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Psycho-social

Publié le 16 mar 2009Lecture 5 min

L’instinct paternel n’existe pas !

Philippe BRENOT - Directeur d’enseignement à l’Université Paris V, Président de l’Observatoire international du couple, Paris
Après un troisième «oubli» d’un enfant par son père, dont deux décès, en quelques mois, la question de l’intérêt des hommes pour leur progéniture se pose de façon aiguë à toutes les femmes bien sûr, mais peut-être aussi à certains représentants masculins de l’espèce humaine. « Mais l’instinct ? » ,me direz-vous. L’instinct n’existe certainement pas, ni chez les hommes ni chez les femmes.
On sait combien certaines mères abandonniques montrent une absence totale de lien d’attachement avec l’enfant. Il existe, par contre, un ensemble de mécanismes bio-psychologiques qui organisent un attachement puissant, durable et inaliénable entre l’enfant qui vient de naître et l’être qui lui est le plus proche :en général, la mère. Le mécanisme d’« empreinte »,décrit par Konrad Lorentz chez les ovipares et plus largement dans le monde animal, a été clairement montré chez les humains, même si la période d’imprégnation est certainement plus longue et difficile à définir. On pourrait résumer ainsi l’empreinte éthologique par un mécanisme génétiquement déterminé qui, à la naissance, imprègne le nouveau-né de l’objet permanent le plus proche de lui pendant les premières semaines, les premiers mois. Ce formidable élan d’attachement est alors vécu par la mère sur un mode émotionnel qui la marque profondément et crée à son tour un profond lien psychologique, qui sera ensuite modulé par les éléments de la personnalité que sont la responsabilité, la culpabilité, la conscience… La psychologie de la grossesse est enfin l’un des grands bouleversements de la vie féminine mêlant des sensations charnelles au sentiment de dédoublement et créant une sorte de conscience permanente envers cette part de soi-même progressivement autonome ,mais fragile et bouleversante. La mère se sent alors « terriblement responsable » de cet être fragile qu’elle vient de mettre au monde , attentive, vigilante, tant la proximité est grande avec ce nouveau- né issu d’elle-même. Rien de tout cela pour le père. Le père, lui, n’existe pas ! Comme il n’a jamais existé, à part quelques rares exceptions, chez les mammifères. «Pourquoi ?, me direz-vous, ce n’est pas logique. Je connais des pères très investis, très impliqués, très maternants. Oui, bien sûr, mais le mécanisme n’est pas du tout le même ». Leur responsabilisation procède d’un investissement personnel par une construction psychologique, aujourd’hui plus répandue, qui fait à certains pères partager avec la mère une part de l’accompagnement du petit enfant. Mais,plus fondamentalement, le père n’existe pas chez les mammifères, en raison de la grossesse «cachée» des femelles qui ne leur permet pas de faire une relation de cause à effet entre une copulation (souvent avec plusieurs partenaires) et une naissance neuf mois plus tard. Le père est ainsi, chez les humains, une construction psychique secondaire. Comme le dit si justement Boris Cyrulnik,« la mère baptise le père en disant à l’enfant :c’est lui ton père ! ». Le plus généralement, cet homme est le père naturel, mais ce peut également être le conjoint, l’homme du moment, un étranger de passage… Cette profonde asymétrie entre le mâle et la femelle à propos de l’enfant se poursuit tout au cours de l’élevage du petit humain :le lien enfant mère est une donnée puissante et inaliénable, créant une conscience permanente de la présence ou de l’absence, souvent une vigilance de tous les instants. C’est d’ailleurs un fréquent reproche des hommes envers les femmes :« Pour toi, il n’y a que les enfants qui comptent ! ». Et une difficulté pour de nombreuses femmes à investir le couple en présence des enfants. La conscience féminine du lien parent enfant contraste alors d’autant plus avec l’absence de sollicitude et parfois, le désintérêt de certains pères. La représentation qu’ont les hommes et les femmes de leur enfant est extrêmement différente, surtout lorsque le père n’a pas investi la fonction parentale. Prise dans des angoisses de tous les instants, surtout lorsqu’il est tout petit, la mère se sent terriblement responsable et ne peut oublier son enfant, tandis que certains pères peuvent avoir des inattentions, des négligences, voire même un « oubli de l’enfant », tant il n’est pas dans le registre de leurs préoccupations, de leurs représentations mentales. Par obligation morale, cet homme peu investi tente alors de participer aux tâches d’accompagnement parental et peut, à l’extrême, « oublier » son enfant, avec les conséquences dramatiques que l’on vient de vivre. Ces deux drames illustrent, s’il en était besoin, l’absence d’instinct paternel, mais également d’investissement psychologique de l’enfant, par de nombreux mâles de l’espèce humaine. Ce « meurtre par oubli » apparaît comme l’aboutissement extrême d’un comportement masculin qui fait si souvent violence aux femmes :le désinvestissement domestique et parental. Nulle excuse à cela, nulle atténuation de la culpabilité, c’est aujourd’hui aux hommes de comprendre ce que vivent leurs compagnes et de partager ce vécu s’ils veulent construire un couple avec elles. La fonction paternelle n’existant pas de façon naturelle, les hommes ne peuvent l’acquérir que par apprentissage, c’est-à-dire par intérêt pour la mère de cet enfant qui est souvent le leur.

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