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Pédiatrie générale

Publié le 12 mai 2008Lecture 12 min

La fièvre aiguë de l’enfant : expliquer pour convaincre les familles

F. CORRARD, Combs-la-Ville

Nous pensions que la fièvre était responsable des convulsions fébriles, de l’hyperthermie maligne et du comportement malade. Une remise en cause de tous ces attributs dénude la fièvre pour la considérer simplement comme le témoin de l’activation de la défense immunitaire de l’enfant et même, un facteur de survie dans des maladies particulièrement graves.

Les connaissances ont bouleversé la place de la fièvre et la manière de la gérer. Il est rare qu’une telle remise en cause concerne autant notre quotidien. Avant de pouvoir faire adhérer les parents à une telle volte-face, une introspection personnelle est indispensable pour modifier notre discours médical. Historique Les résultats concordants et dramatiques d’études sur le devenir des convulsions fébriles, réalisées de 1949 à 1978 par des neuropédiatres renommés, ont traumatisé le monde médical et par voie de conséquence les parents : retard mental (22 % !), difficultés d’apprentissage, retard de langage, troubles du comportement, déficit de l’attention, épilepsie résiduelle 20 fois plus fréquente que dans la population générale et menace à chaque accès fébrile d’un état de mal convulsif avec ses séquelles et la possibilité de décès ! Dès lors, tout degré dépassant le seuil fatidique des 38°C devait être terrassé par tous les moyens. Cet acharnement a imposé les refroidissements externes (bain frais avec son adage «  température de l’eau 2°C inférieure à la température rectale », enfants déshabillés, boissons fraîches, application de vessies de glace…) et des excès thérapeutiques (traitement systématique de la fièvre avec un voire deux antipyrétiques  régulièrement alternés et pendant un temps maintenant révolu, l’adjonction systématique de diazépam abrutissant rapidement les enfants. Trois études épidémiologiques (1-3) sans biais ont marqué l’aube de la renaissance : Les enfants nés pendant une semaine donnée et ayant présenté une convulsion avec fièvre (définition internationale de 1980), ont été évalués à l’âge de 10, 11 et 12 ans : pas de décès ni de déficit neurologique, même développement que les autres enfants, voire dans une petite étude une meilleure mémoire (!), une fréquence d’épilepsie plus importante pour laquelle on peut s’interroger quant à la responsabilité directe de la convulsion. La responsabilité de la fièvre est remise en cause   Fièvre et convulsion • La clinique rapporte la possibilité, chez un même enfant, de convulser avec un niveau de fièvre qui peut être dépassé ultérieurement sans manifestation. • Des enfants ayant convulsé ont reçu juste avant la crise autant de paracétamol que des enfants témoins. • Trois études n’ont pu démontrer l’intérêt des antipyrétiques pour éviter la récidive de convulsion avec fièvre.   Fièvre et hyperthermie maligne L’analyse des conditions de survenue de ce syndrome exceptionnel, grevé de son pronostic redoutable (séquelles, décès), met en évidence l’association d’une fièvre banale et des conditions hyperthermiques (surhabillement, en particulier couverture de la tête, surchauffe de la pièce…),  faisant dénommer ce syndrome :  fièvre-hyperthermie.   Fièvre et comportement malade On a coutume d’attribuer à la fièvre toutes les altérations du comportement de l’enfant malade : apathie, diminution de la capacité d’efforts intellectuels, de l’intérêt de communiquer, des explorations, de l’appétit, de la soif. Une meilleure connaissance des conséquences de la réaction immunitaire permet de disculper la fièvre. Une meilleure connaissance des conséquences de la réaction immunitaire permet de disculper la fièvre. Le médiateur caché du comportement  en cas de défense immunitaire : les cytokines Au cours de la réaction de défense de l’organisme, la bataille immunitaire libère dans le courant sanguin, à partir de nos cellules immunocompétentes, des cytokines, et en particulier les interleukines IL-1, IL-6, le TNF, et des interférons. Ces cytokines vont déclencher, par l’intermédiaire de l’enzyme COX2, la synthèse de prostaglandine PEG2. Cette prostaglandine agit sur le centre régulateur de la température situé dans l’hypothalamus antérieur qui déclenche la fièvre (figure 1) (rappelons que simultanément d’autres substances font baisser la température, régulant ainsi spontanément la fièvre).   Figure 1. Activation de la fièvre : synthèse de PEG2 par l’enzyme COX2.     Par ailleurs, cette PEG2 stimule dans le foie la branche afférente du nerf vague (parasympathique), véritable sentinelle du tronc et de la tête. Cette activation entraîne la sécrétion intracérébrale des mêmes cytokines (IL-1, IL-6 et TNF).     Quelles sont les fonctions de ces cytokines ?   Interleukine 1 et convulsion • Chez la souris, l’injection de forte dose d’IL-1 déclenche une convulsion et reste sans effet lorsque l’animal, génétiquement modifié, ne comporte pas de site récepteur à l’IL-1. • Chez l’enfant, les leucocytes prélevés après une convulsion avec fièvre secrètent 8 fois plus d’IL-1 (p = 0,0007) que ceux d’un groupe qui n’a pas convulsé(4).   IL-1, IL-6, TNF et comportement malade • Chez la souris, des manipulations génétiques montrent le rôle de IL-1, IL-6 et TNF pour ce comportement. • Chez l’homme, au cours de maladies prolongées (EBV, virus Ross River, fièvre Q), l’augmentation IL-1 et IL-6 est corrélée avec fièvre, malaise, douleur, fatigue, diminution de concentration, inconfort (5). Trois heures après une vaccination contre la typhoïde, en l’absence de fièvre, IL-6 est augmenté de 106 % chez les patients qui perçoivent un inconfort par rapport aux autres (6). • Lors d’une injection de faibles quantités de toxine de salmonelles versus sérum physiologique IV en double aveugle qui n’entraîne pas de fièvre, les élévations de l’IL-1Ra (antagoniste du récepteur de l’IL-1 qui témoigne de la présence d’IL-1), IL-6 et TNF sont corrélées à une augmentation de signes d’anxiété, de dépression et une diminution de la mémoire et de la faculté d’apprentissage (7). • Lors de la grippe A ou d’infections à rhinovirus, l’augmentation de l’IL-6 s’associe à des signes dépressifs avec diminution des affects positifs. • Les traitements par cytokines (IL-2 et interférons) provoquent souvent (45 %) une dépression compensée par la prise d’antidépresseurs. • Inversement, la dépression psychique s’accompagne souvent d’une augmentation des cytokines. Les liens entre immunité et psychisme sont donc tenus et le comportement malade au cours de la fièvre est une « dépression immunitaire ». Le comportement malade s’apparente à une dépression psychique. Ainsi, comportement malade et convulsion apparaissent en même temps que la fièvre, mais leurs activations sont parallèles. Ils sont parfois associés à la fièvre mais ils n’en sont pas directement dépendants. Une nouvelle image de la fièvre Depuis 600 millions d’années, l’augmentation de la température corporelle est un moyen de survie. Ceci a été démontré pour de nombreuses espèces (poissons, amphibiens, reptiles, mammifères). En cas de maladie, les espèces vivantes dont la température dépend de l’extérieur, cherchent des emplacements plus chauds (eau chaude, soleil). Chez l’homme, pour les maladies courantes, les tentatives pour démontrer l’intérêt de la fièvre pour la guérison ne sont pas démonstratives. Par contre, il y a consensus pour les maladies graves (sepsis, méningites). On pourrait ainsi concevoir la fièvre comme un signal de l’activation immunitaire, mobilisée à partir d’un certain niveau de défense (la majorité des stimulations immunitaires ne s’accompagne pas de fièvre) et utile dans des agressions graves. Comment transmettre aux parents ce nouveau visage de la fièvre ?   Le poids des mots Il faut tout d’abord extirper de notre discours les expressions devenues familières avec le temps, qui véhiculent les anciennes conceptions de la fièvre. • Convulsion fébrile  : l’association de ces deux mots stigmatise la force de l’association. Il serait plus juste de dire « convulsion avec fièvre ». •  Les antipyrétiques. Les médicaments utilisés sont à la fois antipyrétiques et antalgiques. Dans la mesure où leur intérêt principal est la lutte contre l’inconfort, il serait plus cohérent de les nommer par la propriété qui se rapproche le plus de ce but. L’effet antipyrétique devient un effet secondaire. Nous devrions nommer ces médicaments « les antalgiques ». • Le traitement de la fièvre. Dans la bouche d’un médecin, le mot traitement concerne une maladie ou des blessures. Cet amalgame tend à considérer la fièvre comme résumant la maladie. Erreur manifeste ! Utilise-t-on ce mot en médecine pour apaiser une soif, considérer une polypnée ou tout autre réaction physiologique ? • La tolérance de la fièvre. Qui n’a pas utilisé cette expression ? Elle figure dans tous les manuels de pédiatrie et sous-tend que la fièvre peut s’accompagner de signes d’intolérance. À elle seule, cette expression résume notre conception du demi-siècle passé ! On doit désormais parler de « tolérance de la maladie »   Le choc des images Rien de plus efficace pour figurer la valeur et la place de la fièvre que de l’associer à une image familière. Pour la physiologie : image de la main ouverte, la paume figurant le siège de la maladie, les 5 doigts représentant les stimulations des cytokines (figure 2).   Figure 2. Effets des cytokines IL1, IL6, TNF libérées à partir du foyer infectieux comparable à une mêlée de rugby ("la mêlée immunitaire").     Pour la conduite à tenir : image du tableau de bord d’une voiture. Un voyant s’allume (essence, ou autre). Que faites-vous ? Vous empressez-vous de coller un adhésif pour masquer le voyant (cas du paracétamol, réflexe habituel) ou prenez-vous en compte ce signal ?  Évaluer la situation et prendre une décision.     Quatre situations particulièrement didactiques • Face à un enfant fébrile qui va bien, que ce soit au cabinet ou lors d’un appel téléphonique, demander aux parents ce qu’ils doivent faire et rappelez-leur que la fièvre n’est pas dangereuse. • À un grand enfant fébrile, expliquez-lui sa maladie et rendez-le autonome en lui proposant, s’il ne se sent pas bien, de demander un médicament à ses parents. • Les consignes post vaccinales. Bien souvent, un médicament est proposé systématiquement après l’administration d’un vaccin susceptible d’effets secondaires le soir. Une étude montre, qu’après information et conseil de médication seulement en cas d’ « état grognon », l’administration d’antalgique est de 31 % et que l’adhésion des parents à cette démarche est très forte (87 %). • La classique ordonnance « en cas de fièvre » pour la crèche. La rédaction proposée est : si fièvre (> 38°C), – soit le confort est préservé : pas de médicament, boissons à proposer, ne pas surcouvrir l’enfant, ne pas surchauffer la pièce ; – soit le confort n’est pas préservé : ici prescription de l’antalgique. En fait, cette demande serait plus adaptée si elle était formulée « en cas d’inconfort ». Comment accompagner les parents dans cette remise en cause ? Au-delà des mots et des situations, quels sont les principes de l’accompagnement parental pour accepter une telle remise en cause d’acquis si bien ancrés ? C’est par la négociation et la répétition que le psychisme peut évoluer, par des essais successifs, des expériences progressives, pour renoncer à un système de référence et en investir un autre. Cette transition a un coût (inquiétude, interrogations). Cet effort n’est justifié que s’il y a compensation narcissique. Ce plaisir tient dans la valorisation de l’image de l’enfant aux yeux de ses parents. La découverte de la fièvre signifie que, sans attendre l’intervention de ses parents, l’enfant a déjà enclenché seul ses défenses immunitaires. C’est une démonstration d’autonomie et une invitation à la respecter et ce, sans médication si le confort de vie de l’enfant est conservé. Ce cheminement nécessite empathie et disponibilité de notre part. La structure de nos soins, par la fréquence des consultations, la fidélité des parents et la qualité de la confiance qu’ils investissent dans notre relation (ne sommes-nous pas la seule personne qui ne soit pas sur la photo de famille ?) est particulièrement adaptée à de tels accompagnements. Avantages et risque de cette nouvelle approche ?   Trois bénéfices • Une plus grande sérénité, puisque la peur est recentrée sur la seule source d’inquiétude légitime : la maladie. Finie la fébrilité de ces mamans qui retirent le thermomètre des fesses de leur enfant devant l’affolement des chiffres avant que ceux-ci n’aient eu le temps de se stabiliser ! • Une valorisation des compétences de l’enfant. Son autonomie est révélée à travers la fièvre. Du statut de petit être fragile subissant l’agression, plus ou moins sauvé par les défervescences médicamenteuses, il revêt un rôle actif. • Une valorisation des compétences des parents. Tyrannisés par la phobie des maux attribués à la fièvre, encadrés par le caractère systématique et obligatoire de l’administration de médicaments, ils reprennent leur jugement et leur autonomie pour apprécier leur degré d’intervention en fonction de la connaissance de leur enfant.   Le risque. C’est celui de banaliser l’origine de la fièvre. La fièvre n’est pas la maladie. La levée des inquiétudes sur la fièvre ne doit pas entraîner une passivité générale, mais recentrer la mobilisation sur la cause de la maladie.                                        

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