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Psycho-social

Publié le 20 jan 2009Lecture 7 min

Scarifications de l’adolescent : quelle signification ? Une « psy-catrice » ?

G. PICHEROT, L. DRENO, E.CALDAQUES- RAMOS, J. FLEURY-SKOURI Unité de médecine de l’adolescent, CHU de Nantes

En examinant les adolescents, on découvre fréquemment des scarifications récentes ou anciennes. Ce sont des constats faits par l’examen clinique et rarement des plaintes directes de l’adolescent lui-même. L’entourage l’a parfois déjà constaté. Le médecin somaticien qui découvre ces scarifications doit faire face à l’inquiétude des parents et doit s’interroger sur leur signification.

 
La découverte de scarifications chez un adolescent pose plusieurs types de questions. « S’agit-il toujours d’une expression d’un malaise psychologique important ? « Faut-il toujours l’orienter vers une consultation de pédopsychiatrie ? « Quelles peuvent être les conséquences ? « Pourquoi marquer le corps ? « Y a-t-il un lien fort avec les autres marques du corps plus officielles, piercing et tatouages ? »   Quelques données générales De quoi parle-t-on ? Les scarifications font partie des automutilations qui sont des « altérations intentionnelles et directes des tissus de l’organisme sans volonté de mourir ». Le terme automutilation est inadapté car il n’y a en général pas de vraie mutilation définitive. Les scarifications sont probablement un mode récent de révélation de difficultés de l’adolescent. Elles sont différentes des tatouages esthétiques ou rituels en particulier, car elles sont effectuées par l’adolescent lui-même. La douleur physique est toujours associée à la pratique des scarifications.   Qui parle des scarifications ? Il s’agit rarement d’un motif de consultation venant de l’adolescent. L’entourage parental ou scolaire s’inquiète de ce constat. Le plus souvent, la découverte se fait au cours de l’examen clinique lors d’une consultation ou à l’urgence. Les psychiatres parlent souvent des scarifications, les dermatologues parfois, les pédiatres et les médecins généralistes jamais. On peut s’interroger sur ce silence.   Données épidémiologiques Les données sont imprécises, mais elles montrent une progression inquiétante du nombre de jeunes qui se scarifient. On sait que les scarifications sont plus fréquentes chez les filles (70 %). Aux États-Unis, 3 millions de femmes sont concernées. Elles débutent presque toujours à l’adolescence. Un tiers des adolescents consultant en psychiatrie seraient porteurs de scarifications. Hawton, dans un travail portant sur des lycéens au Royaume-Uni, constate que 4,3 % des filles de 15-16 ans portent des scarifications et que 75 % des lycéens concernés par ce problème sont des filles. Dans une étude française de 2001, on constate que la présence de scarifications est associée à une augmentation très importante des conduites suicidaires. Un tiers des adolescents consultant en psychiatrie seraient porteurs de scarifications.    Localisations, aspect, méthodes… (figures 1,2,3,4) Le poignet et les avant-bras sont les plus scarifiés. Le dos des mains, le thorax, les jambes, le ventre, peuvent être aussi touchés. Le visage, lui, est rarement atteint. Selon D. Le Breton, « le souci de préserver le visage traduirait le désir de rester au coeur du lien social ». Les formes sont variables : linéaires ou essayant de reproduire un dessin, un mot, voire une phrase : « Reconnaissance en toutes circonstances », « No future ». Les scarifications sont souvent multiples (avant-bras) et répétées. Elles peuvent être entrecroisées ou parallèles. La pratique se fait dans l’isolement (en cachette) souvent de manière compulsive. Figure 1. Scarifications « classiques » de l’avant-bras (a) et leur évolution à quelques semaines (b). L’objet utilisé est variable : compas, rasoir, ciseaux, couteau, morceau de verre, pointe. L’objet est très investi, parfois échangé en collectivités d’adolescents. Les risques sont peu évalués dans la littérature médicale. Certaines scarifications peuvent entraîner un saignement et nécessitent une suture. Le risque d’infection locale   Figure 2. Les scarifications du visage sont un signe de gravité. est sûrement comparable et sans doute supérieur au risque des piercing et tatouages (20 %). Le risque de transmission viral (HIV, hépatites) existe en théorie mais n’a pas été rapporté. La cicatrisation se fait presque toujours rapidement. À distance, on remarque des lignes blanches qui vont s’atténuer progressivement, mais une cicatrisation chéloïde est possible. La présence de scarifications est associée à une augmentation très importante des conduites suicidaires.   Quelques pistes de signification De nombreuses pistes sont évoquées dans les travaux des psychiatres et des sociologues. « Le corps est là comme une attache au monde. » La peau est une enveloppe et une frontière entre le dedans et le dehors, or, l’adolescent s’attaque ainsi à ce qui porte le narcissisme. Les scarifications sont des conduites d’agir substituant, comme toutes ces conduites, l’acte à la parole (X. Pommereau). « Une souffrance physique est plus facile à présenter qu’une souffrance morale. » « C’est tellement plus facile à endurer » dit Esther, 15 ans. X. Pommereau parle de « langage de l’indicible ». Les scarifications sont associées à une douleur physique auto-infligée et leur répétition forme une « enveloppe de douleur » (D. Le Breton). Il s’agirait pour cet auteur de « jouer la douleur contre la souffrance ». La douleur est alors ressentie et recherchée comme une limite. Ces expressions des souffrances de l’adolescent doivent nous inquiéter à juste titre. Mais elles ne sont pas équivalentes dans leurs significations, ni dans leur pronostic, aux expressions du même type chez l’adulte. Dans la plupart des cas, elles ne sont pas des indices de pathologies mentales. Ce sont des « appels à l’aide » des « appels à vivre » (D. Le Breton). Il faut les recevoir comme un langage à décoder, à interpréter, à accompagner. Ces atteintes du corps ne durent généralement pas. Et en même temps, les adolescents qui se scarifient ne sont pas des « adolescents standards ». Il s’agirait de « jouer la douleur contre la souffrance » (D. Le Breton).   L’adolescent et le marquage du corps Le marquage du corps est (aujourd’hui ?) fréquent chez l’adolescent. Les scarifications ont une signification différente des tatouages et/ou des piercing.   Figure 3. Scarification ou mutilation ? Ces autres marques réalisées par un acteur extérieur, souvent professionnel, relèvent également de transgression, mais constituent le plus souvent un rituel, esthétique ou sexuel. On peut y voir une recherche de séduction, d’émancipation, de décoration et aussi de provocation. La notion de mode ou d’imitation ou d’appartenance au groupe y est plus présente. Les conséquences médicales infectieuses et dermatologiques des tatouages et piercing sont beaucoup plus connues. Le caractère définitif des tatouages pose des problèmes spécifiques, et des règles de bonnes pratiques « pour les professionnels » sont publiées…   Quelle démarche pour le médecin ? En dehors de situations de gravité, l’orientation systématique vers une consultation de psychiatrie de tous les adolescents porteurs de scarifications ne nous paraît ni possible ni nécessaire. Il est important pour le médecin pédiatre, généraliste ou dermatologue, qui découvre ces scarifications, de connaître et repérer les signes de gravité (encadré). Ils sont liés à l’âge, au sexe, à la localisation, à l’association de troubles psychiatriques, au caractère durable et au type. On peut y ajouter l’association des scarifications aux brûlures volontaires, qui serait dans plus de 90 % des cas en relation avec des antécédents d’agression sexuelle (X. Pommereau). Comme dans beaucoup de symptômes de l’adolescent, le médecin doit accompagner en favorisant l’expression. Si à la base, le rôle de médecin du corps est d’examiner et de prendre soin du corps, l’enjeu de notre démarche médicale est ici « de favoriser chez l’adolescent une autre définition de soi pour qu’il redevienne le sujet de son histoire et trouve des solutions moins dommageables pour son existence » (D. Le Breton).   Critères de gravité des scarifications de l’adolescent. (Inspiré de X. Pommereau.) • Âge : avant la puberté ou après 18 ans • Sexe : garçon • Localisation : face, thorax, cuisse, organes génitaux externes • Gravité : violence extrême des moyens • Association : contexte délirant, maladie psychiatrique, dépression • Caractère : durable et croissant • Ce qui est marqué… • Association à des brûlures  

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