Publié le 18 nov 2007Lecture 12 min
L’alimentation du nourrisson et du jeune enfant, entre les conseils des médecins et les pratiques des parents
D.Mouterde - CHU, Rouen
Les conseils alimentaires pour le jeune enfant sont simples, mais le domaine est vaste et difficile ! Penser que l’alimentation de l’enfant, dans les deux sens de « ce qu’on donne » et de « comment on le donne », est du seul domaine médical serait une erreur fondamentale…
La science a déterminé quelles étaient les capacités physiologiques de l’enfant de la naissance à l’âge adulte, en termes de digestion, mastication, métabolisme, immunité... Elle a aussi une opinion, certes encore incomplète, sur la qualité et la quantité des aliments souhaitables pour assurer maturation et croissance, âge par âge, en tenant compte des capacités physiologiques. Le médecin a lui aussi son idée sur la manière « idéale » de donner à manger : par exemple, des parents détendus mais fermes, qui savent proposer sans forcer une alimentation variée, donner à leurs enfants le goût de manger et de manger sainement. Ces connaissances mises ensemble servent de bases pour les conseils donnés par le médecin et les documents destinés aux futurs parents, aux jeunes parents et plus tard aux enfants. Toutefois , il existe des facteurs extérieurs intervenant dans l’alimentation des enfants, et c’est la prise en compte de ces déterminants non médicaux qui aidera le médecin à comprendre ses réussites et ses échecs, et à essayer d’optimiser ses messages pour qu’ils passent au mieux. Les facteurs non médicaux influençant l’alimentation Les facteurs extra-médicaux qui influencent l’alimentation des enfants ont plusieurs origines. La mère, la famille Nourrir son enfant est une responsabilité majeure que ressent la mère. La manière de donner et ce qu’elle va donner dépendent de son histoire personnelle et familiale, ainsi que de sa culture. On peut imaginer, par exemple, qu’une mère qui a été forcée ou au contraire privée de façon agressive sera incapable d’avoir une attitude totalement neutre quand elle va nourrir son enfant. Cela est vrai parfois dès la première tétée ou le premier biberon. Le choix de l’allaitement est représentatif du caractère sensible de l’alimentation et des multiples influences qui guident les choix. Les attitudes de la mère, du père, de la grand-mère, etc., sont en partie déterminées par leur vécu personnel. De même, leur opinion sur l’alimentation et l’éducation des enfants s’est forgée selon de nombreuses influences pré-existant avant d’accueillir l’enfant. Ces opinions vont continuer à se modifier après la naissance, la soif d’informations spécifiques s’accroissant logiquement dans cette circonstance. Le médecin n’est alors qu’une des sources de cette information. ● La publicité Le nourrisson et le jeune enfant sont dépendants des parents pour leur alimentation, les influences non-médicales s’exercent vis-à-vis des parents, avant que l’enfant lui-même y soit sensible (publicités, médias, etc.). Télévision et affiches publicitaire montrent des produits à leur avantage, avec toute la technicité du marketing. ● La presse et les livres sont des sources d’information très nombreuses et riches sur l’alimentation et l’éducation des enfants. Le contenu est de qualité variable, souvent accompagné de publicités à destination des parents. Trois écueils peuvent se rencontrer : – ne rien lire et risquer d’être sousinformé sur les conseils actuels d’alimentation de l’enfant ; – les lire et tenter de les appliquer à la lettre, ce que l’enfant ne va, bien sûr, pas accepter ; – lire des documents périmés ou délivrant des messages erronés : le titre de « nutritionniste » est librement utilisé, par des personnes dont la compétence ou les messages ne font parfois pas l’unanimité… Appliquer à la lettre les conseils lus dans les livres est un écueil classique. ● Internet est une nouvelle source d’information, inépuisable et parfois fiable mais qui, en l’absence de contrôle, laisse aussi la porte ouverte à toutes les contrevérités et offensives publicitaires. S’y côtoient les sites des sociétés savantes, des industriels, des autorités de santé (PNNS), mais aussi beaucoup de sites non contrôlés vantant tel ou tel produit ou mode de vie. Internet est la porte ouverte à toutes les contre-vérités et offensives publicitaires. ● Les boîtes d’aliments sont riches d’informations nutritionnelles ; elles sont le plus souvent maintenant en conformité avec les recommandations des médecins, mais comportent parfois des allégations non reconnues. La conception des étiquettes et des emballages répond bien sûr à d’autres buts, le principal étant logiquement de déclencher l’achat de la marque qu’elles représentent. On peut aussi citer l’influence des échantillons et des bons d’achat parfois remis en maternité. ● Enfin, certains concepts ou peurs, quelle que soit la source d’information, deviennent facilement très populaires et vite acceptés par les parents lorsqu’ils sont présentés habilement. Par exemple, citons la vogue du végétal, du naturel, du bio, les « anti-lait de vache », la crainte des OGM, de la « vache folle », qui entraînent des choix ou des exclusions parfois abusifs (vachefolle), souvent onéreux (bio) et dans certains cas dangereux (« laits » végétaux). On pourrait aussi ajouter ici l’image de sérieux des produits vendus en pharmacie et des petits pots par rapport à l’alimentation naturelle L’enfant lui-même Le jeune enfant a ses tendances innées. Par ailleurs, même s’il est insensible à cet âge aux influences extérieures, il est sensible aux réactions de sa mère qui, elle-même, va réagir aux réactions de son enfant… Il faut citer l’appétence innéede l’enfant pour le gras et le sucré, et parler aussi de la « néophobie » qui apparaît vers l’âge de 3 ans. Ces facteurs vont compliquer le travail des parents dans leur éducation nutritionnelle. Un enfant qui « ne mange pas », qui « est difficile », « qui mange lentement » est l’objet de réactions en retour très variables : déception de ne pas bien nourrir son enfant, forcage ou changement de menu pour obtenir un meilleur résultat, inquiétude pour la santé d’un enfant qui « ne mangerait pas », assez , etc. La relation à l’alimentation s’établit ainsi parfois sur des bases biaisées. Le rôle du pédiatre et du médecin traitant ne se limite donc pas au conseil… Ce travail de conseil qui se poursuit durant toute la petite enfance est utilement guidé par quelques renseignements préalables, recueillis lors des premières consultations, par exemple : Quel est le vécu de la mère et du père par rapport à l’alimentation (anorexie, pressions éducatives…) ? qu’en est-il des autres enfants le cas échéant ? Quel est le milieu social, la culture, la structure de la famille, les sources de conseil proches ? Ccomment se passent les repas dans cette famille (diversité, organisation, boissons…) ? Existe-t-il des inquiétudes ou des a priori sur l’alimentation : qualité, quantité, manière de donner (éducation, risques liés à une mauvaise prise alimentaire…) ? Des documents ont-il été consultés (livres, revues, Internet) ? Quels sont les messages retenus, ou quelles sont les discordances avec les conseils médicaux donnés ? Cet enfant a-t-il suscité des inquiétudes quant à sa croissance, sa santé ? Ces renseignements permettront le cas échéant de détecter des interférences ou discordances avec les conseils médicaux et de les prendre en compte au moment de la consultation et du conseil. Le message ne peut être qu’évolutif avec l’âge et les nouvelles influences qui apparaissent avec le temps. L’objectif n’est pas tant d’être « obéi » à tout prix, mais de participer à la « construction » d’un enfant en bonne santé et heureux de manger. Les erreurs les plus fréquemment rencontrées ● Renoncer à l’allaitement maternel est la première erreur nutritionnelle, qu’une minorité de familles choisit maintenant. ● Être inquiets ou rigoureux à l’excès pour l’alimentation de son enfant est un autre écueil. Certaines circonstances font courir des risques, en transformant l’alimentation en enjeu de pouvoir. L’anorexie du nourrisson peut être très précoce, parfois dès l’âge de quelques semaines quand il sent une contrainte pour l’alimentation. Plus tard, dans beaucoup de famille, se produisent des scènes de contrainte ou de charme pour inciter les enfants à manger. Le point de départ de ces attitudes peut être de diverses origines : un problème de relation à l’alimentation préexistant chez certains parents ; un problème de santé ayant empêché un temps l’enfant de grossir ; la méconnaissance de règles éducatives simples ou… parfois les conseils d’un médecin. Les conséquences sont des repas transformés en cirque… ou en enfer, avec parfois un risque de déséquilibre alimentaires créé par les solutions et compromis utilisés par les parents (ne lui donner que ce qu’il aime, par exemple). ● Choisir des produits inadaptés. Certains commerçants proposent des produits appelés indûment « laits », mais qui ne répondent pas à la législation sur les aliments infantiles : « laits » d’amande, de noisette de riz, de soja, de châtaigne. Ces aliments sont vantés comme « naturels », « bio », « végétaux » pour séduire certains parents. Ils font courir des risques d’allergie (fruits à coque) et surtout de carences graves aux nourrissons. Certains produits sont indûment appelés « lait ». Par ailleurs, aucun lait de quelque mammifère que ce soit n’est adapté au petit de l’homme, en dehors des préparations à base de lait de vache qui respectent la législation et les besoins physiologiques. Le lait de vache non modifié est inadapté pour l’alimentation de l’enfant jusqu’à 3 ans. Les préparations à base de soja respectant la législation ne sont pas recommandées avant 3 ans ; dans des familles végétariennes ou dans certains cas d’allergie au lait de vache audelà de 6 mois, ces préparations peuvent être utilisées avant 3 ans si elles sont appauvries en isoflavone. Les préparations à base de soja respectant la législation ne sont pas recommandées avant 3 ans ● Les grosses erreurs volontaires Nous sommes là dans le domaine des sévices, plus ou moins graves et conscients : ne pas nourrir son enfant, lui infliger des régimes déséquilibrés (régime végétalien par exemple) en contradiction avec toutes les recommandations sont du domaine du signalement aux services de protection de l’enfance. ● Les erreurs involontaires Ce chapitre est vaste et seul un interrogatoire détaillé permet de mettre à jour certaines erreurs. On peut citer, quelques exemples : – donner du lait de vache dilué, ou de la farine de blé crue au lieu de céréales infantiles ; – les erreurs de reconstitution : cuiller mesure trop ou pas assez pleine, cuiller d’une autre marque de lait ; – les aliments ou boissons inadaptés à l’âge : les céréales, le gluten, la diversification trop précoce, avant 4 mois ; – la carence lactée : quantité insuffisante par rapport aux recommandations (500 ml/j jusqu’à 3 ans) ; – l’excès de sucres simples, les boissons sucrées ; – le défaut de lipides et d’acides gras essentiels ; – l’excès de protéines, très fréquent entre 1 et 3 ans (lait de vache, excès de viande) ; – le manque de fer (lait de vache) ; – l’alimentation monotone ; – le syndrome du biberon (apparition précoce de caries graves due à l’utilisation inconsidérée de biberons sucrés) ; – les excès caloriques ; – les excès en sel ; – la « valse des laits » ; – le grignotage ; – le défaut de fibres, chez le plus grand ; – la carence en vitamine D et en calcium… Les erreurs du médecin/ alimentation du nourrisson Ne pas prendre le temps de parler alimentation dans ses trois composantes : quantité, qualité et façon de donner… Ne pas surveiller la croissance durant toute l’enfance et l’absence de report sur le carnet de santé. Utiliser des produits « HA » de façon indue (en cas d’allergie au lait de vache, ou sur terrain non à risque d’allergie) Prescrire des laits sans lactose dans toute diarrhée, ou un lait de soja en première intention dans une allergie au lait de vache. Ne pas informer et rassurer à propos des petits troubles digestifs du nourrisson. Ne pas réagir face à des régimes inacceptables. Ne pas prescrire un hydrolysat poussé en cas de biberon isolé de complément à l’allaitement maternel. Conclusion L’équilibre alimentaire de l’enfant et du futur adulte va dépendre dans une grande mesure de l’alimentation du premier âge (0-1 an) où sont introduites les différentes catégories d’aliments, et les différentes consistances, mais aussi de la période allant jusqu’à 3 ou 4 ans et plus, avec la découverte de nouvelles saveurs et les enjeux éducatifs autour de l’alimentation. Il est hors de doute que l’alimentation du premier âge influence le développement et la santé de l’enfant jusqu’à l’âge adulte, par sa qualité : protéines, fer, acides gras essentiels, vitamines, sucres, etc. La façon de donner est elle aussi importante, mais souvent absente des conseils ; elle influencera aussi les rapports à l’alimentation : plaisir ou corvée, repas ou grignotage, solitaire ou convivial, structuré ou désorganisé, monotone ou varié. En matière d’alimentation infantile, être conscient du risque d’erreurs dans ce qui est donné ou dans la manière de donner ne suffit pas : l’éducation et l’alimentation sont des terrains émotionnellement très délicats, et certaines influences sont beaucoup plus fortes que les « bonnes paroles » d’un médecin. Le médecin doit établir ses conseils en fonction des connaissances de la physiologie, de la psychologie et de la culture familiale ; il doit aussi être conscient des influences qui peuvent « parasiter les messages » et les rechercher, suivre leur application et leurs conséquences durant toute l’enfance.
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