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Pédiatrie générale

Publié le 22 juin 2009Lecture 10 min

Étranges présentations de corps étrangers inhalés chez l'enfant

L. DONATO, C. DEUTSCHER, Pôle médico-chirurgical de pédiatrie, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

L’inhalation de corps étrangers (CE) ne se résume pas au nourrisson présentant un syndrome de pénétration à l’arachide. D’autres tranches d’âges sont concernées, avec un profil de CE propre. La nature des solides inhalés dépend également des habitudes culturelles et alimentaires, mais aussi de l’époque. La présentation parfois trompeuse — voire surprenante — doit rendre le pédiatre attentif à ce diagnostic, qui repose sur la bronchoscopie.

 
Un peu d’histoire L’inhalation accidentelle de solides divers et variés est probablement aussi ancienne que l’espèce humaine. Ses premières descriptions datent de l’époque romaine où elle était particulièrement fréquente, car on mangeait alors en position allongée. Asclépiade de Bithynie, héroïque médecin grec du début de notre ère, les extrayait à l’aveugle par trachéotomie ! L’historique du CE des voies respiratoires se perd dans le flou médical du Moyen Âge pour refaire surface au début du XIXe siècle, avec Laennec qui en décrit bien la nature essentiellement alimentaire, ainsi que le syndrome de pénétration et le risque asphyxique. En 1897, Gustav Killian (Freiburg) réalise la première bronchoscopie chez un homme de 63 ans qui avait inhalé un os de porc. Chevalier Jackson (Pittsburgh) traverse l’Atlantique, rencontre Killian, popularise la bronchoscopie perorale et réalise la première extraction endoscopique chez l’enfant. Il forme de nombreux élèves et laisse derrière lui une impressionnante collection de CE, toujours visible au Mütter Museum de Philadelphie. Elle a ainsi pu être comparée à ceux de l’enfant d’aujourd’hui, montrant combien leur nature dépend de l’époque (1). L’épingle à nourrice, deuxième CE par ordre de fréquence dans la Jackson collection, a par exemple complètement disparu du paysage endoscopique depuis… l’introduction des couches jetables !   Comment ne pas méconnaître le diagnostic ? L’accident d’inhalation, ou syndrome de pénétration (SP), est un argument anamnestique majeur qui conduit généralement à l’endoscopie. On aura l’indication d’autant plus facile que l’enfant présente des anomalies cliniques et/ou radiologiques au décours de cet épisode (2). Mais ces éléments peuvent manquer en cas de CE avéré. Les solides inhalés, majoritairement alimentaires et végétaux, sont habituellement radiotransparents. De plus, la notion de syndrome de pénétration fait défaut dans 15 à 20 % des cas publiés (voir plus loin). Sa fréquence est en réalité largement sous-estimée ; la lecture rétrospective de dossiers donnant jusqu’à 40 % de SP manquants ou non renseignés (3). La notion de syndrome de pénétration (SP) fait défaut dans 15 à 20 % des cas publiés.  Figure 1. Tout ce qui siffle… Jeune fille de 12 ans présentant une toux sifflante ; elle suivait une désensibilisation depuis 18 mois sur la foi de tests cutanés positifs aux acariens de la poussière. Le capuchon de stylo en plastique qu’elle hébergeait dans la bronche lobaire inférieure droite était particulièrement traître : radiotransparent et non obstructif, il n’induisait que des anomalies radiologiques mineures. Elle n’a conservé aucune séquelle de cet accident et son « asthme » a totalement disparu après la bronchoscopie. L’interrogatoire repris à posteriori a pu dater l’accident d’inhalation 3 ans avant l’extraction. Pourquoi n’en a-t-elle jamais parlé à ses parents ? Il est pourtant fondamental de ne pas méconnaître le diagnostic. Les matériaux organiques, végétaux ou alimentaires, sont les plus mal tolérés. Méconnus, ils sont révélés par une complication sérieuse : pleuropneumopathie, abcès, bronchorrhée, hémoptysie. Le risque est proportionnel au délai d’extraction (à partir de 30 jours pour la constitution de bronchectasies[ 4]). À l’inverse, certains CE inorganiques creux, en métal ou plastique, peuvent être étonnamment bien tolérés pendant plusieurs mois ou années, rendant le diagnostic encore plus difficile (figure 1).     Les matériaux organiques, végétaux ou alimentaires, sont les plus mal tolérés. Chez l’enfant présentant une symptomatologie respiratoire chronique inexpliquée ou répondant mal au traitement bien conduit, il y a lieu : • de reprendre l’anamnèse en détail à la recherche d’un antécédent, même lointain ; • de prescrire une radio du thorax (cliché inspiration-expiration) ; • et surtout, de demander une fibroscopie bronchique exploratrice.   Les clusters  L’accident d’apéritif est de loin la situation la plus fréquente dans la tranche d’âge de 9 à 36 mois, l’enfant inhalant des fragments de fruits secs oléagineux : arachides, amandes, noix, etc. (3). Ces matériaux induisent une réaction inflammatoire endobronchique intense, « peanuts bronchitis », et passent rarement inaperçus. Le chocolat aux noisettes est un adversaire au camouflage particulièrement sournois. Les pépins et graines (tournesol, melon, pastèque) sont plus fréquemment observés sur le pourtour méditerranéen et au Proche- Orient (4).   Figure 2. Le skruv syndrome. Les parents de ce garçon âgé de 2 ans en ont fait l’expérience : la cohue du samedi après-midi dans les grandes surfaces d’ameublement n’a réellement rien à envier à celles des urgences pédiatriques du CHU le samedi soir. (skruv = vis en suédois). Le chocolat aux noisettes est un adversaire au camouflage particulièrement sournois.  L’accident de bricolage, assez classique, connaît un regain de popularité avec le succès des grandes surfaces qui vendent des meubles à monter imposant l’étalage au sol de tout un bric-à-brac de vis, taquets et pièces diverses au calibre de la glotte du bambin qui joue à quatre pattes pendant que papa ou maman s’énerve à la lecture d’un mode d’emploi abscons (figure 2).    Les autres CE sont moins fréquents après 3 ans. L’accident de stylo-bille présente une fréquence remarquable chez l’enfant d’âge scolaire ou chez l’adolescent qui en mâchouille méthodiquement le tube plastique pour tuer le temps d’un interminable cours de maths. Cet accident est suffisamment fréquent pour que les normes AFNOR® imposent de percer les capuchons et bouchons de stylo dans le but de permettre la ventilation en cas d’inhalation (figure 1). Le même profil accidentel est observé chez les copines qui organisent des aprèsmidi couture, épingles en bouche et franche rigolade en prime. Aristote n’avait finalement pas complètement tort lorsqu’il condamnait le rire Figure 3. Let it bleed. Fille de 3 ans hospitalisée en hiver pour une hémoptysie massive. Le décaillotage endoscopique effectué en urgence permet d’extraire un épi de folle avoine (germination en juin). La bronchographie réalisée au décours de l’extraction montre des bronchectasies de la segmentaire basale postérieure droite (flèche). Le CE était en train de migrer sous la coupole diaphragmatique !  dans sa Poétique ! L’analyse de ces situations stéréotypées devrait conduire à une meilleure prévention auprès du grand public, mais aussi des médecins qui, consultés au décours d’un accident d’inhalation, négligent encore trop souvent ce diagnostic (5).   Corps étrangers migrateurs Les projectiles de petite taille, dirigés vers le visage de la victime, sont d’excellents candidats à la pénétration des voies aériennes : flèches de sarbacane, pistolets à billes, cailloux, etc. La géométrie particulière de certains épis végétaux utilisés dans les batailles de pull-over leur confère en outre de curieuses propriétés migratoires : inhalés pointe en bas et empennage vers le haut, ils ont tendance à migrer hors du thorax, dans l’abdomen ou sous la peau (figure 3).   Plusieurs publications font état de la découverte de ce type de CE à l’incision d’un abcès sous-cutané latéro-thoracique, l’endoscopie faisant alors la preuve de l’origine endobronchique du végétal (6). Les dégâts endobronchiques parfois considérables peuvent empêcher l’extraction endoscopique (CE distal enclavé dans une réaction granulomateuse majeure) ; la photorésection laser peut alors s’avérer particulièrement utile, permettant l’économie d’une lobectomie de sauvetage (observation en cours de publication).   Corps étrangers vivants ! L’observation suivante est célèbre : un nourrisson de 2 ans, en vacances avec ses parents dans un hôtel de Caroline du Sud (États- Unis), présente un accès de toux incoercible. La radio de thorax montrant un trapping gazeux du poumon gauche, une endoscopie est réalisée qui permet d’extraire… un cafard (!) de la bronche souche gauche de l’enfant (7). Ce qui montre trois choses :   Figure 4. Chaise électrique pour crime de sang. Garçon de 9 ans vivant dans une rizière du nord du Viêt Nam, hospitalisé pour hémoptysie massive et anémie à 5 g/dl. Extraction endoscopique d’une sorte de sangsue tropicale qui n’a jamais pu être typée (clichés examinés par divers parasitologistes dont ceux du Museum d’Histoire Naturelle). Après plusieurs récidives, l’animal a finalement été tué par électrocautérisation endoscopique. Coll.Dao Minh Tuan, Hôpital National de Pédiatrie de Hanoi (Viêt Nam). • certains établissements sont infréquentables ; • les jeunes enfants ont des goûts alimentaires assez différents de ceux des adultes ; • Pédiatrie Pratique n’est pas la seule revue qui publie des observations exotiques. Un rapport récent de l’OMS révèle que 2,4 milliards d’être humains n’ont pas accès à l’eau potable. Les conséquences sanitaires sont multiples et parfois inattendues. Ceux qui boivent l’eau des rivières et marigots ingèrent des larves microscopiques, divers nématodes et sangsues pouvant accidentellement migrer dans les voies respiratoires (8,9) pour y trouver gîte et couvert, occasionnant des accidents hémpotoïques sévères (figure 4).   Ce type d’accident ne serait pas exceptionnel et il faut donc savoir y penser chez des patients provenant de zones à risque.   Pourquoi l’anamnèse peut faire défaut La notion de syndrome de pénétration n’est pas toujours retrouvée à l’interrogatoire. La raison la plus évidente tient à la survenue de l’accident avant l’acquisition de la parole, en l’absence de témoin (figure 3) ou parce que ceux qui l’on vu sont trop jeunes pour le rapporter : attention aux « laryngites » survenues en présence d’un aîné. Mais le principal intéressé, lorsqu’il est capable de s’exprimer, peut parfaitement masquer l’information (figure 1), le plus souvent parce que l’accident est ancien et qu’il ne fait pas la relation avec les symptômes actuels. Ce n’est pas la seule explication, comme en témoigne le cas de cet homme de 47 ans qui présentait une toux chronique et déclarait à son médecin avoir inhalé une arachide 2 mois plus tôt. Et c’est en fait un Figure 5. Faut-il interdire Noël ? Petit garçon âgé de 3 mois adressé au CHU pour mort subite inexpliquée un 26 décembre. L’autopsie montre une aiguille de sapin de Noël plantée sur la face endolaryngée de l’épiglotte, qui a provoqué un laryngospasme mortel. (BdL : base de langue ; CV : cordes vocales ; Tr : trachée).  ongle de gros orteil qui a été extrait de sa bronche souche gauche (10). Cet onychophage honteux n’avait pas trouvé d’autre solution pour demander une endoscopie que de s’inventer une histoire… d’enfant ! « Il y a deux sortes de malades : ceux qui aident le médecin, et ceux qui aident la maladie. » (R. Merle).   Accident = prévention L’interdiction des fruits secs oléagineux et le respect des normes AFNOR® pour les jeunes enfants devraient pouvoir réduire la prévalence de l’accident d’inhalation, aujourd’hui estimée à 2 - 4/ 10 000. Mais le message a du mal à passer, et tous les accidents ne sont pas évitables (figure 5).      

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