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Comportement

Publié le 09 oct 2008Lecture 13 min

L’enfant petit : parfois une pathologie sociale

M. et C.COLLE, Bordeaux

Lorsqu’au début du siècle dernier, la médecine était encore occupée à réduire la mortalité infantile, les difficultés liées à la croissance d’un enfant paraissaient relever davantage de l’économie familiale que de la médecine. « Mange ta soupe, tu grandiras » constituait l’expression en vigueur et la question trouvait (ou non) son règlement quelque part entre la cuisine et la discipline. La prise de conscience des problèmes de la taille et leur aménagement en termes de pathologie vont de pair avec l’amélioration du niveau de vie et l’évolution de la société occidentale. Est-ce cette amélioration qui a fait de la petite taille un facteur de souffrance ? Et si oui, sous l’empire de quels facteurs ? Peut-on estimer qu’être petit relève de la médecine ou bien de la cosmétique ?

 
Mais la société n’a-t-elle pas créé une niche entre les deux avec la médecine dite « de confort » ? Et, ne faut-il pas « vivre avec son temps » et préparer son enfant à s’insérer au mieux dans la société ? N’est-ce pas du devoir des parents ? Et ce devoir, jusqu’où va-t-il et où s’arrête-t-il ?  Car comment s’arranger d’un patrimoine génétique non conforme aux exigences de la société ? La réflexion, à propos d’un problème que l’on pouvait considérer comme secondaire, prend  alors la densité des questions sociales.   La santé est un état de bien-être selon l’OMS Dans une société qui repose sur l’individualisme, le surinvestissement de l’apparence, le culte du corps, les techniques d’uniformisation des goûts en réponse aux besoins du marché — pas seulement pharmaceutique —, on est en droit de se demander si on ne passe pas insensiblement de la prise en charge médicale à la prise en charge existentielle. Ce que semble d’ailleurs autoriser l’Organisation mondiale de la santé à travers la définition de cette dernière comme un état complet de bien-être physique, mental et social, définition sur laquelle on appuie le concept de qualité de la vie.   Grandir :  pour être plus grand ou pour être aussi grand que les autres ? Les interrogations des familles sur le bien-être présent et futur de leur enfant, celles des prescripteurs qui croient au soulagement apporté par telle thérapeutique, parce qu’ils entendent cette souffrance particulière que peut infliger le manque de taille, toutes ces angoisses partenaires sont le cadre de cette réflexion. En la matière, la pré-notion sociologique — et elle est abondamment répandue — veut que si l’on veut grandir, c’est pour être grand. Grand, c’est-à-dire surtout, plus grand que les autres. Or, l’écoute des personnes concernées par le problème permet de l’affirmer : ceux qui veulent grandir le veulent, non pas pour être grand mais pour être normal, pour être comme tout le monde. Il s’agit donc ici de considérer la nature d’une demande dont l’objet ne relève pas de la pathologie pure, mais semble répondre à ce que l’on pourrait appeler une pathologie sociale : en dehors des situations de pathologie hypophysaire avérée, ce sont souvent des soucis d’ordre social que les parents ont en tête lorsqu’ils consultent pour une petite taille de leur enfant et décident de le soumettre à une thérapeutique. Ce sont souvent  des soucis d’ordre social que les parents ont en tête lorsqu’ils consultent pour une petite taille de leur enfant. Qu’est-ce qu’être petit ? À bien y réfléchir, être petit  engage de nombreuses données. Et d’abord, dans l’absolu, une relation entre celles de l’espace et du temps qui apparaissent coordonnées ou non. Être petit quand on est enfant, c’est normal : le temps et l’espace se conjuguent dans l’intervalle des données d’une espèce. On est dans le biologique : on est petit parce qu’on est jeune. Tout de suite après, être petit engage une valeur relative : on peut aussi être petit à l’âge adulte, et là, on est plus petit que les autres. Et quand on est plus petit que les autres, on est vite trop petit : la réalité physique se double d’une appréciation. Et là, on tombe dans le social. Car cette appréciation a des conséquences pratiques, réglementaires, mais aussi affectives, qui relèvent largement du psychologique. Être petit quand on est enfant, c’est normal ; à l’âge adulte, là, on est plus petit que les autres. Le volume corporel joue un rôle majeur dans la socialisation. La prise de conscience d’un défaut de taille ou de croissance est le plus fréquemment liée à la première socialisation de l’enfant, à partir de 4 ans. L’école, lieu de comparaison avec les autres de même âge, est la plupart du temps le révélateur du problème. On dit bien « se faire une place dans la société » et il apparaît logique que la place que l’on s’y fait soit proportionnelle — ou inversement proportionnelle — au volume corporel dont on dispose. Il n’est qu’à considérer le poids social conquis, aux États-Unis, par les associations d’obèses ; les personnes de petite taille ne témoignent pas des mêmes désirs de reconnaissance et souhaitent, bien au contraire, gagner les centimètres nécessaires pour vivre dans l’anonymat de la taille moyenne.   Les années 70 et la confluence de paramètres nouveaux Mais si le désir de belle taille est de tous les temps, la réponse apportée par l’hormone de croissance change la donne de la situation, d’une part en offrant une solution, mais aussi en modifiant semble-t-il la nature de la demande, en constituant une demande nouvelle. Le sociologue D. Le Breton affirme qu’alors, « un nouvel imaginaire du corps est né dans les années 60 », modelant de nouvelles représentations collectives(2). Ce nouvel imaginaire repense la place attribuée au corps dans le domaine des valeurs, dans les réseaux d’échanges sociaux ainsi que dans le regard que l’individu  porte sur lui-même. Le sociologue américain E. Goffman démonte les mécanismes interactionnistes de la vie sociale à travers les Rites  d’Interaction et la Mise en scène de la Vie quotidienne, et observe l’importance du Stigmate dans ces interactions(3,4). En apportant une solution, l’hormone de croissance modifierait aussi la nature de la demande. Une nouvelle psychologie du corps se développe ainsi que l’écrit la psychologue M. Bruchon-Schweitzer, interactionniste elle aussi : « L’évolution du regard porté au corps a évolué de manière importante à partir des années 70 ; [...] le cofonctionnement entre caractéristiques physiques et psychiques individuelles n’est alors plus référé à des déterminants d’ordre constitutionnels mais socioculturels(5). »   Des problèmes de souffrance et d’inquiétude On ne peut aborder la problématique présente sans reconnaître la diversité des problèmes rencontrés par les parents : le vécu malheureux de leur enfant, le fait de le voir ne pas se développer, la honte qu’ils en ressentent parfois et l’inquiétude toujours devant une société contradictoire et instable qui va privilégiant les forces de l’apparence et les valeurs de l’image.Tout ceci leur fait craindre à la fois pour l’instant et pour l’avenir. Il y a aussi une décision à prendre entre les bénéfices d’une médicalisation et les risques inhérents à toute intervention. La maladie de Creutzfeldt-Jakob rappelle que toute thérapeutique comporte sa part de risques, ce qui rend la prise de décision plus difficile, car les parents décident pour leur enfant et non pas pour eux-mêmes, et leur décision engage encore plus pour l’avenir que pour le présent. Et, pour compliquer un peu plus les choses, elle se double d’une question de temps, pour ne pas dire d’urgence : la GH est efficace un certain nombre d’années seulement durant la croissance de l’enfant. Certains parents voudraient bien attendre, « laisser faire la nature » , mais, si après, il était trop tard et si, devenu adulte en difficulté d’insertion de ce fait même, il allait le leur reprocher ? La motivation des parents tient dans une formule : « soulager tout de suite, prévenir pour plus tard. »   Une consultation médicale à propos de socialisation À quelques exceptions près l’alerte survient à la première occasion de socialisation de l’enfant. Cela peut se produire très tôt chez une gardienne, en famille, par comparaison avec des cousins ou des frères et sœurs plus âgés, à l’entrée en classe maternelle, ou de manière plus évidente et plus douloureuse, un peu plus tard à l’école. En ce qui concerne les parents, cette prise de conscience arrive par comparaison avec d’autres enfants du même âge, comparaison qui induit immédiatement une évaluation en défaveur de leur enfant. Un bon enfant, un bel enfant est un enfant qui pousse bien(5). L’amorce de la consultation interviendra donc suite à une sorte de malaise, d’interrogation de ce qui est perçu comme un décalage, ou plutôt une série de décalages rendus manifestes par la comparaison. Décalage entre l’apparence de l’enfant et ses capacités ; décalage entre l’apparence de l’enfant et son âge avoué selon une échelle établie en rapport avec d’autres enfants du même âge, en situation scolaire notamment. Pour penser cette question en termes de pathologie sociale, trois hypothèses peuvent être avancées.  La petite taille entraîne une socialisation discriminatoire dans une école désinstitutionnalisée à l’image de la société. Cela commence à la crèche ou à la maternelle où l’enfant peut servir de jouet, de poupée que les autres enfants portent, habillent et déshabillent. Pour certains, ce sera à l’entrée en C.P. ou un peu plus tard, les classes charnières étant estimées particulièrement douloureuses. L’enfant de petite taille, de tout âge, est victime de moqueries, de sobriquets en rapport avec sa taille : nain, bien sûr, mais aussi minus, pin’s, microbe, schtroumf...La différence est un facteur d’isolement, reconnaissent les parents. La cour de récréation devient pour ces enfants l’espace dans lequel s’engouffrent tous les individualismes, où les lois de l’éthologie des mammifères supérieurs établissent le partage entre dominants et dominés, partage dans lequel les rapports de force sont nettement liés aux mensurations. On comprend dès lors que, devant cette mutation qu’ils observent, les parents cherchent à préparer leur enfant à la lutte et que, pour ce faire, ils cherchent à les pourvoir de mensurations adéquates, au besoin par un recours médical.    La petite taille est un stigmate qui induit un certain type d’expériences relationnelles qui fait craindre, en retour, une construction difficile de la personnalité. L’enfant de petite taille est évalué à sa défaveur, les parents comme les enfants interrogés sont unanimes sur ce point. Des comportements s’ensuivent et peuvent conduire jusqu’à l’enfant stigmatisé. « Le stigmate, dit E. Goffmann, est un attribut qui jette un discrédit sur la personne qui en est affectée. »(4) Le processus de socialisation se bloque partiellement ou complètement sur ce discrédit et installe l’être dans le malaise, le mal-être, l’anxiété ou encore des stratégies d’adaptation bouffonnes : le stigmatisé se replie sur lui-même et souvent refuse toute vie sociale et, bien sûr, scolaire. De là à envisager pour l’enfant discrédité un avenir discréditable, il n’y a qu’un pas. Car, en toute logique, les parents craignent les effets retour de cette stigmatisation sur la construction psychologique de leur enfant et en premier lieu que cette dévaluation dont l’enfant est l’objet n’imprègne le regard qu’il porte sur lui-même. Or, comme le souligne M. Bruchon-Schweitzer, l’impact du corps dans les situations d’évaluation comme l’école est très déterminant(5). Pour les psychologues, c’est l’effet Pygmalion. Ainsi, d’un enfant très petit, on attendra des performances qui semblent s’accorder à sa taille plus qu’à son âge.    Le recours à l’hormone de croissance est un itinéraire moral en forme de stratégie médicale, destiné à rattraper les effets difficilement supportables d’un patrimoine génétique non conforme aux exigences sociales. Un corps non conforme, différent, peut donc être insupportable pour soi et pour les autres ; dans ce cas, certains parents estiment que c’est à la société de supporter le coût de ses exigences. La société de consommation voit dans le corps moderne, un avoir à façonner, en réponse aux impératifs matérialistes de la société : « Le corps n’est plus l’être de l’homme mais son avoir. Il est devenu une sorte de partenaire à qui l’on demande la meilleure mise, l’ostentation des signes les plus efficaces, un objet que l’on façonne à sa guise, que l’on améliore en fonction des impératifs de la société de consommation dont il est le premier investissement. » remarque D. Le Breton(2). À ce prix est le partage de la nouvelle sociabilité. Les lois de l’apparence et de la force exigent-elles une haute taille ? Pourquoi la réponse appropriée ne serait-elle pas la supplémentation en hormone de croissance ? Y a-t-il croisade plus légitime que la protection de la vie, de la qualité de la vie, depuis que, selon le mot de Michel Foucault, la santé a remplacé le salut ? Ainsi que le remarque une mère : « On allonge bien la vie des vieillards, pourquoi n’allongerait-on pas les membres de mon fils ? » « On allonge bien la vie des vieillards, pourquoi n’allongerait-on pas les membres de mon fils ? »   La petite taille et la dévalorisation : l’imaginaire  des dimensions et des valeurs Dans le Mythe de Procuste, nous avions fait une étude sur l’imaginaire dimensionnel et sur son rôle dans l’expression des valeurs(6). Les conclusions de ce travail illustraient le fait, découvert par les théoriciens de l’imaginaire et notamment Gilbert Durand, que les structures de l’imaginaire expriment la valorisation par la verticalité. « Ainsi se forme l’axe fondamental de la représentation humaine qui lie la verticalité et la valorisation dans un même sens de la hauteur(7).» La correspondance de ces structures de l’imaginaire est aisément repérable dans la vie courante : on parle d’un grand industriel ou d’un petit commerçant, quelle que soit leur taille physique. M. Bruchon-Schweitzer rapporte certaines expériences qui nous intéressent ici : des sujets adultes, socialement modestes, interrogés sur leur taille, la sous-estiment de manière significative. D’autres sujets, soumis artificiellement à des expériences dévalorisantes et interrogés indirectement à l’aide de tests projectifs sur leur taille, font de même(5). Or, ces évaluations donnent lieu à des incul-cations sociales d’attitudes stéréotypées dès l’enfance. Comme dans un écho, une mère nous demande lors d’un entretien :  « Les ouvriers sont-ils petits ou bien les petits sont-ils ouvriers ? » On peut alors supposer que, de cette inculcation sociale, l’enfant qui souffre maintenant sous les quolibets de ses camarades, souffrira plus tard, de manière plus feutrée peut-être, des rebuffades de la société et donc, n’en finira pas avec les conséquences de sa petite taille.  

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