Publié le 15 jan 2008Lecture 16 min
Schizophrénie : quels facteurs de risque ?
M.SAOUD, CH Le vinatier, Bron
La pathogénie de la schizophrénie résulte de l’interaction d’un état de vulnérabilité neurobiologique prémorbide (d’origine neurodéveloppementale) et de facteurs environnementaux. Ces deux composantes constituent des facteurs de risque associés aux états schizophréniques. Cette revue de la littérature reprend les différentes études épidémiologiques qui ont permis la mise en évidence des facteurs de risque dans les antécédents des patients schizophrènes : de leur conception jusqu’au moment de la décompensation psychotique. La recherche des antécédents personnels et familiaux permet en pratique clinique de mieux identifier les facteurs de risque modifiables (consommation de cannabis, par exemple), et d’améliorer le dépistage des individus à « haut risque » de schizophrénie.
La recherche des antécédents fait partie de tout interrogatoire médical. En psychiatrie, spécialité où l’examen clinique est primordial, elle prend une place particulièrement importante. Cette recherche des antécédents personnels et familiaux, identifiés comme étant des « facteurs de risque », a permis de mieux comprendre l’étiopathogénie de cette pathologie hétérogène et complexe qu’est la schizophrénie. Rappelons qu’un facteur de risque peut être défini comme un aspect du comportement personnel, un style de vie, une exposition environnementale, une caractéristique innée ou héritée, qui est connue pour être associée à la survenue d’une maladie sur la base de données épidémiologiques. Par conséquent, certains facteurs de risque peuvent être la cible de mesures préventives. Cette revue de la littérature étudie les différents antécédents définis comme facteurs de risque et met en exergue leur importance, en particulier dans ce qui semble être le défi du XXIe siècle, à savoir le dépistage des sujets « à haut risque » de schizophrénie et la prévention de la maladie dans ce groupe de population. À la recherche des antécédents familiaux En cas de suspicion de schizophrénie ou de schizophrénie avérée, il s’agit non seulement de rechercher les antécédents familiaux de pathologies psychiatriques « caractérisés », mais aussi de retracer l’histoire générale de la famille (Saoud M, d’Amato T, 2006). Concernant les antécédents psychiatriques « caractérisés », on s’intéresse principalement aux antécédents de schizophrénie dans la famille qui rendent compte de l’implication de facteurs génétiques dans cette maladie (figure) (Jones PB, Susser E, 2003). Figure. Risque de schizophrénie en fonction du degré d’apparentement à un proposant atteint de schizophrénie. Au premier degré Le risque de schizophrénie chez les apparentés de premier degré d’un patient schizophrène (parents, germains, enfants) est environ 10 fois supérieur au risque observé dans la population générale. Ce risque varie en fonction du lien de parenté. Il est plus élevé chez les frères et sœurs (10 %) et chez les enfants (13 %) que chez les parents (6 %). Dans une même famille Les chiffres varient également en fonction du nombre d’individus atteints dans une même famille avec, par exemple, près de 17 % de récurrence si un frère et un parent sont l’un et l’autre atteints. Quant aux enfants de deux parents schizophrènes, leur risque moyen de devenir schizophrène est évalué à 46 %. Au second degré Contrastant avec cette augmentation nette du risque chez les apparentés de premier degré, le risque de schizophrénie n’est plus que de 4 % chez les demi-germains et de 3 % chez les apparentés de second degré (oncles/tantes, neveux/nièces et petits-enfants). Le cas des jumeaux monozygotes et dizygotes Selon une récente revue de la littérature, les concordances intrapaires (présence de la maladie chez les co-jumeaux) sont de 41 à 65 % chez les monozygotes et seulement de 0 à 28 % chez les dizygotes. Par ailleurs, le risque de schizophrénie est élevé chez les enfants des jumeaux monozygotes, que les deux jumeaux soient atteints ou seulement l’un d’entre eux. Le risque est élevé chez les enfants de jumeaux dizygotes schizophrènes, mais seulement chez les enfants du co-jumeau malade. Ces données démontrent l’importance des facteurs environnementaux dans la schizophrénie et confirment qu’un sujet porteur d’un génotype à risque peut transmettre la schizophrénie à sa descendance sans lui-même développer la maladie. Des antécédents personnels bien codifiés De même que les antécédents familiaux, les antécédents personnels doivent être soigneusement recherchés. Les facteurs de risque « personnels » peuvent être divisés en trois catégories selon l’âge : les facteurs de risque précoces (période prénatale), les facteurs de risque intermédiaires (enfance et préadolescence) et les facteurs de risque tardifs (adolescence et début de l’âge adulte). Les facteurs de risque précoces Un excès de naissance en hiver Des liens ont été trouvés entre la saison de naissance et l’incidence de la schizophrénie. Dix à 15 % d’excès de naissances hivernales ont été constatés chez les patients schizophrènes (avec une reproductibilité plus modérée dans l’hémisphère sud que dans l’hémisphère nord). Ce déséquilibre saisonnier des naissances est plus marqué pour les formes de schizophrénie appartenant au sous-type désorganisé (d’Amato et coll., 1991). Cet excès de naissance hivernale chez les patients schizophrènes paraît être associé à une exposition à des agents infectieux pendant la grossesse. Il a ainsi été montré que le risque de schizophrénie est multiplié par cinq en cas d’exposition in utero à certains virus (influenza, borna virus, rubéole, etc.). Des agents infectieux à tropisme cérébral de différente nature (virus responsables de méningites, virus de la poliomyélite, et surtout celui de la rubéole) pourraient également, en interférant avec le développement infantile, augmenter le risque de schizophrénie. L’impact des carences nutritionnelles La survenue de carences nutritionnelles pendant le premier trimestre de la grossesse multiplie le risque de schizophrénie par deux. Cette constatation découle des études portant sur les conséquences de la famine survenue dans une région des Pays-Bas au cours de l’hiver 1944-45 (Susser et coll., 1996) et de la famine survenue en Chine entre 1959-61 (St Clair et coll., 2005). L’incompatibilité rhésus L’incompatibilité rhésus (qui survient lorsqu’une mère rhésus négatif attend un deuxième enfant rhésus positif) pourrait multiplier le risque de schizophrénie par trois. Le mécanisme délétère serait la destruction des globules rouges du fœtus qui commencerait dès le deuxième trimestre et aurait pour conséquence une accumulation de bilirubine (neuro-) toxique. Des pères de plus de 50 ans Des données récentes montrent que le risque de schizophrénie de l’enfant augmente très clairement avec l’âge avancé du père au moment de la conception (Sipos et coll., 2004). Ce risque passe de 1,26 lorsque le père est âgé de moins de 30 ans à 4,62 lorsque celui-ci est âgé de plus de 50 ans. Cette association serait indépendante de tout autre facteur et pourrait expliquer 15 % des cas de schizophrénie en l’absence d’antécédents familiaux. L’augmentation du risque serait liée à des mutations génétiques plus fréquentes avec l’âge. Les grossesses et les accouchements compliqués Les antécédents de complications obstétricales sont deux fois plus fréquents chez les schizophrènes comparativement à des sujets contrôles (Clarke et coll., 2006). Il s’agit, d’une part, des complications survenant pendant la grossesse et, d’autre part, des complications de l’accouchement. Les complications de la grossesse comprennent la dystrophie fœtale (avec un faible poids de naissance), les hémorragies, les menaces d’accouchement prématuré, l’hypoxie fœtale chronique, l’hypertension artérielle maternelle voire les états de prééclampsie. Les complications de l’accouchement rapportées comme étant à risque sont, pour leur part, un travail prolongé, un accouchement instrumental (forceps), une présentation anormale, une anoxie néonatale et une prématurité. Des stress divers et variés Différents facteurs de stress ont également été associés à une augmentation du risque de schizophrénie. Le rôle du stress est postulé depuis longtemps qu’il s’agisse de stress maternel ou de stress éprouvé par les individus eux-mêmes, en particulier dans l’enfance. Une grossesse non désirée, le décès du père avant la naissance ou une dépression maternelle anténatale constituent autant de situations de stress associées à une augmen-tation du risque de schizophrénie, et ce, indépendamment des autres facteurs sociodémographiques et périnataux. L’impact du stress pourrait s’expliquer par l’hypoxie fœtale secondaire à une vasoconstriction utérine. La ville plutôt que la campagne ? Dès les années 1930, un lien avait été fait entre la schizophrénie et le degré d’urbanisation du lieu de naissance. Plus récemment, il a été montré que le risque de schizophrénie était quatre fois plus élevé en cas de naissance dans une grande métropole (Copenhague, Danemark) par rapport à une naissance en région rurale. De plus, le risque augmentait proportionnellement avec la taille de ’agglomération. Toutefois, il n’est pas exclu que ce facteur soit dû à d’autres causes, en particulier de nature toxique (pollution), infectieuse (les concentrations humaines favorisant les épidémies) ou liée au stress. Par ailleurs, depuis 1985, plusieurs études ont mis en évidence une multiplication du risque de schizophrénie, par trois environ chez les migrants. Ce risque serait plus important pour la deuxième génération (RR = 4,5) que pour la première (RR = 2,7) (Cantor-Graae, Selten, 2005). Les facteurs socio-économiques et donc, en définitive, le stress seraient probablement en cause. Les facteurs de risque intermédiaires Les facteurs de risque rapportés dans l’enfance sont principalement des antécédents de traumatisme crânien (TC) (métaanalyse récente de David et Prince, 2005), d’infections à tropisme cérébral et de séparation d’un être cher. À noter que l’association entre TC et schizophrénie est d’autant plus nette que les individus sont à haut risque génétique (apparentés de premier degré d’un patient schizophrène), avec une réduction du délai de survenue de la maladie en cas de TC avant l’âge de 10 ans. De même, la mort d’un parent (ou la séparation) lors de l’enfance est associée à une augmentation du risque, qui serait plus marquée en cas de séparation précoce (avant l’âge de 9 ans). Les facteurs de risque tardifs Nous avons vu que le stress joue un rôle en tant que facteur anténatal et infantile, accroissant le risque ultérieur de schizophrénie. Mais le stress, concept pris au sens large du terme, semble également intervenir plus tardivement. Le stress de l’adolescence On considère aujourd’hui la schizophrénie comme la décompensation d’un état latent de vulnérabilité neurobiologique sous l’influence de facteurs environnementaux externes et/ou internes. La « vulnérabilité » due à l’adolescence, elle-même, peut se rajouter à cet état latent de vulnérabilité neurobiologique. L’adolescence est en effet une période de vulnérabilité, car elle est marquée par des changements physiques et biologiques : poussées hormonales, croissance osseuse et staturale, des modifications affectives (vie relationnelle), intellectuelles (compréhension de la vie et de sa vie) et psychiques (recherche identitaire, acquisition progressive de l’autonomie). L’appartenance à une famille à haut niveau « d’émotions exprimées », la confrontation à la sexualité, des incertitudes concernant l’avenir, la compétition dans les études et la « pression sociale » représentent autant de facteurs de stress supplémentaires susceptibles d’entraîner une décompensation psychotique chez l’adolescent à haut risque. L’usage de toxiques Plusieurs toxiques (ecstasy, amphétamines, cocaïne, etc.) ont été incriminés dans la survenue d’une schizophrénie. Mais c’est le cannabis, drogue la plus couramment utilisée, qui a suscité le plus d’études. Ces travaux ont permis de conclure que la consommation (régulière, sans être forcément importante) de cannabis représenterait chez certains sujets un facteur favorisant, pouvant induire une évolution ultérieure vers la schizophrénie (Degenhardt, Hall, 2006). Une consommation régulière de cannabis multiplierait de 2 à 6 fois le risque de schizophrénie. De plus, la sévérité de l’affection semble positivement corrélée à la fréquence et aux doses consommées. Ces constatations corroborent les données pharmacologiques récentes sur les récepteurs cannabinoïdes cérébraux et permettent d’envisager effectivement un rapport entre cannabis et schizophrénie, et de comprendre les interférences potentielles avec les neuroleptiques. Et la nicotine ? La proportion élevée de schizophrènes fumeurs est un fait connu depuis longtemps et le « risque de schizophrénie » serait multiplié par deux chez les sujets fumeurs. Il a été montré que le temps moyen écoulé entre le début de l’intoxication tabagique et l’apparition de la schizophrénie est d’environ 2,3 ans (Weiser et coll., 2004). Le tabagisme pourrait être un signe de la phase prodromique de la schizophrénie. En effet, le fait de fumer stimule les récepteurs nicotiniques, augmente la libération de dopamine et participerait ainsi à l’amélioration des fonctions cognitives préfrontales. Cette hypothèse pourrait aussi expliquer les difficultés de sevrage chez les patients schizophrènes présentant des déficits cognitifs sévères. Les caractéristiques prémorbides Certaines manifestations cliniques prémorbides (exemple : troubles du développement psychomoteur, difficultés d’adaptation sociale dans l’enfance et l’adolescence, troubles cognitifs, etc.) sont associées à un risque élevé de schizophrénie (Cannon et coll., 2003). Cependant, à la différence des autres facteurs de risque cités précédemment, ces manifestations n’ont pas un rôle direct dans l’étiopathogénie de la schizophrénie et seraient plutôt des marqueurs d’un processus pathologique en cours. La présence de ces caractéristiques prémorbides dès l’enfance conduit à envisager les hypothèses étiopathogéniques dans une perspective neuro-développementale. Des difficultés d’adaptation sociale Des difficultés d’adaptation sociale prémorbides d’installation progressive sont souvent rapportées dans les antécédents des patients atteints de schizophrénie. Elles concernent les performances scolaires, la sociabilité et les aspects affectifs. Les difficultés relationnelles et d’adaptation sociale (préférence pour les jeux solitaires, pauvreté du fonctionnement social, méfiance et susceptibilité, etc.) représentent les troubles précurseurs les plus fréquemment retrouvés chez les enfants et les adolescents qui vont développer une schizophrénie à l’âge adulte. Ces derniers sont en effet souvent décrits par leur entourage comme ayant été solitaires, passifs, nerveux, rejetés par les autres et présentant des problèmes de discipline. Des troubles du dévelop pement psychomoteur Différentes études ont mis en évidence l’existence d’anomalies du développement moteur, cognitif et social, voire de dysharmonies complexes du développement dans l’histoire prémorbide des sujets schizophrènes. En effet, l’enfance des futurs schizophrènes se différencie nettement de celle de la population générale sur de nombreux points : retards et troubles du développement psychomoteur, déficits cognitifs, troubles du comportement. Un syndrome dysmaturatif, appelé « pandysmaturation », serait présent chez près de la moitié des enfants de parents schizophrènes, et plus particulièrement chez ceux qui vont développer une schizophrénie à l’âge adulte. Ce syndrome regroupe des retards transitoires dans le développement moteur et/ou visuo-moteur (suivis d’une accélération et d’un retour à des niveaux normaux), un profil fonctionnel anormal à l’examen général du développement (échecs lors des tests psychologiques simples et réussites dans des tâches plus complexes), ainsi qu’un retard de la croissance squelettique. Des déficits sur le plan neuropsychologique Des déficits neuropsychologiques affectant la mémoire verbale, l’attention, la motricité globale et le quotient intellectuel ont également été observés chez les enfants et les adolescents qui vont développer une schizophrénie à l’âge adulte. Des anomalies physiques et neurologiques Enfin, les adolescents à haut risque de schizophrénie présenteraient plus fréquemment des anomalies physiques minimes (augmentation du périmètre crânien, hypertélorisme) et des signes neurologiques mineurs, en particulier dans le domaine de l’intégration sensorielle et des troubles de la coordination motrice. Quelle pertinence pour la pratique ? Cette revue de la littérature identifie de nombreux facteurs de risque de schizophrénie, mais que nous apportent ces résultats en pratique clinique courante ? On retiendra qu’en cas de premier épisode d’allure schizophrénique, certains éléments doivent plus particulièrement être recherchés, afin d’orienter le diagnostic : • les conditions dans lesquelles s’est déroulée la grossesse ; • la qualité du développement psychomoteur ; • la consommation de toxiques ; • le niveau socioprofessionnel, culturel et le statut marital ; • le niveau d’adaptation sociale ; • les antécédents familiaux. Devant une bouffée délirante aiguë, la notion d’antécédents familiaux de schizophrénie et/ou de difficultés d’adaptation sociale prémorbides fait craindre un risque d’évolution vers une schizophrénie caractérisée. En cas de schizophrénie caractérisée, il est indispensable de rechercher des antécédents pathologiques (épisodes analogues antérieurs, les phases intercritiques et, bien entendu, les antécédents somatiques). Le niveau fonctionnel antérieur et actuel, la consommation de toxiques (cannabis, etc.) et le fonctionnement familial doivent être bien précisés. En effet, tous ces éléments ont une valeur pronostique. Par exemple, l’usage de cannabis et/ou un haut niveau familial « d’émotions exprimées » pourraient constituer des facteurs de non-réponse thérapeutique et/ou de rechutes. Ainsi, l’apparition d’une schizophrénie serait la résultante d’interactions complexes et, à des degrés divers, de plusieurs facteurs de risque. Ces interactions impliquent, d’une part, des facteurs génétiques et, d’autre part, des facteurs environnementaux dont certains sont modifiables. La recherche des antécédents (ou facteurs de risque) n’a pas qu’un intérêt « épidémiologique » ou statistique, elle est également essentielle d’un point de vue clinique tant sur le plan diagnostique que pronostique.
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