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Psycho-social

Publié le 07 juin 2010Lecture 11 min

Les consultations d’adoption : l’offre de soins se structure

A. de TRUCHIS, P. FOUCAUD, Hôpital de Versailles

Largement inspirées par celles de Pau et de Dijon, une vingtaine de consultations spécialisées dans la prise en charge des enfants adoptés ont vu le jour. Y a-t-il des pathologies particulières aux enfants adoptés ? Y a-t-il, dans la filiation et la parentalité adoptive, des spécificités telles que ces enfants ne puissent relever de la loi commune ? Ces consultations ne sauraient en aucun cas remplacer la prise en charge des enfants par leur pédiatre. Elles proposent plutôt une aide à des momentsparticuliers de l’histoire de l’adoption et de la vie de la famille.

L’augmentation du nombre de parents postulant à l’adoption, la raréfaction des enfants à adopter dans le monde et son corollaire, l’augmentation du nombre de pays sollicités, multiplient le risque que soient proposés des enfants âgés, des fratries, des enfants présentant des pathologies médicales, maltraités ou ayant passé des temps prolongés en institution, parfois issus de pays culturellement naïfs dans l’adoption. Aussi, les pédiatres, les pédopsychiatres, les psychologues, les associations de familles adoptantes, les services adoption des conseils généraux tirent depuis plusieurs années la sonnette d’alarme devant l’incidence de maladies ou de troubles graves du comportement, parfois découverts tardivement. Ce retard peut être le fait de l’ignorance ou de la fausse assurance donnée par les autorités du pays d’origine ; mais il peut aussi être provoqué par la difficulté de diagnostiquer certaines maladies devenues rares chez nous. En 2008, 4 000 enfants ont été adoptés en France, les deux tiers à l’étranger, issus de 74 pays différents. Pour un tiers de ces apparentements, les futurs parents ne sont pas accompagnés par un organisme agréé et font les démarches seuls. Au Canada, un enfant sur deux est suivi à l’adolescence en psychothérapie et, d’après une étude du Lancet (Hjern A, 2002), le risque de suicide serait multiplié par 3,5 ; le risque d’alcoolisme par 2,1 ; le risque de toxicomanie par 3,2 chez les enfants adoptés. Dans un inventaire à la Prévert, une première étude épidémiologique des consultations d’adoption avance des chiffres, à l’arrivée de l’enfant, de 30 % de retards staturopondéraux, 16 % de retard psychomoteur, 21 % de parasitose digestive, 12 % de dénutrition, 3 % de syndrome d’alcoolisme foetal, 3 % de tuberculose, 2 % de syphilis congénitale, 1 % de saturnisme, 4 % d’hépatite B, 15 % de dermatose.   Des consultations de préadoption Les consultations d’adoption offrent aux futurs parents une aide pour décrypter le dossier médical d’un enfant proposé à l’adoption, avant même son arrivée. C’est l’occasion également de donner des informations sur les pathologies les plus courantes dans les pays de recours, des conseils médicaux pour le voyage et une aide pour se préparer à leur rôle de parent. Alors que la préparation d’une adoption peut durer des années, avec les désagréments que l’on imagine dans un parcours d’hypofertilité (80 % des adoptants), le paradoxe est que la durée anormale de cette gestation peut parfois démobiliser les futurs adoptants dans leur travail de « parentalisation ». Lors de cette consultation, l’enfant revient au centre des préoccupations : la possibilité d’une narration détaillée du parcours permet d’éla-borer et de se détacher psychiquement des vicissitudes ad- ministratives ou médicales. Ce temps de préparation, nécessaire lors de la consultation, ne saurait être un moment où se décide le choix d’un enfant. Il permet simplement aux futurs parents de questionner leurs représentations personnelles du handicap, de la maladie, de la maltraitance et par là même de commencer à anticiper leur rôle de parent.   Des consultations à l’arrivée de l’enfant Lorsque l’enfant arrive de l’étranger, il est d’usage de proposer un certain nombre d’examens systématiques et d’autres spécifiques au pays de naissance. ● L’examen clinique doit être soigneux, n’oubliant pas l’aspect nutritionnel et anthropométrique, la recherche de dermatoses (gale, teigne), l’orientation parasitaire et infectieuse, l’examen dentaire, osseux, le stade pubertaire. Il faut également noter les premiers éléments d’évaluation de la motricité globale et fine, la qualité du langage, des jeux, du comportement de l’enfant avec ses parents et avec les étrangers. ● Les examens complémentaires sont à adapter aux origines de l’enfant : – NFS, bilan martial, plombémie, électrophorèse hémoglobine ; – ± bilan rénal et hépatique ; – Sérologies : HIV, syphilis, hépatite A, B, C ; – Rappel tétra-, penta- ou hexavalent. Un mois plus tard : dosage Ac antitétaniques et Ac anti-HBS ; – T3, T4, TSH chez l’enfant < 2 ans ; – IDR systématique, radiographie de thorax si symptômes ; – Coproculture et examen parasitologique des selles ± urines (Ag Helicobacter pylori dans les selles, en cas de symptomatologie) ; – Âge osseux si enfant > 4 ans (en particulier pour les filles), en cas de doute sur l’âge ; – Bilan du sang (Ca, P, 25 OHD3) et radiographie du crâne et des membres si suspicion de rachitisme. ● Il faut donner les premiers conseils diététiques. En l’absence de signe de dénutrition, l’enfant régule progressivement un appétit impressionnant à son arrivée ; un régime équilibré et adapté à son âge suffit. Si l’enfant est dénutri, il faut conseiller une réalimentation progressive avec des aliments bien cuits, sans fibres, sans morceaux, et du lait sans lactose pendant quelques semaines. La croissance doit être suivie régulièrement pendant les premières années. On prendra soin de prescrire d’emblée une vitaminothérapie D pour tous. ● Il est indispensable de mettre à jour les vaccins, ce qui peut s’avérer compliqué en l’absence de trace écrite. Les spécialistes de la vaccination déconseillent la surcharge immunitaire provoquée par une revaccination complète chez un enfant déjà immun ; il est donc d’usage de doser les anticorps antivaccinaux après relance immune par une injection tétra-, penta- ou hexavalente. ● Il est important d’évoquer le comportement de l’enfant (sommeil, appétit, scolarité, colères, propreté) ainsi que les limites, la période de régression, les rythmes, le mode de garde… On peut insister auprès des parents sur l’importance de la continuité, de la mise en place de rituels, et sur l’importance de prendre son congé d’adoption avec l’enfant, qu’on ne scolarisera pas trop vite. Cette première consultation est également le moment où se raconte l’adoption devant l’enfant. La qualité du récit peut lui permettre de mettre en perspective et de donner du sens aux éléments de son histoire, et de tisser ainsi des liens généalogiques. Enfin, le repérage des adoptions « à risque » (parents âgés ou « psychorigides », couple constitué depuis longtemps, adoption peu éthique, trop rapide ou idéalisée, enfant affectivement carencé, maltraité ou déjà grand) justifie un nouveau rendez-vous, dans un deuxième temps, qui doit aider les parents à comprendre les enjeux de l’adoption.   Consultations à distance de l’arrivée de l’enfant Il est souvent utile de revoir l’enfant pour un suivi anthropométrique lorsque la première consultation a suspecté un nanisme psychosocial ou une microcéphalie d’hypostimulation, pour une évaluation psychométrique si des difficultés surviennent à l’école, et plus généralement, pour s’assurer que des troubles du sommeil, de l’alimentation ou autre ne s’installent pas. Plus tard, les consultations d’adoption sont parfois sollicitées pour des suspicions d’erreur d’âge ou de puberté précoce. Les diagnostics peuvent être complexes ; il faut souvent savoir attendre pour décider d’une erreur d’âge, dont les conséquences sociales sont importantes, ou, au contraire, se dépêcher pour une suspicion de puberté précoce. Le plus souvent, les médecins de l’adoption sont interpellés à distance de l’arrivée de l’enfant, pour des troubles du comportement. Les symptômes peuvent alors être méconnus par l’entourage depuis des années ou au contraire ramenés systématiquement à l’adoption. La question souvent posée par la famille, « est-ce lié à l’adoption, docteur ? », exige du médecin une bonne connaissance des enjeux psychiques de l’adoption et de savoir reconnaître des troubles de l’attachement.   Les troubles de l’attachement La théorie de l’attachement a été développée au début du XXe siècle par un pédiatre et psychanalyste anglais, John Bowlby. Il stipule que l’enfant utilise un registre comportemental inné, biologique, intuitif dès la naissance, servant à « s’attacher » la personne qui lui répondra de la façon la plus adéquate et durable, notamment pour les soins et la communication. Lorsque aucun adulte ne répond de façon adéquate aux besoins de l’enfant, celui-ci constitue un schéma intérieur de plus ou moins grande sécurité. C’est ce sentiment de sécurité intériorisé par l’enfant qui lui permettra de développer ses capacités intellectuelles et sociales, puis de devenir autonome. Du côté des parents, leur schéma d’attachement propre leur permettra de répondre de façon plus ou moins adaptée aux sollicitations de l’enfant.   Le vécu de l’enfant L’adoption apporte une dimension particulière à l’attachement. En effet, l’enfant confié longuement à des orphelinats, souvent en pénurie de personnel, s’habitue à la vacuité devant ses appels au secours et finit par désespérer de l’adulte. Progressivement, il n’appelle plus celui qui n’est plus une personne de recours, et le registre biologique semble « gelé ». Il a, de surcroît, vécu de multiples séparations : sa mère, l’orphelinat, son pays... Ces séparations sont autant d’attaques à un système psychique homéostatique. L’enfant constitue alors des défenses, il devient « invulnérable », et saura ne plus s’attacher pour ne pas se séparer.   Le vécu des parents d’adoption De leur côté, les parents adoptants malmenés par leur histoire, le deuil de l’enfant biologique et l’attente très prolongée, émaillée de ruptures, déceptions et fausses joies lors des démarches d’adoption, peuvent voir leurs processus de parentalisation et leurs schémas d’attachement se fragiliser, se rigidifier. Le nouveau départ affectif, cette naissance au processus de filiation que constitue une adoption, est une chance formidable donnée à l’enfant de renaître au désir d’un parent. Ce processus va s’arrimer et se construire sur l’envie que l’enfant et ses parents auront de trouver des sensations corporelles infantiles relevant des registres de l’attachement et du nursing. On conseille donc généralement la proximité physique, les consolations, de ne pas laisser l’enfant pleurer seul et de contenir les colères…, en quelque sorte, de laisser l’enfant vivre un état du bébé qu’il n’a pu être. Cela peut se révéler complexe lorsqu’il s’agit pour les parents de poser, dans le même temps, les limites à la toute puissance infantile, sans lesquelles la sensation de sécurité n’est pas possible. Il ne faut pas, en revanche, s’empresser de mettre tous les comportements d’un enfant adopté et surprenant ses parents sur le compte de troubles de l’attachement. Mais cette théorie peut servir de support pour une guidance parentale. Les récents et dramatiques événements survenus en Haïti ont provoqué, en quelques semaines, l’arrivée de centaines d’enfants en cours d’adoption. La sollicitation anxieuse de parents, souvent « grands prématurés » dans leur parentalité lorsque l’enfant arrive plusieurs semaines/mois avant la date prévue, les pathologies infectieuses multiples, la dénutrition des enfants arrivés en catastrophe, le syndrome de stress posttraumatique présenté par tous, avec des tableaux cliniques complexes et intriqués, ont permis d’évaluer grandeur nature la réactivité des consultations d’adoption. Il est vraisemblable que, même à distance, elles auront encore leur utilité, pour déterminer, devant certains symptômes, ce qui relève ou non d’un comportement propre à l’adoption . En lien avec les différents professionnels, et en particulier les médecins de ville, avec les associations de parents, parfois financées en partie par les conseils généraux, les consultations d’adoption tentent de s’organiser. Le cahier des charges, soumis aux ministères concernés, fait la part belle à l’activité pédiatrique, qui doit rester le fondement de la prise en charge de l’enfant adopté, au même titre que celle de tous les enfants.

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