Publié le 01 nov 2010Lecture 11 min
Malaises à répétition
D. ARMENGAUD, CHI de Poissy/Saint-Germainen-Laye
Adji, nourrisson de 11 mois, est amené aux urgences par les pompiers après un appel au domicile vers 16 heures, devant la survenue d’un malaise avec possible perte de connaissance.
Histoire clinique Alors que sa mère était au travail, Adji, gardé par sa grand-mère, a présenté un accès d’hypertonie généralisée, sans tremblements, ni clonies, ni autres mouvements anormaux, suivi d’une phase d’hypotonie globale, avec révulsion oculaire et vomissement alimentaire. Antécédents Cet enfant est le premier d’une jeune femme de 17 ans connue du service pour y avoir été hospitalisée quelques années auparavant à la suite d’une tentative de suicide médicamenteuse. La grossesse s’est déroulée sans problème particulier, de même que l’accouchement à terme. Le poids de naissance était de 3 090 g, la taille de 51 cm et le périmètre crânien de 33 cm. À l’âge de 9 mois, Adji a présenté un traumatisme crânien après une chute des bras de sa mère renversée par une voiture à faible vitesse. Une surveillance en unité d’hospitalisation de 12 heures avait conclu à un traumatisme frontal sans complication neurologique. Figure 2. Échographie abdominale normale : foie (A) ; pancréas (B). Examen clinique Figure 1. Courbe de croissance d’Adji. À l’entrée dans le service, l’enfant est apyrétique, avec une hémodynamique (FC : 108/min ; PA : 91/52 mmHg) et une saturation (98 % en air ambiant) correctes, une glycémie (dextro) à 0,46 g/l. Le poids est de 9 470 g, la taille de 74 cm (figure 1). L’enfant est somnolent, grognon, mais facilement réveillable. L’auscultation cardiaque est normale, le rythme régulier sans souffle, il n’y a pas de toux ou de détresse respiratoire et l’auscultation est libre, symétrique. L’abdomen est souple et indolore sans masse palpable. L’examen neurologique est sans particularité. La motricité spontanée ou au cours de l’examen paraît normale, les ROT sont présents, symétriques. Les paires crâniennes sont normales, les réflexes photomoteurs présents et symétriques. Il n’y pas de syndrome pyramidal ou extrapyramidal. Le développement posturomoteur de l’enfant paraît normal, ce qui sera rapidement confirmé par la mère jointe au téléphone, qui signale cependant qu’au cours d’un récent séjour au Maroc, dont ils sont revenus il y a une quinzaine de jours, une dizaine d’épisodes de ce type se sont produits… Un bilan biologique est prélevé et une échographie abdominale est pratiquée (figure 2). Quel est votre diagnostic ? Hypothèses diagnostiques Ce garçon a présenté une probable crise convulsive, mais devant cette perte de connaissance soudaine, sans facteur déclenchant évident, trois éléments sont « singuliers » et doivent attirer l’attention. • La notion de traumatisme crânien semi-récent, dont l’évolution initiale est simple, mais pourrait être à l’origine d’un hématome sous-dural progressif et conduire à la mesure du périmètre crânien afin de vérifier la régularité de la courbe (figure 1), ici à 47 cm toujours sur la médiane. • Le fait que la crise convulsive est survenue en dehors de tout contexte fébrile, ce qui est moins « banal » à cet âge, et surtout qu’elle n’est probablement pas « unique », rend plus probable le diagnostic d’épilepsie. Il n’y a pas d’antécédents de pathologie néonatale ou de retard des acquisitions posturo-motrices ou cognitives, mais cela incite cependant à poursuivre les investigations. Un EEG est pratiqué, ne montrant pas de signes évoquant une comitialité (figure 3). • Le dextro, qui doit être et rester systématique devant toute crise convulsive, est anormalement bas. Cette hypoglycémie est inhabituelle au décours d’un épisode convulsif où la réponse adrénergique au stress est plutôt source d’une hyperglycémie secondaire. Figure 3. EEG normal, dépourvu d’anomalie pouvant évoquer une comitialité. Ces arguments doivent conduire à la mise en place, en urgence, d’une voie d’abord veineuse avec apport glucidique nécessaire et suffisant pour rétablir cette constante « vitale » à un niveau normal. Le bilan biologique confirmera l’hypoglycémie capillaire par une glycémie sanguine à 2,8 mmol/l. La stabilité de la glycémie est une nécessité vitale assurant un apport énergétique adapté à l’organisme, quelle que soit la situation, notamment pour le cerveau, dont le glucose est le « carburant » essentiel. La survenue d’une hypoglycémie peut ainsi être source de souffrance neuronale, se traduisant par des troubles de la conscience ou une crise convulsive. Elle impose sa correction immédiate pour en limiter les conséquences néfastes et la détermination de son origine pour en empêcher la récurrence. La connaissance des mécanismes de régulation de la glycémie est la base du raisonnement diagnostique (figure 4), car plusieurs cas de figure peuvent se rencontrer dans ce contexte : • Chez le nouveau-né, c’est le plus souvent une inadéquation entre les apports glucidiques, le défaut de stockage et les besoins énergétiques très importants, notamment chez les prématurés et les hypotrophes, qui est la principale cause d’hypoglycémie : sa prise en charge et sa surveillance doivent être systématisées. • Une certaine quantité de glucose, stockée sous forme de glycogène dans le foie, est disponible en situation de jeûne pour assurer la continuité d’un apport glucidique. Un défaut de la glycogénolyse, représenté par les glycogénoses, peut se révéler de cette manière, mais l’aspect de l’enfant, la volumineuse hépatomégalie qui les accompagne en permettent le diagnostic, en sachant qu’elle peut être tellement « molle » qu’elle peut passer inaperçue… • Si le jeûne se poursuit, le taux d’insuline chute, ce qui privilégie l’apport cérébral de glucose (l’insuline est nécessaire au transport intracellulaire du glucose dans toutes les cellules de l’organisme sauf celles du cerveau). La lipolyse prend le relais avec augmentation des taux d’acides gras libres et de glycérol, qui sont utilisables par le muscle, mais non par le cerveau en l’absence de passage de la barrière hémo-encéphalique. Cependant, le métabolisme des acides gras est à l’origine de production de corps cétoniques qui, eux, peuvent être utilisés par le cerveau comme carburant de remplacement. La survenue d’une hypoglycémie, alors associée à une cétonémie et/ou une cétonurie, oriente vers un défaut du métabolisme lipidique. La recherche de corps cétoniques est donc essentielle devant toute hypoglycémie, et facile à réaliser (bandelette urinaire). Dans le cas présent, il n’y avait pas de cétonurie. Figure 4. Mécanisme de la réponse à la baisse de la glycémie. Cette « discordance » oriente vers trois diagnostics possibles : • un déficit en cortisol, mais le dosage de la cortisolémie retrouve un taux à 287 nmol/l (N : 190-750 nmol/l) ; • un déficit en hormone de croissance, mais l’analyse de lacourbe de croissance est plutôt rassurante ; • et, surtout, une sécrétion « inappropriée » d’insuline. Le dosage de l’insulinémie couplée à un cycle glycémique s’impose pour rechercher un hyperinsulinisme se caractérisant par un rapport insuline/glycémie anormalement élevé, et retrouvé dans le cas présent à de multiples reprises (tableau), alors que l’insulinémie est normale ou basse dans les deux diagnostics précédents. Commentaire L’hyperinsulinisme est la cause la plus fréquente d’hypoglycémie et peut se rencontrer dans plusieurs situations. En période néonatale : • lorsqu’un diabète maternel (ou gestationnel) n’est pas suffisamment équilibré, cela entraîne une hypersécrétion d’insuline « réactionnelle » par le foetus, conduisant à une macrosomie et surtout à des risques d’hypoglycémie néonatale en réponse à cet « emballement » métabolique ; • elle peut révéler un syndrome de Beckwith-Widemann, dont l’association omphalocèle, viscéromégalie, macroglossie fait évoquer le diagnostic ; • un certain nombre de mutations autosomiques récessives pouvant altérer le métabolisme de l’insuline ont été identifiées : – défaut du contrôle de la sécrétion d’insuline par anomalies fonctionnelles de canaux potassiques (mutation SUR1 ou Kir6), – augmentation de l’activité de la glycokinase modifiant le rapport ATP/ADP stimulant la sécrétion d’insuline (GCK), – association d’une hyperammoniémie, du fait d’une exagération de l’activité de la glutamate déhydrogénase (GLUD1), réduisant par ailleurs la transformation d’ammoniaque en urée, ce qui en fait un « marqueur » biologique d’accès facile. Chez l’enfant plus grand Un excès de production d’insuline d’origine « tumorale » peut être en cause, que ce soit une adénomatose diffuse des îlots de Langerhans (nésidioblastose) ou, après l’âge de 1 an, plutôt focale (adénome langerhansien), qui pourrait être localisée anatomiquement (échographie, IRM) ou fonctionnellement par PET-scan. Évolution • Le maintien d’une glycémie normale nécessitera la prolongation d’une perfusion de glucosé à 10 % pendant les explorations éliminant les causes métaboliques évoquées, avec confirmation d’un hyperinsulinisme sans hyperammoniémie (47 mmol/l). La production de glucose par le foie est chez l’adulte de 2 à 3 mg/kg/min. Les besoins métaboliques de l’enfant sont supérieurs, et le débit maximal du foie est de 5 à 7 mg/kg/min. Lorsqu’il existe un hyperinsulinisme, le débit de glucose par perfusion peut être de l’ordre de 20 à 30 mg/kg/min pour maintenir la glycémie, ce qui impose l’apport de glucosé par voie veineuse immédiat et prolongé pour stabiliser la glycémie avant de mettre en route le « traitement de la cause ». • L’échographie abdominale ne montrera pas de syndrome tumoral pancréatique. Un traitement par diazoxide sera mis en route à la posologie de 10 mg/kg/j, puis de 15 mg/kg/j en trois prises quotidiennes, avec normalisation des glycémies surveillées initialement par dextros pluriquotidiens et une bonne tolérance biologique de ce médicament (NFS, bilan hépatique). • Dans la majorité des cas, l’hyperinsulinisme est transitoire et se corrige spontanément à plus ou moins long terme, ce qui amène à faire un test d’arrêt thérapeutique une fois par an. Ici, deux tentatives de sevrage thérapeutiques seront réalisées à 9 mois et 18 mois de traitement, sans succès. Le traitement est alors poursuivi avec une bonne évolution clinique en termes de croissance staturopondérale et de développement cognitif, mais une mauvaise acceptation du fait de l’apparition d’un hirsutisme secondaire. • Dans les formes focales ou diffuses insuffisamment contrôlées par le traitement médical, une exérèse chirurgicale peut être proposée. Traitement médicamenteux de l’hyperinsulinisme Rappel de physiologie cellulaire Le glucose pénètre dans la cellule bêta par le transporteur GLUT2 ; il est phosphorylé par la glucokinase, et l’hydrolyse mitochondriale aboutit à la production d’ATP. L’augmentation du rapport ATP/ADP ferme un canal constitué de deux unités SUR1 (protéine régulatrice) et Kir6 (canal potassique). La fermeture du canal entraîne la dépolarisation de la membrane cellulaire, l’entrée du calcium dans la cellule et l’extrusion d’insuline. L’hypersécrétion d’insuline peut être réduite par deux mécanismes : – le diazoxide (Proglicem® 5 à 10 mg/kg/j en trois prises) est un sulfamide non diurétique de la famille des benzothiazines, il permet l’ouverture des canaux ATP potassium-dépendants composés de SUR1 et Kir6 non fonctionnels dans les formes diffuses. Il stimule également la sécrétion de catécholamines et la libération de glucose par le foie, ce qui en fait le médicament de choix de l’hyperinsulinisme ; – l’octréotide (Sandostatine®) est un peptide dont l’action est analogue à la somatostatine, qui inhibe la sécrétion d’insuline en activant le GPK (G proteine K channel), ce qui entraîne la polarisation de la cellule bêta, empêchant la rentrée du calcium dans la cellule et ainsi la sécrétion d’insuline. Les inhibiteurs calciques, qui empêchent l’entrée de calcium dans la cellule, diminuent, en théorie, l’insulinosécrétion, mais, dans cette classe, seule la nifédipine a montré une action de ce genre, sans toutefois une efficacité clinique démontrée. À l’inverse, les sulfonylurées, telle la tolbutamine, stimulent la sécrétion d’insuline en bloquant le canal potassique.
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