famille vit en France où Paul se comporte comme un garçon. À partir de l’âge de 13 ans, il revêt des vêtements féminins : il porte un soutien-gorge, s’épile, et dit éprouver du dégoût pour ses organes génitaux masculins. Il prend sa douche avec un slip et ne peut se regarder nu dans le miroir. Il fuit la compagnie des garçons et recherche l’amitié des filles. Il exprime à 14 ans la demande d’être opéré pour changer de sexe : « J’ai la mentalité d’une fille et j’ai un corps de garçon ». Il se fait appeler Rachel. En 1982, il est hospitalisé dans le service de pédopsychiatrie de l’hôpital Hérold à Paris car il a été signalé par son collège. C’est un adolescent isolé, en grande détresse, exprimant des idées suicidaires. Il porte des vêtements amples. Il se dit amoureux de l’acteur Mel Gibson (Mad Max), mais n’a pas d’activité sexuelle et ne ressent pas d’excitation lorsqu’il se travestit : « Je veux qu’on m’enlève tout ça », dit-il en montrant son pubis.
Puis j’ai fait d’autres rencontres :
– Sylvaine, 11 ans, « qui confond les participes passés féminins et masculins » ;
– Martine, 13 ans, qui fait une tentative de suicide lors de ses premières règles ;
– Antoine, 5 ans, qui vient en consultation car « je fais des choses qu’il ne faut pas faire quand on est un garçon » ;
– Timothée, 10 ans, aux cheveux longs, danseur, victime de harcèlement à l’école.
Questions soulevées par l’identité de genre
En population générale, 2 à 4 % des garçons et 5 à 10 % des filles, entre 4 et 18 ans, se comportent « de temps en temps » comme s’ils étaient du sexe opposé. Selon leurs mères, 5 à 13 % des adolescents et 20 à 26 % des adolescentes rapportent avoir parfois des comportements de l’autre sexe. Et 2 à 5 % des adolescents et 15 à 16 % des adolescentes disent désirer « parfois » être du sexe opposé. Pourtant, les jeunes qui consultent sont rares. Le sujet reste encore très tabou dans de nombreux pays, y compris la France.
Évolution du terme et de sa classification
On attribue historiquement à Harry Benjamin l’introduction du terme « transsexualisme », mais ce sont les travaux de R.J. Stoller, publiés en 1968, qui font date et inaugurent les études sur le transsexualisme de l’enfant. N.M. Fisk introduit, dès 1973, le terme de dysphorie de genre, concept plus large, désignant un état de malaise dans le statut social relatif au sexe. R. Green en 1985 parle de développement psychosexuel atypique et crée les termes de « sissy boy » pour les garçons et de « tomboys girls » pour les filles. Ces termes ne sont plus utilisés d’autant que leur traduction française de « garçons efféminés » et de « filles garçons manqués » ne sont pas adaptés. En 1982, K.J. Zucker publie un ouvrage collectif Childhood gender disturbance réunissant les notions importantes de ce qu’on appelle encore à l’époque des troubles de l’identité de genre chez l’enfant, tandis qu’en France, c’est C. Chiland qui explore ces mêmes enfants particuliers.
Les critères du DSM
D’après le DSM-III-R
Dans le DSM-III-R, publié en 1987, différentes rubriques recouvrent les troubles de l’identité sexuelle. Chez l’enfant, on parle de trouble de l’identité sexuelle de l’enfance.
Pour une fille
– A : elle souffre d’être une fille et exprime le désir d’être un garçon ou affirme être un garçon ;
– B : elle rejette les vêtements féminins ou refuse son anatomie féminine (elle dit que son pénis va pousser, ne veut pas uriner assise et ne veut pas de seins et de règles) ;
– C : elle est non pubère.
Pour un garçon
– A : il souffre d’être un garçon et désire être une fille ;
– B : il préfère les vêtements féminins, les jeux féminins ou il rejette son anatomie masculine (dit que plus tard, il sera une femme, que son pénis et ses testicules sont dégoûtants et vont disparaître, et qu’il vaudrait mieux qu’il n’en ait pas) ;
– C : il est non pubère.
Chez l’adulte et l’adolescent
Deux catégories sont distinguées à ces âges :
• le transsexualisme :
– sentiment d’inconfort et d’inadéquation par rapport au sexe désigné,
– désir depuis au moins 2 ans de se débarrasser de ses caractères sexuels primaires et secondaires,
– chez un sujet pubère ;
• le trouble de l’identité sexuelle de l’adolescence ou de l’âge adulte de type non transsexuel :
– sentiment d’inconfort par rapport au sexe désigné,
– travestissement,
– chez un sujet pubère,
– absence de préoccupation persistante quant au fait de se débarrasser de ses caractères sexuels primaires et secondaires, et d’acquérir les caractéristiques sexuelles de l’autre sexe.
D’après le DSM-IV
Dans la version suivante du DSM (DSM-IV), le terme de trouble de l’identité sexuelle est conservé, dans une seule catégorie, quel que soit l’âge :
• A : identification intense et persistante à l’autre sexe (ne concerne pas exclusivement le désir d’obtenir les bénéfices culturels dévolus à l’autre sexe). Chez les enfants, la perturbation se manifeste par quatre (ou plus) des critères suivants :
– exprime de façon répétée le désir d’appartenir à l’autre sexe ou affirme qu’il (elle) en fait partie ;
– chez les garçons, préférence pour les vêtements féminins ou un attirail d’objets permettant de mimer la féminité ; chez les filles, insistance pour porter des vêtements typiquement masculins ;
– préférence marquée et persistante pour les rôles dévolus à l’autre sexe au cours de jeux de faux-semblant ou de fantaisies imaginatives persistantes d’appartenir à l’autre sexe ;
– désir intense de participer aux jeux et aux passe-temps typiques de l’autre sexe ;
– préférence marquée pour les compagnons de jeu appartenant à l’autre sexe. Chez les adolescents (et les adultes), la perturbation se manifeste par des symptômes tels que l’expression d’un désir d’appartenir à l’autre sexe, l’adoption fréquente de con duites où on se fait passer pour l’autre sexe, un désir de vivre et d’être traité comme l’autre sexe, ou la conviction qu’il (elle) possède les sentiments et réactions typiques de l’autre sexe.
• B : sentiment persistant d’inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d’inadéquation par rapport à l’identité de rôle correspondante. Chez les enfants, la perturbation se manifeste par l’un ou l’autre des éléments suivants :
– chez le garçon, assertion que son pénis ou ses testicules sont dégoûtants ou vont disparaître, ou qu’il vaudrait mieux ne pas avoir de pénis, ou aversion envers les jeux ;
– chez la fille, refus d’uriner en position assise, affirmation qu’elle a un pénis ou que celui-ci va pousser, qu’elle ne veut pas avoir de seins, ni de règles, ou aversion marquée envers les vêtements conventionnellement féminins.
Chez les adolescents (et les adultes), l’affection se manifeste par des symptômes tels que : vouloir se débarrasser de ses caractères sexuels primaires et secondaires, ou penser que son sexe de naissance n’est pas le bon.
• C : l’affection n’est pas concomitante d’une affection responsable d’un phénotype hermaphrodite.
• D : l’affection est à l’origine d’une souffrance cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
Débats et classification retenue
Les débats ont été vifs, avec une demande forte de « dépsychiatriser » et « déstigmatiser » les personnes concernées par ces troubles. Beaucoup estiment que le terme de « troubles » est inadéquat et que la place au sein des classifications des maladies mentales est injustifiée. La souffrance vécue par ces personnes est-elle liée à la personne elle-même, à la société ou au corps médical ? “Beaucoup estiment que le terme de « troubles » est inadéquat”
D’après le DSM-V
Ainsi dans le DSM-V, le terme retenu est celui de « dysphorie de genre ».
Chez l’enfant : non congruence entre le genre vécu/exprimé et le genre assigné depuis au moins 6 mois, avec six critères parmi les suivants :
– désir d’appartenir à l’autre genre ou insistance sur le fait qu’il est de l’autre genre ;
– forte préférence pour le style vestimentaire opposé au genre assigné ;
– dans les jeux, forte préférence pour incarner l’autre sexe ;
– préférence marquée pour les camarades de l’autre sexe ;
– rejet des jouets et des activités du genre assigné ;
– forte aversion pour son anatomie sexuelle ;
– désir d’avoir les caractéristiques sexuelles du genre qu’il pense sien. Le sujet ressent une détresse significative. Un trouble du développement sexuel peut être associé et n’exclut donc pas le diagnostic comme dans les versions précédentes.
Chez l’adolescent et l’adulte : non congruence entre le genre vécu/exprimé et le genre assigné depuis au moins 6 mois avec au moins deux critères :
– non congruence entre le genre vécu et les caractéristiques sexuelles primaires et/ou secondaires ;
– désir d’être débarrassé de celles-ci ;
– désir d’avoir celles de l’autre sexe ;
– désir d’appartenir à l’autre genre ;
– désir d’être traité(e) comme une personne de l’autre genre (ou d’un genre différent de celui qui lui est assigné) ;
– conviction d’avoir les sentiments et les réactions de l’autre genre. Le sujet ressent une forte détresse et peut avoir un trouble du développement sexuel.
Le diagnostic peut être porté en période post-transitionnelle.
On ne confondra pas dysphorie de genre avec la non-conformité aux rôles liés au genre. Elle doit être distinguée de la simple non-conformité aux stéréotypes des comportements du rôle lié au genre (garçon efféminé ou fille casse-cou).
• Le travestissement
Un individu peut se travestir occasionnellement pour des motifs ludiques, professionnels ou autres.
• Le transvestisme
Appartenant au domaine des paraphilies, il s’agit d’hommes ou d’adolescents hétérosexuels ou bisexuels (rarement des femmes) qui recherchent une excitation sexuelle par le travestissement. Il peut s’accompagner de fétichisme (excitation par tissus, matières, vêtements) et /ou d’autogynéphilie (excitation par images ou pensées de soi en femme).
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