Publié le 21 avr 2008Lecture 6 min
Un adolescent… en retard
D. ARMENGAUD, CH St Germain en Laye
Jérôme, 17 ans et 8 mois, est adressé en consultation par son médecin traitant pour un retard pubertaire.
Histoire clinique Jérôme est le cadet d’une fratrie de deux avec une sœur aînée de 25 ans. Les parents sont bien portants et n’ont pas d’antécédents particuliers. Il est né à terme au poids de 3 250 g pour une taille de 50 cm et a grandi normalement à -1 DS, alors que la taille cible familiale se situe aux alentours de -2 DS (le père mesure 160 cm et la mère 153 cm). Les parents sont presque surpris de cette consultation, espérant seulement que « cela va démarrer », alors que Jérôme exprime plus timidement que… ce n’est pas normal. Le seul examen qui a été fait en ville est un caryotype qui s’est avéré normal (46 XY). À l’inspection, ce jeune homme majeur dans 4 mois paraît étonnamment « prépubère » avec une musculature grêle, une absence totale de pilosité, une petite adiposité tronculaire, et un aspect gracile un peu « marfanoïde ». Il mesure 167 cm pour un poids de 49 kg. La reconstitution de la courbe de croissance montre une croissance régulière aux alentours de -1 DS jusqu’à l’âge de 12 ans, où un certain décrochage est alors observé sans réel ralentissement de la vélocité de croissance (figure 1). Figure 1. Courbe de croissance de Jérôme. L'auscultation cardiaque est normale, sans souffle, avec un rythme régulier à 72/min, une pression artérielle à 123/78 mmHg. L’auscultation pulmonaire est libre, la palpation de l’abdomen normale, sans hépato-splénomégalie ou masse palpable. L’examen neurologique est normal et il ne se plaint d’aucun trouble fonctionnel. Sur le plan pubertaire, il peut être coté A3, S1, P3, avec une verge augmentée de volume (45 x 15 mm) et des testicules présents dans les bourses, mesurant 20 x 10 mm. Devant ce tableau, un diagnostic est évoqué cliniquement, d’où la prescription d’une exploration endocrinologique à réaliser au cours d'une hospitalisation de jour, qui est rapidement programmée (test de stimulation de GH par ornithine, figure 2). Figure 2. Test de stimulation GH par ornithine. L'âge osseux est esimé à 14 ans (figure 3). Figure 3. Radiographie de la main ; âge osseux estimé à 14 ans. Quel est votre diagnostic ? Discussion La reconstitution de la courbe de croissance est un temps essentiel et incontournable de l’examen pédiatrique, permettant de visualiser des chiffres et de donner souvent une première orientation à l’examen clinique devant une petite taille. En fait, en retraçant la courbe de Jérôme, il n’apparaît pas de réel ralentissement de sa croissance staturale, qui se poursuit régulièrement, mais sans accélération pubertaire. Il est bien tard pour un retard pubertaire « simple », et l’on peut s’étonner de la to-lérance au symptôme, ou plutôt du manque de symptômes au démarrage de la puberté attendue chez le garçon à 14 ans. Le meilleur critère d’évaluation est, chez le garçon, l’augmentation de taille des testicules (> 25 mm ou > 4 ml), plus que la pilosité pubienne dont l’apparition est plus tardive et la participation des androgènes surrénaliens « trompeuse ». Dans le cas de Jérome, les signes pubertaires sont dissociés, car s’il existe des caractères sexuels secondaires (pilosités axillaire et pubienne et augmentation modeste de la taille de la verge), mais la taille des testicules, qui sont toujours prépubères, apparaît comme pathologique. Leur consistance un peu molle vient ajouter un doute sur leur fonctionnalité, laissant à penser que l’imprégnation androgénique est probablement d’origine surrénalienne. Ce défaut de développement oriente donc vers un hypogonadisme, évoqué par le taux bas de la testostéronémie, ainsi que celui de l’inhibine sécrété par les cellules de Sertoli ; cette anomalie peut être : • secondaire à : – une pathologie chronique, ici absente, et généralement connue (insuffisance rénale chronique, maladie inflammatoire du tube digestif, malabsorption, malnutrition, anémie chronique (hémolytique), ou nécessitant une corticothérapie prolongée, – un trouble du comportement alimentaire type anorexie mentale, mais il n’en présente aucune des caractéristiques psychiques, et sa courbe de corpulence régulière au 3e percentile est en faveur d’une maigreur constitutionnelle (figure 4), – une hypothyroïdie, mais le bilan est normal, – un déficit en GH, comme le laisserait à penser le test de stimulation à l’ornithine (figure 2), qui montre une réponse insuffisante (taux de base bas et pic de GH insuffisant) et impose d’en réaliser un deuxième, bien que le taux correct d’IGF1 laisse peu de place à un déficit vrai ; Figure 4. Courbe de corpulence de Jérôme. • un hypogonadisme hypergonadotrophique en rapport avec une anomalie testiculaire, correspondant à une dysgénésie gonadique, tel le syndrome de Klinefelter, ou en rapport avec l’altération du testicule (cryptorchidie, radio ou chimiothérapie). L’incidence du Klinefelter chez le garçon, de l’ordre de 1/500 à 1/1000, est beaucoup plus élevée que celle du syndrome de Turner chez la fille. Mais le caryotype est ici normal ; • un hypogonadisme hypogonadotrophique, comme le suggèrent les taux bas de FSH et LH sans variation sur 3 heures, comme le confirme un test au LHRH « plat » sans réponse significative des gonadotrophines (figure 5). Figure 5. Test au LHRH. Cet hypogonadisme hypogonadotrophique peut être : • congénital : – isolé, avec déficit en GnRH ou LH ; – secondaire et associé à une pathologie syndromique (syndrome de Kallmann, de Willi Prader), ou en rapport avec un pan hypopituitarisme acquis ; • tumoral : adénome hypophysaire à prolactine ou tumeur suprasellaire (craniopharyngiome) ; • liée à la destruction de l’hypophyse (traumatisme, radiothérapie). Histoire clinique • Le bilan sera complété par une IRM cérébrale (figure 6) qui se révélera normale, avec absence d’anomalie de l’axe hypothalamo-hypophysaire, de tumeur suprasellaire et intégrité des bulbes olfactifs (leur agénésie ou hypoplasie caractérise le syndrome de Kallmann et est souvent à l’origine d’une anosmie, ici absente ; elle constitue une donnée d’interrogatoire simple tout à fait pertinente). Figure 6. IRM cérébrale. A) selle turcique de profil normale (hypersignal de la post-hypophyse ; B) injection de gadolinium - pas de syndrome tumoral ; C) coupe frontale : visualisation des bulbes olfactifs, éliminant un syndrome de Kallmann. • Un deuxième test de stimulation de GH par glucagon propranolol (figure 7) sera effectué après quelques semaines de traitement par androgènes et confirmera, par la bonne réponse obtenue, le caractère « fonctionnel » du déficit initial. Figure 7. Test de stimulation GH par ornithine. • Un traitement par androgène retard IM sera mis en route avec réalisation quelques mois après d’un deuxième test de stimu-lation de GH par glucagon propranolol, qui confirmera l’absence de déficit en GH. • La croissance en poids et taille sera bien améliorée avec poursuite du développement pubertaire mais, comme attendu, sans modification de la taille des testicules. Il faudra aborder secondairement la question de la stérilité ou de l’hypofertilité et discuter ce qui pourra être proposé en temps voulu.
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