Publié le 29 avr 2009Lecture 9 min
Eczéma atopique de l’enfant : rechercher une allergie alimentaire ?
F. RANCÉ, Pôle médico-chirurgical de pédiatrie, Hôpital des Enfants, unité d’allergologie et de pneumologie pédiatriques, Toulouse
L’allergie alimentaire est un facteur aggravant de la dermatite atopique du jeune enfant. L’allergie alimentaire concerne majoritairement les jeunes enfants (âgés de moins de 2 ans) et atteints d’eczéma atopique récidivant sous les thérapeutiques conventionnelles. Le lait de vache, l’oeuf, la farine de blé sont les principaux aliments impliqués dans les allergies associées à l’eczéma atopique de l’enfant. Le test de provocation par voie orale est le plus souvent indispensable pour confirmer le diagnostic d’allergie alimentaire. Les atopy-patch-tests, technique nouvelle d’exploration de l’allergie alimentaire en cas d’eczéma atopique, ont en fait une place en seconde intention devant une négativité des tests d’allergie immédiate.
La dermatite atopique (DA) est une maladie chronique inflammatoire de la peau (1,2). Elle est fréquente chez l’enfant et la prévalence cumulée de la DA est estimée entre 15 et 20 % à cet âge (3). La prévalence de la DA augmente comme l’atteste l’enquête internationale et multicentrique ISAAC de phase 3 (4). L’enquête par questionnaire de phase 3 a été effectuée au moins 5 années après la phase 1 dans 56 pays et 106 centres, totalisant 193 404 enfants âgés de 6 à 7 ans et 304 679 enfants âgés de 13 à 14 ans (4). Physiopathologie Il est décrit deux formes d’eczéma en fonction du statut atopique : l’eczéma atopique et l’eczéma non atopique (6). L’eczéma atopique, parfois appelé eczéma « extrinsèque », est un phénotype de l’eczéma. Il est associé à une (ou plusieurs) sensibilisation (s) IgE-dépendante(s) démontrée(s) par les tests allergologiques (6-8). Les allergènes impliqués dans les exacerbations chez l’enfant sont les aéro-allergènes, les aliments ainsi que les allergènes de contact. D’autres facteurs sont mis en cause dans l’entretien des lésions d’eczéma : colonisation bactérienne de la peau, substances irritantes, facteurs climatiques et facteurs psychologiques (9-12) (figure 1). Figure 1. Les facteurs d’aggravation de la dermatite atopique (d’après T. Werfel et coll. (10)). La DA se développe sur un terrain génétique prédisposant au développement de manifestations atopiques. La DA s’intègre dans la « marche allergique » encore appelé la « carrière de l’allergique ». Elle précède et s'associe dans 25 à 60 % des cas à d'autres manifestations atopiques comme l'asthme ou la rhinite allergique. L’atopie correspond à l’aptitude génétiquement déterminée à fabriquer des anticorps d'isotype IgE. Elle est démontrée par la positivité des tests allergologiques (pricktests et/ou présence d’IgE spécifiques). Les mécanismes de la production des IgE ainsi que leurs conséquences au niveau tissulaire dans la DA sont maintenant mieux compris. La production des IgE est induite par la sécrétion d'IL-4 et d'IL-13 par les lymphocytes T dits de type 2 (Th2). Les lésions de patients atteints de DA sont infiltrées par des Th2 exprimant un récepteur de localisation cutanée (le CLA ou cutaneous lymphocyteassociated antigen). Des données récentes montrent qu'une cytokine apparentée à l'IL-7, la TSLP (thymic stromal lymphopoietin), surexprimée par les kératinocytes dans les lésions cutanées des patients atteints de DA, active des cellules dendritiques qui créent les conditions locales de l'activation des Th2 à l'origine de l'inflammation locale (13). L’eczéma non atopique. Dans 20 à 30 % des cas, les lésions de DA ne semblent pas produites par des mécanismes mettant en jeu des réponses IgE. Cette forme appelée eczéma non atopique, ou encore eczéma « intrinsèque », possède des caractéristiques phénotypiques et immunologiques différentes de la forme classique, dite extrinsèque. Elle ne s'accompagne pas de réponses IgE exagérées et survient en l'absence de sensibilisation vis-à-vis d'allergènes. Elle partage cependant avec la forme extrinsèque certaines particularités du dysfonctionnement du système immunitaire, en particulier l'implication de certains types cellulaires, tels les éosinophiles. Un dénominateur commun entre ces deux formes de la DA pourrait être un dysfonctionnement de la barrière cutanée. Plusieurs observations indiquent que des anomalies de la barrière épidermique cutanée sont impliquées dans la DA. Une diminution du contenu en céramides et de la filaggrine a été mise en évidence en peau saine dans l'épiderme des patients atteints de DA au niveau du stratum corneum (14). Cette diminution semble responsable d'anomalies de la barrière cutanée dont l'augmentation de la perte d'eau transépidermale est un des reflets. L'ensemble de ces observations montre l'hétérogénéité de la maladie. Dans 20 à 30 % des cas, les lésions de DA ne semblent pas liées à une sensibilisation à un allergène. Épidémiologie de l’allergie alimentaire dans la dermatite atopique Le concept du rôle inducteur de l’allergie dans la dermatite atopique est mentionné dès 1890 par Ernest Henri Besnier (in 15). En 1936, W.F. Engman et coll.(15) et C.G. Grulee et coll. (16) ont signalé le rôle aggravant de l’ingestion d’aliments dans la dermatite atopique. Ultérieurement, dans le cadre d’une enquête, H.A. Steinman et P.C. Potter (17) enregistrent par questionnaire une aggravation de la dermatite atopique après ingestion d’aliments variés, chez 112 enfants atteints de DA. Les données scientifiques des dix dernières années, établies sur la base des tests de provocation par voie orale en double aveugle, démontrent l'importance des sensibilisations et des allergies alimentaires au cours de la DA de l’enfant(9) : les explorations d’allergie alimentaire sont positives dans 33 à 63 % des cas (tableau 1). Figure 2. Le diagnostic d’allergie alimentaire chez l’enfant atteint d’eczéma atopique. Finalement, en établissant la moyenne des études, les allergies alimentaires concerneraient 40 % des enfants atteints de DA. Les allergies alimentaires concerneraient 40 % des enfants atteints de DA. En réalité, les études publiées ne permettent pas de comparaison entre elles. Les définitions utilisées pour l’eczéma et l’atopie incluant ou non la réalisation de tests d’allergie, le type d’étude réalisée (rétrospective, prospective, ou cas témoins) ne sont pas comparables. À titre d’exemple, l’étude de L.K. Ellman et coll., conduite chez des enfants et des jeunes adultes très sélectionnés, a enregistré une incidence de l’allergie alimentaire de 86 %. La même étude réalisée dix années plus tard dans une autre population observait une incidence de l’allergie alimentaire de 92 %. En théorie, les études de cohorte seraient les plus adaptées pour estimer correctement le nombre d’enfants allergiques aux aliments et atteints d’eczéma. Les études qui tiennent compte de la sévérité de l’eczéma sont également importantes dans l’analyse des résultats (7). D.J. Hill et coll. (18) ont suivi 620 nouveau-nés à risque jusqu’à l’âge de 12 mois. Des tests cutanés ont été réalisés à 6 et 12 mois chez 141 d’entre eux. La sévérité de l’eczéma a été établie sur le nombre de jours d’application de dermocorticoïdes. L’allergie alimentaire est 5,7 fois plus fréquente chez les enfants qui présentent une forme sévère d’eczéma (18). L’allergie alimentaire est plus fréquente chez les enfants qui présentent une forme sévère d’eczéma. Profil de réponse et test de provocation par voie orale Le test de provocation par voie orale est la pierre angulaire du diagnostic en allergie alimentaire (19). Les réactions déclenchées par un test de provocation peuvent être classées en 3 profils différents (10). La réaction immédiate apparaît classiquement dans les minutes suivant l’ingestion de l’aliment (urticaire le plus souvent). Elle peut être accompagnée de signes digestifs ou cardiovasculaires. Le deuxième profil correspond au prurit et au grattage aboutissant à une exacerbation de l’eczéma qui apparaîtra rapidement après l’ingestion de l’aliment. Enfin, la réaction retardée se traduit par une aggravation de l’eczéma dans les 6 à 48 heures après la prise alimentaire. Une réaction retardée peut faire suite à une réponse immédiate. Finalement, les auteurs abordent la classification des réactions allergiques chez les enfants atteints de dermatite atopique en réactions immédiates, retardées ou combinées. B. Niggemann et coll. ont testé 75 enfants âgés en moyenne de 2 ans et 1 mois dont 69 présentaient une dermatite atopique (20). Les réactions observées au cours des 77 tests de provocation positifs ont été surtout précoces (39 fois) : urticaire, signes respiratoires, signes digestifs parfois associés à une urticaire. Les réactions retardées à type d’eczéma ont été observées au cours de 21 tests de provocation. Enfin, les réactions combinées ont été relevées 17 fois : eczéma associé à une urticaire ou des signes digestifs. Ultérieurement, la même équipe a établi le même constat à partir de 498 tests de provocation effectués chez 255 enfants atteints de DA. Les aliments testés ont été le lait de vache, l’oeuf de poule, le soja et la farine de blé. Les réactions observées parmi les 209 tests de provocation positifs ont été immédiates (122 fois), retardées (45 fois) ou combinées (42 fois). La preuve indiscutable d’une allergie alimentaire au cours d’une DA est apportée par le test de provocation par voie orale, au mieux en double aveugle. Néanmoins, nous manquons d’études précisant la manière de conduire un test de provocation par voie orale chez un enfant atteint de dermatite atopique. Nous disposons de documents pour la pratique d’un test de provocation qui vise à rechercher des manifestations immédiates (19,21,22). Le test de provocation qui explore les manifestations retardées doit tenir compte du délai d’apparition des symptômes. Il faut donc développer et standardiser des protocoles prolongés et répétés sur plusieurs jours avec une analyse spécifique des réactions.
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