Publié le 14 déc 2010Lecture 8 min
Les fièvres récurrentes de l’enfant aux urgences : que peut la biologie pour nous aider ?
V. HENTGEN Centre de référence des maladies auto-inflammatoires de l’enfant, CH de Versailles, Le Chesnay
La fièvre est un symptôme majeur d’un grand nombre de pathologies de l’enfant : il s’agit d’un signe objectif et facilement mesurable. Au cours de sa vie, l’enfant va contracter de nombreuses pathologies qui génèrent de la fièvre, ce qui rend la notion de fièvre « à répétition » difficile à appréhender en pédiatrie.
Le signe d’alerte d’une fièvre récidivante est habituellement donné en premier lieu par les parents : ceux-ci trouvent que la fièvre revient « trop souvent » pour être normale. Or, à partir du moment où plane la suspicion d’une fièvre récurrente, il n’est pas rare de croiser un tel enfant aux urgences pédiatriques. Le praticien des urgences est donc en première ligne pour pouvoir orienter les parents et il doit être capable d’interpréter les examens biologiques effectués à l’occasion d’un épisode fébrile récidivant. Moins fréquemment, mais tout aussi probable, le praticien des urgences peut être confronté à un enfant avec une fièvre récurrente auto-inflammatoire identifiée. La difficulté majeure dans ce cas est de réussir à différencier une fièvre d’étiologie infectieuse de la fièvre récurrente liée directement à la maladie auto-inflammatoire. Cet article s’efforce de répondre à ces deux situations cliniques afin d’aider dans sa pratique quotidienne le médecin des urgences confronté à un enfant avec une fièvre à répétition. Le plus difficile est de distinguer une fièvre d’origine infectieuse sur fond de fièvre récurrente auto-inflammatoire. Qu’est-ce qu’une fièvre récurrente ? La fièvre récurrente est caractérisée par des épisodes de fièvre de durée spontanément limitée dans le temps séparés par des intervalles d’apyrexie, se reproduisant pendant des mois, voire des années. Afin de pouvoir retenir le diagnostic de fièvre récurrente, il faut en plus que ces épisodes fébriles soient d’étiologie unique. Toutes les fièvres ne répondant pas à tous les critères de la définition de fièvre récurrente sont à considérer comme des fièvres récidivantes (ou fièvres à répétition). Avec cette définition, il est aisément compréhensible que la majorité des épisodes fébriles de l’enfant n’est qu’exceptionnellement due à une fièvre récurrente, mais plutôt à des épisodes de fièvres d’étiologies variées (par exemple, infections virales de l’enfant en crèche, infections urinaires à répétition sur malformation urinaire, etc.). Qu’est-ce qu’une maladie autoinflammatoire ? La notion de maladie auto-inflammatoire est apparue dans la littérature après la découverte des gènes impliqués dans les fièvres récurrentes héréditaires. Il s’agit d’un groupe de maladies pour lesquelles il existe un dérèglement du système immunitaire inné, c’est-à-dire de la première réponse immunitaire non spécifique. Cette anomalie se situe principalement au niveau des monocytes et polynucléaires neutrophiles et se traduit par la sécrétion anormale de certaines cytokines telles que l’IL-1 β, l’IL-6 et le TNF α. Par définition, un malade atteint d’une maladie auto-inflammatoire n’active pas le système immunitaire adaptatif et ne produit donc ni d’autoanticorps, ni de lymphocytes autoréactifs. En pratique, il n’existe pas de test spécifique pour retenir le diagnostic de maladie auto-inflammatoire. Néanmoins, la sécrétion des cytokines IL-1, IL-6 et TNF α entraîne une augmentation non spécifique des protéines de la phase aiguë de l’inflammation (CRP, fibrinogène, ferritine, haptoglobine, etc.). Les maladies auto-inflammatoires sont liées à un dérèglement de l’immunité innée, précoce et non spécifique. Une fièvre récurrente auto-inflammatoire se caractérise ainsi par : – des signes cliniques en rapport avec l’activation du système immunitaire inné : fièvre, douleurs musculaires et inflammation des séreuses (arthralgies ou arthrites, inflammation du péritoine, de la plèvre, etc.) ; – des signes biologiques en rapport avec la sécrétion inappropriée d’IL-1, d’IL-6 et de TNF α: augmentation de la CRP et polynucléose neutrophile. L’absence d’auto-anticorps et de lymphocytes T autoréactifs signe l’absence de stimulation de l’immunité adaptative et permet de fournir un argument supplémentaire en faveur d’une fièvre récurrente auto-inflammatoire. Caractéristiques cliniques des principales fièvres récurrentes auto-inflammatoires de l’enfant FMF : fièvre méditerranéenne familiale. MKD (mevalonate kinase deficiency) = HIDS : syndrome hyper IgD. TRAPS : TNF receptor associated periodic syndrome. CAPS : cryopyrin associated periodic syndrome. PFAPA : adenopathy pharyngitis and aphtous stomatitis. Le tableau résume les caractéristiques cliniques des principales fièvres récurrentes auto-inflammatoires de l’enfant. Est-ce que la biologie permet de débrouiller le terrain aux urgences ? Fièvre à répétition Le praticien des urgences a un réel avantage clinique sur son collègue de la consultation devant un enfant suspect d’une fièvre à répétition : effectivement, lorsque l’enfant se présente aux urgences, il est fébrile, ce qui permet un examen clinique et des explorations biologiques au moment de la présence des signes cliniques. Ainsi, l’examen clinique permet souvent dans un premier temps de repérer des signes cliniques – parfois discrets – qui orientent soit vers une maladie plus banale soit, au contraire, vers une pathologie auto-inflammatoire. Dans ce dernier cas, ou si la fièvre est inexpliquée par l’examen clinique, la biologie est une aide majeure pour débrouiller le terrain. Comme nous l’avons expliqué ci-dessus la maladie auto-inflammatoire se caractérise par une activation anormale du système immunitaire inné avec en corollaire une augmentation des protéines de la phase aiguë de l’inflammation. Des examens très simples (NFS, dosage de la CRP) donnent ainsi une orientation clinique valable : – l’absence de syndrome inflammatoire ou l’élévation très modérée de la CRP après 24 heures d’évolution de la fièvre, oriente plutôt vers une étiologie type infection virale à répétition ; – la normalité de la NFS permet d’éliminer la rare neutropénie cyclique ; – la présence d’une élévation majeure de la CRP, en l’absence d’infection, permet d’orienter vers une fièvre récurrente auto-inflammatoire surtout si la disparition de la fièvre et du syndrome inflammatoire est spontanée. Toute la difficulté va donc consister dans le fait qu’il peut exister une augmentation importante de la CRP (des chiffres > 200 mg/l ne sont pas rares), sans que cela signe la présence d’une infection. L’hospitalisation de l’enfant peut donc s’avérer nécessaire afin de vérifier la bonne tolérance clinique de la fièvre et d’attendre plus sereinement le résultat des cultures bactériologiques, la disparition spontanée de la fièvre et du syndrome inflammatoire. Une élévation majeure de la CRP, en l’absence d’infection, permet d’orienter vers une fièvre récurrente auto-inflammatoire. Fièvre récurrente auto-inflammatoire : inflammation et/ou infection ? Autant la biologie est utile à la phase diagnostique d’une maladie auto-inflammatoire, autant elle est difficile à interpréter une fois le diagnostic de certitude posé. Tout comme les bactéries, les maladies auto-inflammatoires activent le système immunitaire inné et entraînent une augmentation des protéines de la phase aiguë de l’inflammation. Ainsi, leur capacité à différencier une infection d’une poussée de la maladie est nulle. La seule exception pourrait représenter la procalcitonine. Effectivement, cette protéine est produite sous influence quasi exclusive du TNF α et semble moins s’élever au cours des maladies auto-inflammatoires que lors des infections bactériennes généralisées. En revanche, la procalcitonine est un mauvais marqueur pour toutes les infections localisées (tels qu’appendicite aiguë non compliquée, infection osseuse), ce qui rend son utilité clinique en pratique courante très faible et la réserve qu’à quelques rares situations cliniques bien identifiées (méningite bactérienne et infection urinaire). La procalcitonine est un mauvais marqueur pour toutes les infections localisées. Conclusion La biologie peut être une aide précieuse pour le praticien des urgences à la phase diagnostique d’une fièvre à répétition, en revanche chez un malade avec une pathologie auto-inflammatoire identifiée, seul l’examen clinique minutieux et les examens bactériologiques permettent de différencier une infection bactérienne d’une poussée de sa maladie.
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