Publié le 11 aoû 2009Lecture 15 min
Les complications loco-régionales des pharyngites
D. GALLAS, Senlis
Au cours du 115e Congrès de la Société française d’ORL et de chirurgie de la face et du cou, les Prs J-P Sauvage (Limoges) et V. Couloignier (Paris Necker), et le Dr R. Kania (Paris Lariboisière) ont abordé, en s’appuyant sur les recommandations officielles de la Société française d’ORL, les complications cervicales infectieuses des pharyngites de l’adulte et de l’enfant les plus communes : angines et rhinopharyngites.
Ces recommandations officielles portent sur les adénites cervicales aiguës, les phlegmons périamygdaliens, les infections péripharyngées localisées (infections pré-styliennes, adénites rétropharyngées, adénites rétrostyliennes) et les cellulites cervicales profondes extensives. N’ont pas été abordées les causes infectieuses d’origine dentaire, traumatiques et kystiques. De même, n’ont pas été discutées les techniques d’anesthésie inhérentes à ces complications. La survenue des complications loco-régionales des pharyngites est majorée chez l’adulte par la consommation de tabac (grade B). La prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens pourrait constituer un facteur de risque de complications cervicales infectieuses des pharyngites (avis d’experts). La prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens dans le cadre d’une varicelle majore très probablement le risque de complications cervicales infectieuses nécrosantes des pharyngites (grade B). Dans le cadre des cellulites, la prescription de corticoïdes serait associée à la survenue de médiastinite (avis d’experts). Les adénites cervicales aiguës bactériennes La palpation d’adénopathies cervicales chez l’enfant est banale ; seules celles supérieures à 10 mm sont considérées comme pathologiques (grade B). Les signes cliniques sont la fièvre, les cervicalgies, une tuméfaction latéro-cervicale uni- ou bilatérale, un érythème ou un oedème cutané. Les critères cliniques de suspicion d’une adénite aiguë bactérienne sont : • antécédent de pharyngite ou d’angine ; • durée d’évolution inférieure à 15 jours ; • âge du patient compris entre 1 et 4 ans ; • caractère unique de l’adénopathie ; • taille de l’adénopathie supérieure à 10 mm (recommandation grade B). On distingue plusieurs phases évolutives et d’extension : • inflammation limitée au ganglion avec stade pré-suppuratif puis suppuratif ; • extension aux tissus de voisinage (adénophlegmon) non collectée puis collectée. Les suppurations sont plus fréquentes en cas d’infection à S. aureus ; • fistulisation cutanée ou muqueuse. Les critères cliniques de suspicion d’abcédation sont la taille et les modifications cutanées en regard (érythème, fluctuation) (grade B). En dehors de la fistulisation cutanée ou muqueuse, les complications des adénites pharyngées sont rares. Les germes en cause (grade C) sont : avant un an, le S. aureus et les Streptocoques du groupe B ; au-delà d’un an, S. aureus et S. pyogenes du groupe A. S. aureus est très fréquent dans les adénites collectées et S. pyogenes dans les adénites non collectées, particulièrement chez l’enfant de plus de 3 ans. Les anaérobies doivent être suspectés en cas d’origine dentaire. Les causes extra-bactériennes sont plus fréquentes après l’âge de 5 ans : mononucléose, toxoplasmose. En France, l’incidence actuelle des S. aureus méthicilline-résistant est faible. Traitement et suivi La plupart des adénites se traitent en ambulatoire. Les examens biologiques et l’imagerie sont inutiles en cas d’adénite aiguë non compliquée traitée en ambulatoire (grade C). L’antibiothérapie per os recommandée est l’amoxicilline-acide clavulanique en l’absence d’allergie à la pénicilline ; dans le cas contraire, le choix est possible entre une céphalosporine de 2e génération per os, une céphalosporine de 3e génération IM ou les lincosamides (lincomycine per os). La durée de prescription doit être de 10 à 14 jours (au moins 5 jours après la résolution des symptômes) (grade C). Dans le cas d’adénites non collectées, particulièrement chez l’enfant de plus de 3 ans (S. pyogenes), un test de diagnostic rapide des infections à streptocoques A peut être pratiqué et une prescription d’amoxicilline effectuée en cas de positivité. Les antalgiques et antipyrétiques sont associés. Dans les cas s’aggravant malgré un traitement antibiotique oral bien conduit depuis 72 heures, l’hospitalisation est nécessaire (avis d’experts). Le bilan biologique inflammatoire (NFS, CRP, procalcitonine) associé à un bilan général adapté à la clinique doit être effectué et éventuellement répété en cas d’évolution défavorable. La ponction à la seringue à aiguille, de diamètre suffisant, d’une éventuelle collection pour évacuation peut être effectuée, éventuellement sous échoguidage, et répétée si récidive de la collection. On réalisera des hémocultures en cas de syndrome septique général. La mise en culture en aérobie et anaérobie avec antibiogramme doit être réalisée, éventuellement aidée par des techniques de PCR. Une imagerie par échographie ou tomodensitométrie est nécessaire. L’échographie est moins coûteuse, non irradiante, d’accès plus facile, mais d’interprétation moins aisée par le clinicien. Aucun de ces deux examens n’est totalement fiable pour différencier un état présuppuratif d’une collection (grade C). L’antibiothérapie intraveineuse recommandée est l’amoxicillineacide clavulanique ou une céphalosporine de 3e génération en l’absence d’allergie à la pénicilline ; dans le cas contraire, le choix est possible entre une céphalosporine de 3e génération ou les lincosamides (lincomycine ou clindamycine après 3 ans). Les indications de drainage chirurgical en cas de collection ne font pas l’objet d’un consensus. Elles sont systématiques pour certaines équipes, et réservées pour d’autres en cas d’échec d’une ou plusieurs ponctions ou de volumineuses collections. Une lame de drainage doit être laissée de 48 à 72 heures pour faciliter les lavages. Le retour à domicile avec antibiothérapie orale pour une durée d’au moins 5 jours après la résolution des symptômes se fait avec les conditions cliniques suivantes réunies. Bon état général, 48 heures d’apyrexie, masse cervicale en cours de régression. Les parents du patient doivent être prévenus de la persistance d’une masse cervicale palpable pendant plusieurs mois. Les phlegmons péri-amygdaliens Pathologie rare avant 10 ans, ils surviennent surtout chez l’adolescent et l’adulte jeune de moins de 40 ans (grade C). Ils font suite à une amygdalite dans 90% des cas et à une pharyngite sans atteinte amygdalienne dans les 10% restants. Les récidives de phlegmon surviennent dans environ 10% des cas (grade C). Leur physiopathologie reste discutée : soit diffusion purulente entre la capsule amygdalienne et la paroi musculaire pharyngée, soit infection des glandes salivaires accessoires situées au-dessus de l’ogive amygdalienne dans le palais mou (glandes de Weber). Dans un contexte fébrile, s’associent (grade C) : • odynophagie ; • absence de torticolis ou de raideur cervicale ; • absence de tuméfaction cervicale, en dehors d’éventuelles adénopathies satellites ; • élargissement du pilier antérieur de l’amygdale avec oedème du voile ; • déviation controlatérale de la luette ; • trismus, en rapport avec l’extension inflammatoire aux muscles masticateurs situés au contact de l’espace paratonsillaire ; • sialorrhée du fait de l’obstruction du carrefour aérodigestif et de l’odynophagie ; • plus rarement, dyspnée en cas d’hypertrophie amygdalienne jointive préexistante ou des rares formes bilatérales de phlegmon. La principale complication est l’extension à l’espace préstylien (grade C). Le traitement peut parfois s’effectuer en ambulatoire sous réserve d’un avis ORL. L’aphagie, le trismus ou l’absence d’amélioration sous traitement bien conduit de 72 heures nécessitent le plus souvent l’hospitalisation. L’imagerie par tomodensitométrie est inutile sauf : • un examen endo-buccal impossible à cause de trismus; • la suspicion d’une infection pré-stylienne ; • en cas d’échec de la ponction sans amélioration clinique; • chez l’enfant de moins de 5 ans du fait de la rareté du diagnostic et de la difficulté de l’examen en cas de trismus. Traitement et suivi L’antibiothérapie est d’abord intraveineuse puis orale, pour une durée moyenne totale de 10 jours (avis d’experts). La cible bactériologique est la flore commensale oro- et nasopharyngée (en moyenne 3 germes isolés), prioritairement anaérobie stricte (bacilles Gram – et cocci Gram +), éventuellement associée à des germes anaérobies. L’antibiothérapie recommandée est l’amoxicilline-acide clavulanique en l’absence d’allergie à la pénicilline ; dans le cas contraire, on préférera l’association d’une céphalosporine de 3e génération parentérale avec du métronidazole. Une dose unique de corticoïdes permettrait de mieux soulager la douleur, le trismus et la fièvre, sans augmenter le risque d’évolution défavorable (grade B). La réhydratation et le traitement de la douleur sont systématiquement associés. La ponction aspirative (avec prélèvement bactériologique aéro- et anaérobie) est aussi efficace que l’incision-drainage. Elle est moins douloureuse et peut être répétée (grade B). Toute incision-drainage doit être précédée d’une ponction pour confirmer et localiser l’abcès et éliminer un pseudoanévrysme mycotique de la carotide (avis d’experts). L’amygdalectomie est indiquée en cas d’angines à répétition ou de phlegmons péri-amygdaliens récidivants, ce d’autant que le patient a moins de 30 ans (grade B). Dans ce cas, l’amygdalectomie à chaud s’effectue en même temps que l’évacuation de la collection, sans augmentation du risque hémorragique par rapport à une intervention réalisée à froid (grade B). L’indication d’amygdalectomie est controversée en cas de premier épisode de phlegmon péri-amygdalien. Les infections péripharyngées localisées Seront d’abord traités les caractères physiopathologiques et cliniques de chaque forme, puis les éléments communs au bilan et à la prise en charge. Les infections péripharyngées localisées nécessitent toutes une hospitalisation systématique et urgente. Les infections rétro-styliennes Infections de l’adulte et de l’adolescent, leur principale étiologie est d’origine dentaire, suivie par les phlegmons péri-amygdaliens et les angines (grade C). L’infection à point de départ amygdalien ou du tissu celluleux péri-amygdalien traverse le fascia bucco-pharyngé qui borde la face externe des muscles pharyngés, pour atteindre l’espace cellulo-graisseux paratonsillaire. Celui-ci est propice à la liquéfaction, entraînant généralement une abcédation, pouvant rester circonscrite ou s’étendre aux espaces adjacents, donnant naissance à une cellulite cervicale profonde extensive (grade C). Le tableau clinique (en dehors de la propagation fréquente aux espaces adjacents) associe (grade C) : • fièvre ; • odynophagie ; • tuméfaction sous-mandibulaire et parotidienne ; • tuméfaction de la paroi pharyngée latérale déjetant l’amygdale en dedans ; • trismus ; • sialorrhée ; • absence de torticolis ou de raideur cervicale. Les adénites rétropharyngées et rétro-styliennes Il s’agit en fait d’adénites de l’enfant de moins de 7 ans, âge auquel les ganglions rétropharyngés et rétro-styliens régressent. Le point de départ est plus souvent rhinopharyngé qu’amygdalien. L’existence d’une capsule ganglionnaire ou d’une coque d’abcédation limite fréquemment l’extension de l’infection à ces deux espaces. Les principales complications de l’infection rétropharyngée sont l’obstruction des voies respiratoires, les pneumopathies d’inhalation en cas de fistulisation muqueuse pharyngée, et les épidurites en cas d’extension pré-vertébrale exceptionnelle (grade C). Les principales complications de l’infection rétro-stylienne sont neurovasculaires (grade C) : • thrombophlébite de la veine jugulaire interne avec risque de septicémie et d’emboles septiques à distance (syndrome de Lemierre, généralement secondaire à une infection à Fusobacterium necrophorum) ; • pseudo-anévrysme mycotique de la carotide interne avec risque de rupture, thrombose ou occlusion de l’artère ; • paralysie des nerfs mixtes IX à XII, ou atteinte de la chaîne sympathique cervicale. Le tableau clinique associe (grade C) : • fièvre ; • odynophagie ; • torticolis ou raideur cervicale (par inflammation des plans musculaires pré-vertébraux) ; • tuméfaction cervicale (en cas d’adénite rétro-stylienne) ; • tuméfaction latéro-rétroamygdalienne souvent discrète (en cas d’adénite rétro-stylienne) ; • tuméfaction médiane de la paroi pharyngée postérieure (en cas d’adénite rétropharyngée) avec sialorrhée rare ; • absence de trismus. Un bilan tomodensitométrique cervical et thoracique s’étendant de la base du crâne au médiastin inférieur est réalisé en urgence. Il s’effectue avec injection de produit de contraste biphasique (imprégnation tissulaire puis bolus vasculaire). Il permet d’obtenir des informations diagnostiques, topographiques, pronostiques, et guide la thérapeutique. Les étiologies bactériennes sont les mêmes que pour les phlegmons péri-amygdaliens (flore commensale pharyngée). Traitement et suivi L’antibiothérapie intraveineuse puis orale, la réhydratation et le traitement antalgique (en évitant les antalgiques dépresseurs respiratoires) sont identiques. Une héparine de bas poids moléculaire à doses préventives peut être prescrite en cas d’isolement de Fusobacterium necrophorum ou de tableau septique sévère. L’antibiothérapie IV recommandée (grade C) en hospitalisation est l’association soit de céphalosporine de 3e génération + métronidazole ± lincosamide soit piperacilline-tazobactam ± lincosamide. En cas d’allergie aux céphalosporines, et après l’âge de 15 ans, on préférera l’association levofloxacine + métronidazole ± lincosamide. L’ajout de lincosamide est à réserver aux cas de signes toxiniques du fait de son efficacité contre le choc toxique streptococcique ou staphylococcique. Le relais en ville sera assuré soit par amoxicilline-acide clavulanique, soit en cas d’allergie aux pénicillines par ceftriaxone IM + métronidazole, soit levofloxacine (après 15 ans) + métronidazole. Pour les infections pré-styliennes, en dehors des formes bien circonscrites non compliquées, le traitement chirurgical associe une amygdalectomie à chaud, éventuellement complétée d’un abord chirurgical externe sous-mandibulaire. Pour les infections rétropharyngées et rétro-styliennes de l’enfant, le drainage chirurgical s’impose en cas de collection volumineuse (> à 15 mm dans son plus petit axe) ou d’absence d’amélioration clinique après 72 heures de traitement médical bien conduit. Il s’effectue par voie endo-buccale si la collection est en dedans de l’artère carotide interne. Les cellulites cervicales profondes extensives Elles sont le plus souvent la conséquence des infections préstyliennes d’origine dentaire, amygdalienne, ou compliquant les phlegmons péri-amygdaliens. Elles s’étendent le long des espaces aponévrotiques, qui ne constituent pas des barrières à la diffusion de l’infection. L’extension peut se faire en hauteur de la base du crâne au médiastin inférieur et atteindre tous les espaces cervicaux et médiastinaux. Toutes les complications précédemment citées peuvent survenir, auxquelles se surajoutent les risques de médiastinite (pleurésie, péricardite). Elles engagent le pronostic vital du fait des complications cervicales, médiastinales, et générales (sepsis sévère, choc septique, défaillance multiviscérale) (grade C). Le tableau clinique retrouve un tableau d’infection pré-stylienne depuis plusieurs jours, auquel se surajoutent des signes devant faire évoquer une infection cervicale profonde extensive : • syndrome septique sévère ; • trismus ; • torticolis ± limitation des mouvements du cou ; • dyspnée ou dysphonie ; • tuméfaction cervicale et/ou faciale ; • placard cutané inflammatoire mal limité ; • crépitation sous-cutanée (de mauvais pronostic) ; • signes de médiastinite. La tomodensitométrie devra préciser l’étiologie, les complications, l’extension du processus infectieux, particulièrement l’existence d’une atteinte médiastinale inférieure (sous la carène et la crosse de l’aorte) qui impose un double abord chirurgical par voie cervicale et thoracique. L’hospitalisation doit se faire en urgence en réanimation, et réunir une équipe multidisciplinaire. Outre les mesures de réanimation et l’antibiothérapie intraveineuse immédiates, le traitement chirurgical se fait en urgence : cervicotomie permettant l’accès au médiastin antérieur, associée à une thoracotomie en cas d’atteinte médiastinale inférieure. Elle consiste, après prélèvements bactériologiques en aéro-et anaérobie à : • ouvrir, laver et drainer les espaces aponévrotiques cervicaux et médiastinaux antérieurs par voie cervicale ; • exciser les tissus nécrotiques. De même pour l’atteinte médiastinale inférieure par voie de thoracotomie. Ce traitement sera répété quotidiennement sous anesthésie générale jusqu’au contrôle complet des espaces cellulitiques, qui permettra une fermeture différée des voies d’abord. Si nécessité, l’intubation prolongée sera préférée à la trachéotomie (avis d’experts). En cas de thrombo-phlébite septique de la veine jugulaire interne, une anticoagulation à doses efficaces par une héparine à bas poids moléculaire est préconisée pour une durée de plusieurs mois (pas de consensus sur la durée de traitement) Un pseudo-anévrysme de la carotide nécessite une interruption du flux carotide interne en amont, par voie chirurgicale ou par radiologie interventionnelle (grade C). Le suivi clinique ORL, tomodensitométrique et d’éventuelles complications (musculaires, nerveuses et esthétiques) sera prolongé. Conclusion L’absence de recommandations de sociétés françaises ou étrangères sur le problème des complications loco-régionales des pharyngites devrait conduire à proposer pour validation le texte long de ces recommandations à la Haute Autorité de Santé.
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