Gastro-entérologie
Publié le 12 jan 2011Lecture 8 min
Les grandes avancées des 50 dernières années en pédiatrie : le soluté de réhydratation orale
D. TURCK, Unité de Gastro-Entérologie, Hépatologie et Nutrition, Département de Pédiatrie, Hôpital Jeanne de Flandre, Faculté de médecine, Université Lille 2
Le SRO, soluté de réhydratation orale, s’est imposé comme le principal traitement du risque de déshydratation engendré par la diarrhée aiguë chez le nourrisson et l’enfant, qu’elle soit d’origine bactérienne ou virale. Il constitue pour certains l’un des progrès thérapeutiques les plus importants du XXe siècle, notamment pour les pays défavorisés où les épidémies de diarrhée d’origine infectieuse déciment les populations d’enfants. La diarrhée aiguë est responsable d’une morbidité et d’une mortalité encore importantes chez le nourrisson en France, en raison du risque élevé de déshydratation à cet âge. La seule infection à rotavirus, qui représente plus de la moitié des cas, serait responsable chaque année d’environ 300 000 épisodes de diarrhée aiguë chez les enfants de moins de 5 ans, de 138 000 consultations, de 18 000 hospitalisations et d’une quinzaine de décès.
Conséquences de la diarrhée aiguë sur l’équilibre hydroélectrolytique du nourrisson La diarrhée est due à un déséquilibre entre l’absorption de l’eau et des électrolytes au niveau des entérocytes matures, situés préférentiellement au sommet des villosités, et leur sécrétion au niveau des cryptes. Les diarrhées aiguës par hypersécrétion, dont le modèle est le choléra ou l’infection à Escherichia coli entérotoxinogène, peuvent entraîner rapidement une perte élevée d’eau et d’électrolytes (concentration fécale de sodium supérieure à 60 mmol/l). Les diarrhées aiguës par diminution de l’absorption liée à la destruction des entérocytes, dont le modèle est l’infection à rotavirus, s’accompagnent de pertes hydriques et sodées plus faibles (concentration fécale de sodium de l’ordre de 30 à 40 mmol/l). Brève histoire de la réhydratation orale Depuis de nombreux siècles, l’administration de liquide par voie orale en cas de diarrhée fait partie des remèdes traditionnels. Il y a 3 000 ans, un médecin indien du nom de Sushruta recommandait déjà à ses patients présentant une diarrhée de boire de grandes quantités d’eau avec des morceaux de sel et de la mélasse. D’autres solutions, comme l’eau de riz, le jus de noix de coco et la soupe de carotte, ont aussi été proposées. L’utilisation moderne des solutés de réhydratation orale (SRO) chez l’enfant date des années 40 aux États-Unis, mais il a fallu attendre la fin des années 50 pour que la connaissance des mécanismes physiologiques de l’absorption intestinale permette d’expliquer leur efficacité clinique. Les SRO sont-ils réellement efficaces ? Quelles que soient la cause (germe invasif, germe entérotoxinogène, virus) et la physiopathologie de la diarrhée aiguë, il persiste dans la quasi-totalité des cas des capacités d’absorption intestinale des électrolytes et de l’eau permettant de compenser les pertes hydro-électrolytiques fécales. On a ainsi montré que l’absorption intestinale du sodium est couplée à celle du glucose (cotransport glucose-sodium). L’efficacité de la réhydratation orale est démontrée depuis de nombreuses années. Les premiers essais significatifs des SRO datent de 1971, lors d’une épidémie de choléra apparue en Inde chez des réfugiés provenant du Bangladesh, avec une réduction importante de la mortalité, qui passait de 30 à 3 %. La réhydration orale était ainsi saluée en 1987 dans un éditorial du Lancet comme le progrès médical potentiellement le plus important du siècle, permettant d’éviter chaque année des millions de décès dans les pays à faible niveau économique. Une méta-analyse, regroupant 13 essais cliniques réalisés dans des pays industrialisés, a montré que la réhydratation orale était aussi efficace que la réhydratation intraveineuse sur la durée d’hospitalisation et la prise de poids des nourrissons. Le taux d’échecs de la réhydratation orale n’était que de 3,6 % dans cette métaanalyse. La réhydratation orale permet d’éviter chaque année des millions de décès dans les pays à faible niveau économique. Quels SRO utiliser ? La Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques (ESPGHAN) a publié en 1992 des recommandations sur la composition des SRO destinés aux nourrissons atteints de diarrhée aiguë dans les pays industrialisés, avec comme principales caractéristiques un apport de sodium de 60 mmol/l et une osmolarité de 200 à 250 mOsm/l. Ces recommandations ont été établies à partir de l’analyse de l’élimination fécale des électrolytes (Na, K, Cl) au cours des diarrhées aiguës de diverses étiologies, en particulier en France. Il faut utiliser exclusivement les solutés actuellement commercialisés en officine (Adiaril®, Alhydrate ®, GES 45®, Fanolyte®, Hydrigoz ®, Picolyte® et Viatol®). Aucun produit actuellement commercialisé en France n’a d’avantage décisif sur un autre. Il faut également proscrire l'utilisation de solutés « maison » reconstitués de façon artisanale, a fortiori de l’eau pure, de l’eau de riz, de la soupe de carottes et des boissons gazeuses à base de cola, dont la composition n’est pas du tout adaptée. L’eau pure ne contient pas de sodium, ni de sucre, la soupe de carotte est dépourvue de glucose, un litre de Coca-Cola® contient 3 millimoles de sodium et moins d’1 millimole de potassium, pour une osmolarité de l’ordre de 500 mOsm/l. D’autres modifications de composition des SRO ont été proposées, telles la présence de citrates au lieu des bicarbonates pour compenser l’acidose, l’adjonction d’acides aminés (glycine ou glutamine, nutriment préférentiel de l’entérocyte) pour permettre d’équilibrer la balance azotée et favoriser la réabsorption du sodium, et l’utilisation d’autres hydrates de carbone que le glucose : saccharose, en raison du goût sucré qui améliore l’acceptation du SRO ; dextrine-maltose ou amidon de riz ou de céréales pour augmenter l’apport énergétique du SRO tout en conservant une faible osmolarité. Il n’a pas été démontré que les SRO ainsi modifiés aient une efficacité clinique supérieure à celle des SRO « classiques », qui contiennent principalement du glucose et des ions. L’association de probiotiques au SRO a également été étudiée. Une étude multicentrique a ainsi montré que l’adjonction au SRO de Lactobacillus GG s’accompagnait de manière significative d’une réduction moyenne de la durée de la diarrhée de l’ordre de 14 heures et d’une prévalence plus faible de diarrhée persistante à 7 jours. Les modalités pratiques d’utilisation des SRO ont été publiées en 2002 par le Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie. Les obstacles à l’utilisation des SRO Une étude sociologique a montré que les familles avaient une opinion souvent négative des SRO, qui ne ressemblent pas à un médicament classique (« de l’eau, du sel et du sucre ») et n’ont pas d’effet visible sur l’intensité et la durée de la diarrhée, confirmant ainsi le décalage entre les recommandations et les prescriptions réelles des soignants et leur application par les familles. Cette étude a également mis en évidence un paradoxe : l’efficacité et la validité scientifique d’un médicament, la facilité et la simplicité de sa préparation, ainsi que son faible coût peuvent en fait être des obstacles à sa consommation comme agent thérapeutique. En outre, l’absence de remboursement des SRO par la Sécurité sociale a longtemps été considérée, tant par les professionnels de santé que par les parents, comme la démonstration de la faible crédibilité de cette prescription, voire de la faible compétence du médecin. Un éditorial du New England Journal of Medicine mettait en exergue dès 1990 la sous-utilisation des SRO par les professionnels de santé. Qu’est-ce qui a contribué à l’amélioration de la prescription et de l’utilisation des SRO ? Depuis l’arrêté du 16 mai 2003, les solutés sont pris en charge pour les nourrissons et les enfants de moins de 5 ans atteints de diarrhée aiguë, grâce à leur inscription au TIPS (Tarif interministériel des prestations sanitaires) au prix de 6,20 euros pour un conditionnement d’au moins 10 sachets. Pour être remboursables, les SRO doivent ne contenir que des glucides (à l’exclusion du lactose), des électrolytes (sodium, potassium, chlore) et des agents alcalinisants (citrates ou bicarbonates). Ils doivent répondre aux spécifications suivantes, pour un sachet à dissoudre dans 200 ml d’eau : sodium compris entre 50 et 60 mmol/l ; potassium compris entre 20 et 25 mmol/l ; agents alcalinisants : citrates compris entre 8 et 12 mmol/l ou bicarbonates compris entre 24 et 36 mmol/l ; osmolarité inférieure ou égale à 270 mOsm/l. Des campagnes de sensibilisation des professionnels de santé, des médecins généralistes en particulier, ont permis une augmentation significative des prescriptions de SRO. Ainsi, une étude réalisée dans le département du Nord de décembre 2004 à février 2005 a montré une nette augmentation des prescriptions des SRO, avec un taux de 74 %, dont 71 % pour les médecins généralistes (contre 29 % en 1996 et 39 % en 1998) et 90 % pour les pédiatres. En pratique Le SRO est de loin la principale prescription au cours d’une diarrhée aiguë chez un jeune nourrisson. Ces modalités d’utilisation doivent être expliquées inlassablement aux parents en termes simples et clairs par le médecin traitant, le pharmacien d’officine et l’ensemble des professionnels de santé de l’enfant.
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