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ORL et Stomatologie

Publié le 25 sep 2006Lecture 15 min

Les otites chroniques

P. Tran Ba Huy - Hôpital Lariboisière, Paris

L’otite moyenne chronique peut se définir comme une inflammation prolongée, plus de 3 mois, des cavités de l’oreille moyenne. Cette définition aussi vague que consensuelle reflète mal la réalité clinique qu’affronte le clinicien. En pratique, cette entité « vedette » de l’otologie se présente sous de multiples formes cliniques, dont chacune constitue un processus pathologique actif caractérisé par des lésions anatomiques et histologiques irréversibles et par des données sémiologiques, otoscopiques et évolutives propres. L’otite moyenne chronique (OMC) ne constitue donc qu’un  terme générique recouvrant au moins cinq entités évolutives dont cet article se propose d’en résumer les caractéristiques et d’en discuter les éventuelles relations.

L’otite séromuqueuse (OSM) de l’enfance : première et la plus banale des entités   Définition Quasi constante dans l’enfance, elle se définit par la présence dans les cavités de l’oreille moyenne d’une effusion durant plus de 3 semaines, en l’absence de signes inflammatoires aigus, derrière une membrane tympanique normale. Cette effusion réalise un exsudat, conséquence d’une métaplasie mucipare secondaire à une inflammation, elle-même secondaire à une infection de la sphère ORL comme le démontre la présence en son sein de débris bactériens.     Diagnostic Le diagnostic en est habituellement aisé, pour peu que soit systématiquement effectuée une otoscopie chez un enfant présentant un défaut d’attention, des antécédents plus ou moins récents et nombreux d’otite aiguë, des troubles digestifs inexpliqués, ou surtout, un retard de langage. Cette otoscopie devrait, en fait, faire partie intégrante de tout l’examen clinique pédiatrique. Elle montre en ce cas, un tympan infiltré, épaissi, légèrement bombé, blanchâtre avec discrète inflammation du manche du marteau. Le diagnostic sera avéré par une éventuelle paracentèse permettant d’aspirer l’effusion séromuqueuse. Cette maladie dite d’adaptation qui témoigne de la rencontre d’un organisme vierge avec les germes du monde extérieur pose peu de problèmes thérapeutiques : il est admis qu’hormis l’aérateur trans-tympanique, aucun traitement médical n’est réellement efficace dans les formes prolongées.   Des points non résolus Cette entité soulève encore deux questions essentielles.    Son évolution C’est vers 5-6 ans que prend habituellement fin cet apprentissage immunitaire, certes émaillé d’accidents infectieux aigus plus ou moins sévères et plus ou moins fréquents. Dans l’immense majorité des cas, l’otite séromuqueuse ne laisse aucune séquelle, sinon le souvenir de paracentèses mouvementées et douloureuses, d’antibiothérapie tatillonne et prolongée, et/ou de poses répétées d’aérateurs trans-tympaniques*. Mais dans un nombre limité de cas, et pour des raisons mal connues, la pathologie se pérennise et évolue, d’où la seconde question.    Son rôle dans la génèse des autres formes d’otite chronique L’otite séromuqueuse est-elle le tronc commun, le passage obligé vers les différentes formes d’OMC que nous décrivons plus bas ou n’est-elle qu’un épiphénomène, un avatar infectieux sans rapport de causalité avec elles ? Il n’est guère possible de discuter ici les multiples arguments avancés en faveur de ces deux hypothèses. Retenons simplement que l’individualisation des différentes formes cliniques intervenant en règle au cours des premières années, il est primordial de suivre par l’examen otoscopique tout enfant ayant fait une ou plusieurs otites séromuqueuses afin de saisir la possible survenue de l’une des autres formes d’OMC (figure 1). C’est sans doute à cette période qu’il faut agir pour prévenir une évolution irréversible.     Figue 1. Schéma général de l’histoire naturelle des otites chroniques. Les OSM de l’enfance constituent peut-être le passage obligé des grandes formes cliniques d’otite chronique. Toutefois, la différenciation de ces différentes formes peut leur être antérieure et indépendante d’elles. Quatre grandes entités sont individualisées en règle plus tardivement : – l’otite muqueuse ouverte, qui pourrait compliquer ou résulter de phénomènes infectieux particulièrement sévères de l’enfance. Son évolution peut se faire vers trois complications : ostéite, métaplasie épidermoïde ou épidermose malléaire. Mais elle peut laisser des séquelles avec ou sans tympanosclérose. Cette dernière entité pourrait résulter d’agressions infectieuses sévères répétées ; – l’otite fibro-inflammatoire ou fibro-adhésive, qui pourrait compliquer l’évolution de certaines OSM sévères (glue ear) ; – l’otite atélectasique, qui pourrait compliquer ou résulter à la fois d’une fragilisation tympanique et d’un trouble de la ventilation muqueuse (pas forcément d’origine tubaire). Elle peut évoluer vers les poches de rétraction ; – cholestéatome, complication des poches de rétraction.  Que l’OSM, accident inflammatoire presque incontournable de l’enfance, joue ou non un rôle inducteur, il est essentiel de souligner que les autres formes d’OMC que nous allons voir vont, une fois amorcées, poursuivre leur propre évolution, permettant ainsi de définir trois grandes voies évolutives du processus otitique.   L’otite chronique avec perforation ou otite muqueuse ouverte (OMO) : deuxième entité Cette entité représente la forme la plus caractéristique d’otite chronique et paraît la conséquence d’accidents infectieux sévères et nécrosants ayant détruit la membrane tympanique et laissant une inflammation muqueuse traînante. Symptomatologie « Oreille humide » est sans doute le terme qui caractérise le mieux cette entité. Si une surdité existe, d’ailleurs souvent négligée, c’est le plus souvent pour une otorrhée minime, filante, inodore, ou au contraire purulente, abondante, et parfois fétide que le malade finit par consulter. L’otoscopie constate une perforation non marginale, soit antérosupérieure (c’est la classique perforation « tubaire »), soit centrale et réniforme (c’est le classique « haricot qui coule »). À travers cette perforation, la muqueuse apparaît œdémateuse, de couleur rose saumon et luisante.   Une classification simple et commode en 4 stades peut être utilisée pour caractériser l’état inflammatoire de la muqueuse : 1 = érythémateux ; 2 = érythémateux et sécrétant ; 3 = polypoïde ; 4 = polypoïde et sécrétant.   Évolution    Elle est souvent spontanément désespérante. Les épisodes de réchauffement se succèdent au gré des infections rhinopharyngées et des influences climatiques et saisonnières. Conséquence du «mouchage » répété par l’oreille, l’otorrhée peut provoquer des épisodes d’otite externe par irritation du revêtement cutané du conduit osseux. Parallèlement, la surdité de transmission s’aggrave lentement, avec éventuellement labyrinthisation.      Dans les formes particulièrement graves, trois événements peuvent marquer de leur sceau l’histoire de l’OMO : une ostéite, une métaplasie épidermoïde, une épidermose malléaire. Sans nous étendre sur les détails de ces 2 dernières complications évolutives, retenons qu’elles se caractérisent par la présence de kératine dans l’oreille moyenne,ce qui souligne que cette dernière ne signifie pas automatiquement cholestéatome.   Prise en charge • Antibiotiques par voie générale ou locale, corticoïdes en cures discontinues, notamment en cas d’épisode infectieux ORL, microaspirations répétées, soins locaux semblent essentiels. Ce n’est en principe que sur une oreille asséchée durant quelques mois – c’est-à-dire sur une oreille séquellaire – que doit être envisagé un acte chirurgical à visée fonctionnelle. • Mais, il est parfois nécessaire d’intervenir devant une forme rebelle à un traitement médical assidûment suivi. En refermant une perforation tympanique, en curetant les lésions muqueuses et osseuses irréversibles, l’acte chirurgical modifie les conditions locales de l’oreille moyenne, guérissant ce que certains auteurs ont appelé « la pathologie de la caisse ouverte ». La chirurgie se discute moins en cas de complications, c’est-à-dire en cas d’ostéite attico-mastoïdienne, de métaplasie ou d’épidermose mésotympanique. Par des voies d’abord et selon des techniques variées, elle consiste alors à cureter tous les foyers inflammatoires, muqueux et osseux, atticaux ou mastoïdiens, à éradiquer une épidermose mésotympanique, et à fermer la membrane tympanique.   L’otite fibro-inflammatoire ou fibro-adhésive : troisième entité Elle se caractérise par une symphyse conjonctive tympano-promontoriale, c’est-à-dire par un comblement du mésotympanum, et semble résulter d’une maladie du tissu conjonctif avec trouble de l’évolution du collagène au décours de certaines otites chroniques muqueuses à tympan fermé.   Physiopathologie Le(s) facteur(s) susceptible(s) de déclencher cette prolifération conjonctivo-inflammatoire anarchique restent inconnus : non-résolution d’un épanchement séromuqueux de l’enfance, toxicité particulière de certaines effusions, maladie primaire du tissu conjonctif de caisse, rôle délétère de facteurs de l’inflammation. En revanche, il est peu probable que ce soit un dysfonctionnement tubaire qui soit en cause. Il n’y a pas, en effet, de collapsus tympanique à proprement parler, et il n’est pas sûr que l’hypopression dans l’oreille moyenne soit significative.   Aspect clinique    La surdité de transmission évolue depuis des années. Les antécédents otitiques sont difficiles à faire préciser, tant est longue la période muette, qu’aucun épisode otorrhéique n’a apparemment troublée. L’otoscopie montre un tympan épaissi, gris-blanc, opaque, rétracté globalement ou par endroits sur le promontoire ou sur les reliefs ossiculaires tel un drap mouillé : le manche du marteau est becqué sur le promontoire, l’apophyse externe est anormalement saillante, l’articulation incudostapédienne est parfois lysée, l’étrier peut saillir. Les ligaments tympano-malléolaires forment un relief à la manière d’une corde à linge qui sous-tend le drap tympanique. Des zones de dépression sont observées qui n’ont cependant rien à voir avec les poches de rétraction que nous verrons plus loin.    Deux faits sont importants : – le couloir aérien péripromontorial a disparu, c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’espace aérien dans la caisse du tympan, qui est ainsi devenue virtuelle ; – une éventuelle paracentèse serait incapable de trouver un espace où placer un drain et le spéculum pneumatique de Siegle ne parvient pas à mobiliser la membrane tympanique, ce qui confirme l’absence d’aération de la caisse du tympan.   Évolution L’évolution spontanée de cette forme d’otite chronique ne semble pas réversible. C’est dire l’importance du dépistage des formes débutantes lors de la période charnière de différenciation otitique à laquelle nous avons fait allusion plus haut. L’attention du clinicien doit donc être attirée par certaines otites séromuqueuses atypiques : car se prolongeant au-delà de 5-7 ans ; car d’éventuelles tentatives d’aération trans-tympanique souvent difficiles et hémorragiques n’ont pas entraîné d’amélioration auditive ; car au fil des mois, le tympan s’opacifie et se rétracte insensiblement. C’est devant de tels signes qu’il faut suspecter une otite fibro-adhésive débutante. Contrairement à d’autres auteurs, nous ne pensons pas qu’un cholestéatome puisse jamais se développer sur une telle otite. Un cholestéatome attical peut, bien sûr, s’observer à côté d’une otite fibro-adhésive atriale ; il ne peut apparaître dans le compartiment propre à cette otite.   Traitement Il n’y a pas de traitement curatif. Le meilleur traitement est donc sans doute préventif. Il consiste à suivre toute épisode otitique de l’enfance semblant amorcer un processus adhésif et à tenter d’en stopper l’évolution.   L’otite atélectasique : quatrième entité Dernière grande entité clinique individualisable, l’otite atélectasique se caractérise par un collapsus partiel des cavités méso- et/ou épitympaniques, c’est-à-dire par la rétraction d’une partie plus ou moins étendue d’une membrane tympanique fragilisée. Son intérêt majeur vient de ce qu’elle constitue dans une de ses variétés un authentique état précholestéatomateux.   Physiopathologie Les mécanismes qui président à son apparition sont multiples et, pour une large part, méconnus. Deux d’entre eux semblent évidents : une hypopression dans l’oreille moyenne exerçant ses effets sur une membrane tympanique fragilisée.   Diagnostic : examen otoscopique On est amené à en faire le diagnostic dans diverses circonstances : examen systématique d’anciens patients otitiques, épisode d’otite séromuqueuse chez un adulte, ou hypoacousie d’installation progressive. Fait important, une otorrhée purulente ne s’observe qu’au décours de l’évolution des poches de rétraction, nous en verrons plus loin la raison. L’otoscopie permet immédiatement le diagnostic en montrant un tympan fin, pellucide et rétracté et surtout transparent (ce qui permet de distinguer formellement cette entité de la précédente). C’est en fonction du degré et du siège de la rétraction tympanique qu’il est possible d’opposer les atélectasies centrales et les atélectasies excentrées, encore appelées poches de rétraction. Cette zone de rétraction localisée en règle dans le quadrant postérosupérieur, peut selon son degré être classée en trois stades : – stade contrôlable, c’est-à-dire entièrement accessible à la vision sous microscope ; la poche à ce stade est auto-nettoyante ; – stade non contrôlable avec accumulation de produits de sécrétion épidermique brunâtres remontant sur les parois du conduit auditif externe telle une coulée de lave, et un aspect de faux bouchon de cérumen profond ; – zone de rétraction rompue, avec alors otorrhée intermittente, purulente ou non, plus ou moins abondante, et jamais observée auparavant dans l’histoire de la poche de rétraction. Cette dernière étape est absolument essentielle dans l’histoire de l’otite atélectasique car elle marque l’entrée irréversible de l’oreille moyenne dans le processus cholestéatomateux.   Évolution Toute poche de rétraction comporte donc un risque potentiel majeur d’évolution cholestéatomateuse et les règles cliniques suivantes peuvent être édictées : – toute poche contrôlable, découverte chez un enfant ou un adolescent, doit être surveillée durant quelques années afin de s’assurer de sa parfaite stabilité. Chez un adulte, deux examens successifs à un an d’intervalle doivent permettre de juger de son évolutivité éventuelle ; – toute otite sécrétoire survenant sur une oreille atélectasique signifie que celle-ci est en activité, et donc susceptible de se détériorer ; en conséquence, toute otite sécrétoire sur un tel terrain doit être traitée ; – toute poche non contrôlable constitue le dernier stade non cholestéatomateux de l’otite chronique. Elle doit donc être traitée comme tel, c’est-à-dire en pratique faire l’objet d’une chirurgie préventive ; – la survenue d’une otorrhée purulente, même minime, signe la rupture du fond de la poche et donc l’entrée de l’otite atélectasique dans la maladie cholestéatomateuse. Elle justifie une indication chirurgicale.   L’otite cholestéatomateuse : dernière entité clairement individualisée   Définition Le cholestéatome otitique représente l’évolution extrême d’une poche de rétraction. Il est donc constitué d’une paroi limitante faite des deux feuillets externe et interne de la membrane tympanique (la couche moyenne conjonctive étant quasi absente) et d’une accumulation de squames épidermiques provenant de la desquamation de la couche épithéliale malpighienne. Ceci définit donc le cholestéatome sac ou cholestéatome acquis primaire dont la gravité tient à son potentiel d’expansion et d’érosion.   Aspect clinique La clinique en est à la fois trop classique et trop abondante pour être décrite ici. La surdité et l’otorrhée classiquement fétide sont les signes essentiels. L’otoscopie retrouve des aspects souvent très évocateurs : croûtelle ou polype attical ; amas blanchâtre ou marron de squames épidermiques infectées ou sèches issu d’une poche de rétraction sous-ligamentaire postérieure ou antérieure. L’imagerie par tomodensitométrie est devenue quasi systématique dès lors que l’on suspecte un cholestéatome. C’est surtout l’ostéolyse des parois osseuses qui en est le signe le plus évocateur.  Les complications (méningite, paralysie faciale, signes vestibulaires spontanés, etc.) sont parfois révélatrices et font la gravité de cette entité.   Traitement Il continue à faire l’objet de débats passionnés entre tenants des techniques dites ouvertes ou fermées, débat dans lequel nous n’entrerons pas ici. Dans tous les cas, l’éradication et la prévention de sa récidive restent l’élément clé de toute décision thérapeutique.   Conclusion Ce texte, nécessairement succinct et schématique, ne saurait refléter l’extraordinaire complexité clinique de l’OMC. Il ne saurait non plus apporter des réponses aux questions pathogéniques ou thérapeutiques qui continuent d’alimenter la littérature otologique. Il essaie seulement de souligner que l’OMC se présente selon certaines grandes entités clairement distinctes les unes des autres appelant chacune une identification claire que permet une otoscopie soigneuse et une prise en charge particulière.  

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