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Neurologie

Publié le 27 aoû 2006Lecture 11 min

Quand arrêter un traitement antiépileptique ?

Cécile Marchal - Hôpital Pellegrin Tripode, CHU de Bordeaux
L’arrêt du traitement est le rêve de la plupart des épileptiques traités. Plus de 70 % d’entre eux obtiennent une rémission de longue durée sous traitement1.
Un arrêt progressif des médicaments peut alors être décidé, en accord avec le patient et son entourage, après une explication claire des risques et des bénéfices attendus. Au moins 60 % des patients ne rechutent pas dans ces conditions.
Pourquoi arrêter ? G. Scambler et coll2 ont montré que 25 % des patients admettent avoir essayé d’eux-mêmes d’arrêter le traitement, pour les raisons suivantes : la peur d’effets secondaires à long terme, une perte de confiance dans les médicaments qui ne servent qu’à empêcher les crises et pas à les guérir, et pour certains, l’idée que continuer le traitement signifie continuer à être épileptiques, même s’ils ne font plus de crises ; dans ce cas, seul l’arrêt leur permet de savoir s’ils sont toujours épileptique. On peut y ajouter chez l’enfant la peur des effets secondaires cognitifs ou comportementaux des anticonvulsivants sur un cerveau en développement, et les difficultés d’insertion scolaire des enfants épileptiques.   Les risques sur l’emploi ou sur le permis de conduire font hésiter bon nombre de patients bien insérés.   Seul un sevrage sans rechute permet de parler de guérison, y compris après une chirurgie de l’épilepsie, avec ce que cela comporte comme conséquences sur le plan psychosocial : outre la disparition de la maladie et de la stigmatisation qu’elle comporte, on peut citer aussi le permis de conduire (même si la plupart des patients en rémission depuis plus de deux ans sont autorisés à conduire), l’accès à certaines écoles ou professions (militaires en particulier), la grossesse sans risque tératogène. A. Jacoby et coll3 ont montré que la qualité de la vie des patients était considérablement meilleure, après avoir arrêté le traitement, et que, même parmi ceux qui avaient rechuté, la grande majorité ne regrettait pas d’avoir essayé. Malgré tout, les risques que fait peser un retour des crises sur l’emploi ou sur le permis de conduire vont faire hésiter bon nombre de patients bien insérés (40 % des cas ont refusé la randomisation dans l’étude prospective du Medical Research Council4 qui compare un groupe sevré à un groupe poursuivant son traitement). D’un autre côté, la perspective, annoncée dès le diagnostic, d’un arrêt possible des médicaments à plus ou moins long terme permet de changer la perception de la maladie pour le patient (il ne s’agit plus d’un traitement « à vie ») et même souvent d’améliorer l’observance, avec le raisonnement que chaque crise liée à un oubli éloigne le moment de la guérison. Enfin, il faut mentionner les études réalisées dans les pays en développement. Celle de M. Placencia et coll5 montre que 55 % de patients épileptiques non traités présentent une rémission des crises. Ce qui n’est pas très différent des chiffres trouvés dans les pays développés, à savoir 70 % de rémission sous traitement, dont 60 % peuvent aboutir à un sevrage. Cela suggère que quel que soit le traitement ou son absence, environ la moitié des patients épileptiques auront une rémission spontanée de la maladie.   Quel que soit le traitement (ou son absence), environ la moitié des patients épileptiques auront une rémission spontanée de la maladie.   Le risque de rechute Une méta-analyse des études dans lesquelles le sevrage est réalisé après deux ans de rémission6, tous syndromes confondus, donne un risque moyen de 25 % la première année, et de 29 % la deuxième. La majorité des récidives (90 %) se produit dans les deux premières années après l’arrêt (80 % dans la première). Par ailleurs, l’étude du MRC4 montre qu’un patient sous traitement, après 3 ans de rémission, a encore un risque de refaire des crises de 10 % par an.   Quatre-vingt dix pour cent des récidives se produisent dans les deux ans après l’arrêt du traitement.   Différents facteurs influent sur le risque de rechute :  Le syndrome épileptique Il peut conditionner, à lui seul, le pronostic. C’est le cas, par exemple, pour l’épilepsie juvénile myoclonique, dont on sait que les crises récidivent quasi constamment à l’arrêt du traitement alors qu’a contrario, les crises de l’épilepsie à paroxysmes rolandiques disparaissent systématiquement après la puberté avec ou sans traitement. Entre ces deux extrêmes, la situation est souvent moins simple : certains syndromes ont un pronostic plus ou moins favorable selon le type de crises présenté (par exemple, les absences de l’enfant isolées ont un meilleur pronostic que lorsque s’y associent des crises tonico-cloniques) ou l’âge de début (absences de l’enfant versus absences de l’adolescent). De plus, certains syndromes regroupent en fait des épilepsies fort différentes dans leur évolution (le groupe des épilepsies partielles lésionnelles, par exemple, en fonction de la lésion causale). Enfin le diagnostic syndromique n’est pas toujours facile à faire, ne serait-ce que sur le caractère partiel ou généralisé des crises, et en particulier pour les épilepsies rapidement contrôlées par le traitement.    L’âge de début La plupart des études retrouve un pronostic plus favorable quand l’épilepsie a débuté dans l’enfance, le risque de rechute atteignant 35 à 40 % chez l’adolescent, et autour de 30 % chez l’adulte, pour un risque de 20 % en moyenne chez l’enfant6. Mais il n’est pas toujours évident de différencier, dans ces études, l’âge de début de l’épilepsie (lié au type de syndrome), de l’âge auquel le traitement est arrêté, qui dépend de l’âge de début mais aussi de la durée de l’épilepsie, et de la difficulté à obtenir une stabilisation. Dans l’étude du MRC4, un âge supérieur à 15 ans au moment de la randomisation aggrave le pronostic.   Le pronostic semble plus favorable quand l’épilepsie a débuté dans l’enfance.    L’étiologie de l’épilepsie Les épilepsies symptomatiques ont moins de chance d’être contrôlées par le traitement que les épilepsies idiopathiques ou cryptogéniques, et de plus, F. Semah et coll7 ont montré que l’étiologie elle-même jouait un rôle dans la fréquence des rémissions obtenues, à l’intérieur d’un même syndrome. Après sevrage, les épilepsies symptomatiques ont un risque de rechute d’environ 50 %6, aggravant le pronostic essentiellement chez l’enfant, alors qu’il est peu modifié par ce facteur chez l’adulte4.    La gravité de l’épilepsie La plupart des études ont évalué l’influence de la gravité de la maladie en se basant malheureusement sur des facteurs variables. Les plus pertinents semblent être la fréquence des crises et le délai de réponse au traitement, mais aussi le nombre de crises sous traitement et la nécessité d’utiliser une polythérapie8. Des antécédents d’état de mal n’aggravent pas le pronostic après sevrage4,9.    Prédire la rechute Sur les modèles À la suite de l’étude du MRC8,10, il a été proposé un modèle prédictif de rechute pour les patients en rémission continuant ou arrêtant leur traitement. Outre le sevrage, il prend en compte et pondère la durée de la rémission, la polythérapie, l’âge au moment de la décision (plus ou moins de 15 ans), et l’existence de crises myocloniques ou tonico-cloniques, ainsi qu’un EEG anormal. Ce modèle peut prédire un risque de rechute entre 10 et 80 %, pour une population non sélectionnée d’épileptiques adultes. Il peut aider ainsi le patient à prendre la décision ou non d’un sevrage. D’autres modèles ont été proposés pour l’enfant en fonction du nombre de facteurs de risque9.   La valeur prédictive de l’EEG paraît plus importante chez l’enfant.    Sur l’EEG La valeur pronostique de l’EEG est discutée, les différentes études apportant des données contradictoires. Dans l’étude du MRC4, il n’apporte qu’un élément prédictif peu significatif, alors que chez l’enfant11 le risque de rechute passait de très faible quand le tracé était normal, à moyen quand il existait des anomalies lentes ou paroxystiques, et à près de 100 % quand les deux types d’anomalies étaient présentes. Dans le même type de population, C. Mastropaolo et coll12 ont trouvé une valeur pronostique défavorable aux anomalies photoconvulsivantes. La valeur prédictive de l’EEG paraît donc plus importante chez l’enfant.   Quand et comment arrêter ? Après combien de temps sans crise ? Habituellement, une durée de deux ans de rémission avant d’envisager l’arrêt du traitement est admise. Dans l’étude du MRC4, le risque de rechute diminuait quand la longueur de la rémission augmentait. Mais cela est vrai que le patient arrête ou non son traitement. En se basant sur l’évolution du groupe qui a poursuivi le traitement, augmenté des patients ayant rechuté après sevrage et remis sous traitement, D.V. Chadwick et A.T. Berg10 remarquent que le risque de survenue d’une crise est maximum dans l’année qui suit une crise (50 %) pour passer à 20 % après un an sans crise, et atteindre son minimum (10 %) à partir de 4 à 5 ans de rémission. Cette constatation leur permet de proposer un sevrage après 2 à 5 ans de rémission chez l’adulte. Chez l’enfant, ACB. Peters et coll.13 ont essayé des sevrages précoces du traitement, après 6 ou 12 mois de rémission, et ont montré que le taux de rechute à deux ans était le même dans les deux groupes ; mais il faut noter que ce taux était dans tous les cas supérieur à ce qui est rapporté après plus de deux ans de rémission (49 versus 29 %).   Habituellement, une durée de 2 ans de rémission est admise avant d’envisager l’arrêt du traitement.   Les modalités du sevrage Le sevrage se fait en diminuant le traitement de 25 % tous les deux ou trois mois, voire plus lentement selon les cas. Cependant, M. Tennison et coll.14 n’ont pas trouvé de différence dans le taux de rechutes lorsque le traitement est baissé sur 6 semaines ou 9 mois. Simplement, dans le premier cas, les rechutes surviennent plus tôt. Un contrôle de l’EEG en cours de sevrage peut permettre de rassurer le patient ou au contraire de ralentir, voire de rediscuter de l’opportunité du sevrage si des anomalies réapparaissent, en particulier chez l’enfant9,11.   Et s’il y a une récidive ? La grande majorité des crises survenant lors des récidives sont des crises tonico-cloniques, d’emblée ou secondairement. En ce qui concerne les états de mal, ils sont exceptionnels (4 % des enfants ayant récidivé dans l’étude de ACB. Peters et coll.13). Il y a peu de données sur la mortalité liée aux récidives, en dehors de l’étude du MRC4, dans laquelle deux patients sont décédés à cause d’une crise ; aucun des deux n’appartenait au groupe sevré. Une récidive après sevrage est vécue douloureusement mais, quand on en mesure les conséquences psychosociales, les effets de la rechute ne sont pas supérieurs à ceux ressentis par les patients qui ont poursuivi le traitement. Ainsi, moins de 10 % des sujets interrogés regrettaient d’avoir essayé d’arrêter leur traitement3. Dans la majorité des études, l’épilepsie est aussi bien stabilisée après une rechute qu’avant. Dans l’étude du MRC, 90 % des patients ayant rechuté parvenaient à une nouvelle période de rémission de 2 ans ; le pronostic après rechute est le même pour ceux qui ont été sevrés et les autres4. Même chose chez l’enfant, dans une étude plus restreinte portant sur le sous-groupe ayant récidivé lors d’une étude de sevrage du traitement ; une majorité d’enfants (28/40) ont une épilepsie contrôlée, avec ou sans traitement, plusieurs années après15. D’ailleurs, une première tentative de sevrage infructueuse ne préjuge pas du résultat d’un sevrage ultérieur chez l’adulte comme chez l’enfant4,9.   Conclusion Le sevrage du traitement est le plus souvent possible chez un patient en rémission, mais il doit être discuté au cas par cas, et jamais imposé à un patient réticent. Cette « guérison » apparente de l’épilepsie pose la question, qui ne sera pas résolue ici, de l’effet réel des anticonvulsivants par rapport à l’évolution naturelle de la maladie. Quelle qu’en soit la réponse, elle ouvre en tout cas des perspectives favorables à ces patients.  

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