Publié le 03 oct 2010Lecture 8 min
Syndrome métabolique chez l’enfant : mythe ou réalité ?
B. DUBERN, Hôpital Armand-Trousseau, Paris
Peut-on appliquer la notion de syndrome métabolique chez l’enfant alors qu’il n’existe aucune définition pédiatrique consensuelle et surtout qu’un lien éventuel avec un risque ultérieur accru de maladies cardiovasculaires n’a pas été évalué chez l’enfant ? Malgré ces doutes, de nombreux auteurs continuent à étudier la prévalence du syndrome métabolique chez l’enfant (1-3).
Le syndrome métabolique a été défini chez l’adulte par la coexistence de plusieurs facteurs métaboliques dont l’association est reliée à une augmentation notable du risque d’accidents cardiovasculaires à moyen et à long terme (4,5). Cette définition, bien qu’elle ait donné lieu à des milliers de publications pendant près de deux décennies, suscite depuis quelques années une remise en question (3,4), y compris de la part même de son auteur (6). Une prévalence très variable en fonction de la définition utilisée Le syndrome métabolique est défini chez l'adulte par l'existence d'au moins trois des cinq facteurs suivants : obésité abdominale, hypertriglycéridémie, hypo-HDLcholestérolémie, hypertension artérielle, intolérance au glucose. Cette définition s’appuie sur le risque vasculaire accru associé à la présence d'un tel syndrome (4). La définition la plus utilisée est celle établie par le NCEP ATP III (National Cholesterol Education Program Adult Treatment Panel III) (9) (tableau 1). Or, son extrapolation à l’enfant est fragile. En effet, les valeurs normales de la plupart de ces critères varient avec l’âge et parfois la taille (tour de taille, triglycéridémie, HDLcholestérolémie, pression artérielle). Par ailleurs, et surtout, il n’existe pas de normes en deçà ou audelà desquelles un accroissement objectif du risque cardiovasculaire peut être formellement établi. Une métaanalyse de 2006 (10) montre que, dans les 14 études sélectionnées, toutes les définitions utilisées sont différentes les unes des autres. Seulement 5 d’entre elles incluent l’obésité abdominale (tour de taille) parmi leurs critères. Cela est d’autant plus étonnant que, chez l’enfant obèse, la masse grasse à localisation abdominale constitue un paramètre majeur de risque vasculaire, car elle est corrélée aux principaux facteurs métaboliques de risque vasculaire (insulinorésistance, hypo-HDL-cholestérolémie, hypertriglycéridémie) et aux anomalies de la mécanique artérielle, premiers signes de l’athérosclérose (11,12). Les critères choisis pour définir le syndrome métabolique chez l’enfant sont nombreux et résumés dans le tableau 2. Il n’est donc pas surprenant que C. H. Chi et coll. (10) trouvent des prévalences extrêmement variables du syndrome métabolique chez l’enfant – de 0,4 % à 24,6 %, soit un rapport de 1 à 60 – en fonction de la définition utilisée, mais également de la population étudiée. Dans une cohorte personnelle de 384 enfants obèses, en utilisant deux définitions différentes du syndrome métabolique (1,2), nous avons ainsi trouvé une prévalence du syndrome métabolique allant de 10,9 % à 16,1 %. La prévalence du syndrome métabolique est donc totalement dépendante de la définition utilisée, elle doit également tenir compte de la population étudiée. Ainsi, quand la prévalence du syndrome métabolique est évaluée dans des populations différentes, en utilisant les mêmes critères (ceux de R. Weiss et coll.), il existe une variation importante : 38,7 % dans une population de 244 enfants américains obèses (1), âgés en moyenne de 12,8 ans et ayant un IMC moyen de 33,4 kg/m² vs 10,9 % dans notre série d’enfants obèses français, âgés en moyenne de 12,1 ans et ayant un IMC moyen de 30,9 kg/m². Cela suggère l’intervention d’autres facteurs, notamment génétiques, expliquant cette différence. Ainsi 55 % des sujets de la population américaine étudiée étaient des enfants afro-américains ou hispaniques, or il a été établi qu’ils ont une prédisposition accrue à l’insulinorésistance, et donc au risque de syndrome métabolique (13). Ainsi, en raison de la dispersion des définitions du syndrome métabolique utilisées chez l’enfant et des grandes variations observées dans l’estimation de sa prévalence, il nous paraît très difficile de répondre à la question posée au début de cet article. Par ailleurs, nous devons aussi nous interroger sur la définition du risque vasculaire chez l’enfant obèse, dont dépend la notion même de syndrome métabolique. Le risque vasculaire chez l’enfant obèse ? Nous avions montré, il y a quelques années, que les troubles de la mécanique artérielle et de la fonction endothéliale, premières manifestations de l’athérosclérose, apparaissaient dès l’enfance chez l’obèse (12). Nos résultats ont depuis été confirmés par de nombreux travaux (14,15). Le suivi longitudinal sur plusieurs décennies de sujets ayant été obèses durant l'adolescence montre que le risque de morbidité et de mortalité cardiovasculaire (maladies coronariennes, accidents vasculaires cérébraux) était augmenté indépendamment de l’existence d’autres facteurs de risque vasculaire, mais aussi et surtout indépendamment de l’évolution pondérale au-delà de l’adolescence (16). Cela suggère que, parmi les anomalies artérielles présentes chez l’enfant obèse, certaines seraient irréversibles, puisque même dépourvus d’une surcharge pondérale à l’âge adulte, ces sujets gardent un risque cardiovasculaire accru. Il paraît donc licite de penser que la mise en évidence d’anomalies de la fonction et de la mécanique artérielles chez l’enfant obèse est un moyen fiable pour définir son risque vasculaire. Le suivi longitudinal des enfants obèses demeure toutefois le moyen le moins contestable pour définir le risque vasculaire. Que deviennent ces enfants ? Les paramètres anthropométriques ou biologiques présents durant l’enfance déterminent-ils la survenue d’accidents cardiovasculaires plusieurs décennies plus tard, et ce, indépendamment des facteurs de risque vasculaire éventuellement acquis ultérieurement ? De telles études sont bien sûr très difficiles à mener et soumises à de nombreux biais méthodologiques. Les cohortes de la Bogalusa Heart Study et de la Muscatine Study aux États-Unis, et de la Cardiovascular Risk in Young Finns Study en Finlande, suivies maintenant depuis plusieurs décennies, devraient bientôt apporter des réponses concrètes à nos questions (17-19). Mesurer le risque vasculaire chez l’enfant obèse s’avère toutefois plus complexe que chez l’adulte, car ces études ne reposent pas sur l’incidence d’événements cardiovasculaires cliniques, mais, soit sur la mise en évidence d’anomalies artérielles à l’échographie, dont le lien avec la survenue d’accidents vasculaires ultérieurs est possible mais non certain, soit sur le suivi longitudinal des enfants pendant plusieurs décennies, difficile à conduire. Peut-on évaluer le risque vasculaire chez l’enfant obèse? L’insulinorésistance, les dyslipidémies, la localisation abdominale de la masse grasse, mais également la leptine et certains marqueurs endothéliaux ont ainsi été incriminés comme pouvant être à l’origine des anomalies de la fonction artérielle atteignant les enfants obèses (12,14,15). Ainsi, la plupart des facteurs métaboliques responsables de l’athérosclérose chez l’adulte obèse sont également associés aux anomalies artérielles observées chez l’enfant, et ce, avec des fréquences comparables à celles chez l’adulte, à l’exception du diabète, qui est beaucoup plus rare (tableau 3). Un travail récent (20) mené par notre équipe chez des enfants obèses porteurs d’un syndrome métabolique, comparés à d’autres indemnes de ce syndrome, montre (indépendamment de la définition utilisée) que si certains facteurs de risque sont individuellement associés aux anomalies artérielles observées chez l’enfant obèse, leur agrégation au sein du syndrome métabolique n’a pas d’effet synergique sur la survenue de lésions artérielles et n’apporte donc pas de valeur ajoutée dans l’appréciation du risque vasculaire par cette méthode. Il a néanmoins été montré dans les études de cohorte citées plus haut (17-19) que certains facteurs métaboliques de risque vasculaire présents chez l’enfant étaient corrélés de manière indépendante à l’épaisseur de la paroi carotidienne, un marqueur de l’athérosclérose chez l’adulte âgé de 30- 40 ans. W. Chen et coll. (17) ont montré que l’épaisseur de la paroi carotidienne à l’âge adulte était moins importante chez les enfants ayant le moins de facteurs de risque vasculaire ; ils n’ont toutefois pas démontrer de relation inverse, autrement dit d’aggravation du risque à l’âge adulte par la multiplication des facteurs métaboliques présents durant l’enfance. Conclusion Bien que certains facteurs métaboliques présents chez l’enfant obèse soient clairement associés à un risque vasculaire accru à l’âge adulte, leur rassemblement au sein du syndrome métabolique ne confère donc pas de risque supplémentaire, du moins avec les techniques d’explorations actuellement utilisées. Il paraît donc plus judicieux de dépister et de prendre en charge individuellement chaque facteur de risque métabolique plutôt que de chercher à les réunir au sein de ce syndrome. Les futures études devront chercher à déterminer si certains facteurs métaboliques présents chez l’enfant peuvent effectivement avoir une action synergique sur le risque vasculaire ultérieur.
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