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Pathologies métaboliques

Publié le 31 aoû 2010Lecture 15 min

Diabète de type 1 de l'enfant : les causes d’une « épidémie »

C. LAMBERT - Paris

Toutes les données épidémiologiques convergent, l’incidence du diabète de type 1 augmente régulièrement chez l’enfant, en particulier chez les plus jeunes. Parmi les causes avancées pour expliquer cet accroissement, l’hypothèse hygiéniste est certainement l’une des plus abouties. Bilan épidémiologique et tour d’horizon des hypothèses explicatives d’une épidémie silencieuse.

Le diabète de type 1 représente 5 à 10 % de l’ensemble des cas de diabète (1). Nous nous intéresserons ici plus précisément au diabète de type 1A (DT1A), qui est une maladie auto-immune due à une destruction des cellules β insulino-sécrétrices des îlots de Langerhans du pancréas. Le diabète de type 1B est moins fréquent, son étiologie n’est pas connue et il a été surtout observé en Afrique subsaharienne et en Asie.   Génétique et environnement Des facteurs de susceptibilité génétiques au DT1A ont été mis en évidence, en particulier au niveau du système HLA aux loci DR et DQ (chromosome – q21-31). Deux haplotypes principaux, DR3 et DR4, prédisposent au DT1 et semblent rendre compte d’environ 50 % de la susceptibilité génétique à cette maladie ; ils forment le génotype IDDM1 (Insulin dependent diabetes mellitus). On sait toutefois que seulement 10 % des personnes porteuses de ces marqueurs de susceptibilité développent la maladie (2). D’autres variants ont été identifiés comme facteurs de prédisposition génétique au DT1, notamment des variants du gène de l’insuline (VNTR-INS) formant les génotypes IDDM2 et du gène CTLA-4 (3) pour le génotype IDDM12. Ces marqueurs semblent compter pour environ 15 % de la susceptibilité génétique. Il existe par ailleurs d’autres haplotypes HLA qui semblent protéger contre la maladie. La liste n’est pas exhaustive, elle s’allonge chaque jour, mais la contribution clinique de ces facteurs de susceptibilité n’est certainement pas très élevée (4). En d’autres termes, il existe des prédispositions génétiques au DT1, mais les facteurs environnementaux occupent une place importante dans sa survenue. D’autres données confirment en effet le rôle prépondérant de l’environnement, à commencer par les études sur les migrants. Les enfants de moins de 15 ans vivant au Royaume-Uni et originaires d’Asie du Sud, où l’incidence du DT1 est particulièrement basse, ont un risque de développer un DT1 identique à celui des jeunes britanniques (5). Un phénomène qui avait déjà été constaté chez les jeunes pakistanais émigrés au Royaume-Uni. Pourtant, au Pakistan, l’incidence du DT1 est 10 fois inférieure à celle de l’Angleterre (6). L’autre argument est l’augmentation constante du DT1 en Europe, ainsi que dans de nombreux pays dans le monde, qui ne peut être attribuée à des facteurs génétiques, à moins d’imaginer, pour d’obscures raisons, la rapide diffusion d’un gène délétère à travers le globe. Il existe des prédispositions génétiques au diabète de type 1, mais les facteurs environnementaux occupent une place importante dans sa survenue.   Épidémie ou glissement des âges de la vie ? Les données épidémiologiques sont parfaitement cohérentes et, en ce sens, d’autant plus préoccupantes. En France (7), l’incidence du DT1 a été évaluée de 1988 à 1997 dans quatre grandes régions : l’Aquitaine, la Lorraine, la Haute-Normandie et la Basse- Normandie. Le registre qui a pris en compte les enfants de moins de 19 ans avait une base de population de 2 315 000 jeunes, soit 15 % de la population française du même âge. Le taux d’incidence standardisé sur l’âge et le sexe est passé de 7,41/100 000/an en 1988 à 9,58/100 000/an en 1997 (figure 1).   Figure 1. Évolution du taux d’incidence du DT1 entre 0 et 19 ans, dans quatre régions de France, standardisé sur l’âge et le sexe entre 1988 et 1997(4). Ces chiffres représentent une augmentation de 3,7 % par an pour les enfants âgés de 0 à 19 ans. Toutefois, il est instructif d’aller plus loin et d’analyser en détail l’âge de survenue du diabète. Si l’âge moyen du diagnostic au cours de cette période a été de 10,6 ans, l’augmentation de l’incidence a été particulièrement sensible chez les plus petits : 78 % d’accroissement en 10 ans chez les 0-4 ans, 43 % pour les 5-9 ans et 40 % pour les 10-14 ans. Au regard de ces résultats, certains auteurs suggèrent que les chiffres ne traduisent pas une augmentation globale de l’incidence mais un décalage vers un plus jeune âge du début de la maladie(4,7). La maladie changerait donc de visage un peu comme les âges de la vie se modifient avec l’allongement de l’espérance de vie : le diabète dit « juvénile » deviendrait un diabète « infantile » et le diabète de la maturité serait en passe de devenir un diabète « juvénile », l’émergence du diabète de type 2 chez l’enfant étant un autre sujet de préoccupation que nous ne détaillerons pas ici. On observe un décalage vers un plus jeune âge du début de la maladie. Il reste cependant que l’incidence globale s’accroît et que ce phénomène est constaté dans toute l’Europe, bien que ce soit le continent où les contrastes sont les plus marqués. Le réseau Eurodiab a été mis en place en 1988 pour étudier la survenue de diabètes en Europe avant l’âge de 15 ans. Il collecte les données de 44 centres répartis sur le vieux continent et en Israël, dont 36 avaient déjà atteint les 10 ans de surveillance en 1998. Les résultats les plus récents ont été publiés dans le Lancet en 2009 (8). L’incidence varie dans des proportions significatives en Europe et, plus qu’un gradient nord-sud, c’est une distribution plus complexe, avec également une opposition estouest qui est constatée (figure 2). Figure 2. Incidence du diabète de type 1 de l’enfant en Europe selon Eurobiab. Le pays où l’incidence est la plus élevée est la Finlande, suivie par les autres pays scandinaves. Elle demeure globalement plus basse dans le bassin méditerranéen (l’incidence la plus basse est celle de la Grèce), excepté en Sardaigne dont le taux avoisine celui de la Finlande, une exception qui en fait un terrain d’étude privilégié. L’accroissement annuel de l’incidence du DT1 en Europe est en moyenne de 3,9 % (IC95 % : 3,6 - 4,2). Il était plus rapide dans les pays de l’Est et du centre du continent. Le nombre annuel de nouveaux cas en Europe est estimé à 15 000. La répartition de cet accroissement en fonction des âges est comparable aux résultats obtenus en France, de même que le caractère saisonnier au moment du diagnostic. Comme dans l’Hexagone, des variations saisonnières dessinant une sinusoïde ont en effet été constatées sur les données européennes, le diagnostic étant plus fréquent en hiver. Ce caractère saisonnier a une fois de plus orienté vers des facteurs environnementaux déclenchant la survenue du DT1, en particulier des infections virales qui seraient à l’origine d’une nouvelle et ultime poussée autoimmune. La seule corrélation qui ait été mise en évidence avec l’accroissement d’incidence, plus ou moins marqué selon les pays, est celle avec l’augmentation du produit intérieur brut (PIB)(4). Selon les investigateurs d’Eurodiab, si la tendance se poursuit, le nombre de nouveaux cas de DT1 chez les enfants de moins de 15 ans aura doublé en Europe d’ici 2020 et la prévalence de la maladie chez les enfants de moins de 15 ans aura augmenté de 70 % à la même date. L’accroissement annuel de l’incidence du DT1 en Europe est en moyenne de 3,9 %.   Une « épidémie » internationale Au regard d’une pathologie dont on connaît des facteurs de prédisposition génétique, mais dans laquelle l’action de facteurs environnementaux est déterminante, la connaissance de la répartition géographique du DT1 est de toute première importance. À l’échelon mondial, des registres d’enfants diabétiques ont permis de mettre en place un projet international sous l’égide de l’OMS : Diamond (DIAbets MONDial). Au total, 112 centres de 57 pays participent à ce travail pour lequel 43 013 enfants ont été enregistrés, sur une population mondiale de 84 millions d’enfants du même âge(4). De 1990 à 1999, l’augmentation moyenne de l’incidence du DT1 a été en moyenne de 2,4 % au cours de la première période (1990-1994) puis de 3,4 % pour la seconde (1995- 1999). Des différences géographiques sont apparues, avec un accroissement plus rapide aux États-Unis (5,3 %) qu’en Asie (4 %) ou en Europe (3,2 %). Là encore, l’accroissement de l’incidence du DT1 était plus marqué dans les classes d’âge les plus jeunes. Ces données épidémiologiques tracent les contours d’une sorte d’épidémie de diabète de type 1 dont les conséquences en termes de prise en charge seront lourdes. En effet, le diabète du jeune enfant est difficile à traiter, il demande le recours à des structures hautement spécialisées et la prise en charge des familles. Des actions préventives ne pourront être efficaces que si les facteurs environnementaux intervenant dans l’accroissement de l’incidence du DT1 sont mieux compris. Plusieurs pistes ont été explorées, notamment des facteurs nutritionnels et infectieux. Les résultats des études sont contradictoires, mais une métaanalyse a montré qu’un allaitement maternel inférieur à 3 moins est associé à un risque relatif de DT1 de 1,4 et que 30 % des cas de DT1 chez l’enfant pourraient être évités en prolongeant cet allaitement au-delà des 4 premiers mois. Le gluten a également été mis en accusation, celui-ci venant interférer avec le système immunitaire digestif immature du nourrisson. Les facteurs infectieux sont appuyés par la saisonnalité de l’apparition des anticorps et du diagnostic de la maladie, ainsi que par l’association connue entre DT1 et rubéole congénitale. Les études, principalement menées en Scandinavie, ont mis en cause notamment des entérovirus et des virus Coxsackie B. Enfin, un effet protecteur de la vitamine D a également été avancé. Le glissement d’un diabète « juvénile » vers un diabète infantile risque d’avoir de lourdes conséquences en termes de prise en charge.   Une perspective évolutionniste Quoi qu’il en soit, ces éléments peuvent être vus comme des causes ou des facteurs déclenchants. L’hypothèse hygiéniste intervient plus comme une toile de fond qui donne une cohérence aux observations épidémiologiques alarmantes auxquelles nous sommes confrontées. La diminution de l’incidence des maladies infectieuses dans les pays occidentaux a débuté au XIXe siècle (et même à la fin du XVIIIe en ce qui concerne la chronicité des grands fléaux infectieux) pour s’affirmer dans la deuxième moitié du XXe siècle. L’apparition des antibiotiques et l’accroissement constant du niveau de vie et des conditions d’hygiène se sont accompagnés d’une augmentation sensible des allergies, atopie, asthme, ainsi que des maladies auto-immunes comme la sclérose en plaques (SEP), les maladies inflammatoires du côlon ou le DT1 (9). L’hypothèse hygiéniste suppose que la diminution de l’exposition aux agents infectieux, en particulier aux âges précoces de la vie, interfère avec la maturation du système immunitaire et augmente le risque de maladies auto-immunes. Cette hypothèse s’inscrit dans une perspective évolutionniste qui suppose que notre système immunitaire a peu évolué depuis que nos lointains ancêtres étaient des chasseurscueilleurs et partageaient leur environnement avec une multitude d’agents infectieux. On remarquera que, selon les registres anglais, l’incidence du DT1 a régulièrement augmenté depuis la fin du XIXe siècle, passant de 0,04/1 000 à cette époque à 0,1 - 0,6/1 000 entre 1946 et 1958 chez les enfants de moins de 11 ans, puis à 1,3/1 000 en 1970 (10). Dans le cas de la Sardaigne, à laquelle nous avons fait allusion plus haut, l’accroissement de l’incidence du DT1 s’est doublé d’une augmentation comparable de l’incidence de la SEP. On notera que l’île a connu un rapide développement socioéconomique après la Deuxième Guerre mondiale qui s’est notamment traduit par une éradication du Plasmodium falciparum, un fléau ancien dans la région. Il semble qu’en Sardaigne le plasmodium et les infections parasitaires ont joué un rôle de protection contre le DT1 (11). Les données d’association avec l’atopie et la maladie asthmatique sont contradictoires. Certaines études ont montré une forte corrélation entre DT1, asthme et allergie (12), tandis qu’une métaanalyse a mis en évidence une relation inverse significative (13). Pour le diabète de type 1, il existe un argument expérimental de poids représenté par les souris NOD (non obese diabetic mice). Il s’agit du modèle murin le plus utilisé et le plus proche du DT1 humain. Ces souris développent un diabète auto-immun qui commence à apparaître à partir de l’âge de 12 à 14 semaines. Entre 25 et 30 semaines de vie, 70 % à 90 % des animaux présentent la maladie. Il a été montré que plusieurs agents infectieux, parmi lesquels des bactéries, des virus et des parasites (helminthes) peuvent diminuer l’incidence, voire annuler la survenue du diabète chez ces animaux (14). À l’inverse, l’élevage de ces souris dans un milieu stérile accroît la fréquence et la virulence de leur maladie. Pour autant, les processus immunologiques mis en jeu chez ces modèles restent discutés.   L’hypothèse hygiéniste revisitée Longtemps, l’hypothèse hygiéniste a reposé sur un conflit entre la voie Th1 (cellules T helper 1), celle de l’auto-immunité qui conduit à la production de TNF- β, interféron γ et IL-2, et la voie Th2 (cellule T helper 2), celle de l’allergie qui passe par l’IL-4, 5 et 13. Les cellules Th1 activent l’immunité cellulaire médiée par les cellules T, cellules NK (Natural Killer) et les macrophages, tandis que la voie Th2 met en branle l’immunité humorale en suscitant la production d’anticorps par les lymphocytes B. Le concept de déséquilibre de la balance Th1/Th2 était également conforté par le fait que chacune des voies exerce une action inhibitrice sur l’autre. Toutefois, cette hypothèse physiopathologique tend à être abandonnée au profit d’une théorie de la dysrégulation immunitaire. En effet, le déséquilibre se traduisant par une hyperactivation de la voie Th2 n’explique pas l’accroissement simultané de l’incidence des allergies et des maladies auto-immunes. D’autant que, selon certaines études, l’augmentation de ces pathologies est intimement corrélée(12). C’est la découverte de cellules régulatrices qui a conduit à l’élaboration d’une nouvelle proposition. L’activation d’une réponse immunitaire systémique résulte notamment de l’activation des lymphocytes T CD4+ par les cellules présentatrices d’antigènes, en particulier les cellules dendritiques, entraînant une différenciation en cellule Th1 ou Th2. Dans d’autres circonstances encore mal connues, le dialogue entre cellules dendritiques et CD4+ immatures aboutit à la différenciation de cellules régulatrices, les Treg. En produisant de l’IL-10, du TGF-β ou par interaction cellulaire directe, les cellules Treg sont capables d’annuler les réponses Th1 et Th2. Or, l’équilibre d’un tel système semble largement dépendant du dialogue entre immunité innée et acquise au cours des premiers âges de la vie (15). Certaines infections souvent bénignes et chroniques, comme les infections helmintiques, les mycobactéries saprophytes, les bifidobactéries et les lactobacilles ont fait partie de la micro-écologie de notre organisme pendant des millénaires. Il semble que ces agents induisent des réactions de régulation et permettent de conserver une homéostasie immunitaire. Par exemple, les infections helmintiques seraient à l’origine de la production de cytokines IL-10 et TGF-β régulatrices via la stimulation des cellules Treg et d’autres cellules régulatrices. C’est donc la disparition de ces « vieux amis » dans les pays développés qui serait, au bout du compte, à l’origine de l’augmentation des allergies et des maladies auto-immunes.   La théorie de l’accélérateur Bien qu’elle reste discutée, l’hypothèse hygiéniste est actuellement l’une des mieux documentées. Il ne serait toutefois pas juste de conclure cet article sans citer l’hypothèse de l’accélérateur proposée par T. J. Wilkin en 2001 (15). Le grand mérite de ce concept est de proposer une explication unique pour expliquer l’augmentation de l’incidence des diabètes de type 1 et 2. L’idée centrale est de considérer qu’il existe une destruction des cellules β dans les deux maladies, la seule différence étant la vitesse de destruction et l’accélérateur déterminant celle-ci. Ces accélérateurs sont, selon Wilkin, de trois types : un potentiel intrinsèque proapototique, essentiel bien qu’insuffisant ; l’insulinorésistance en rapport avec la sédentarité et la surcharge pondérale, qui fait pression sur les cellules β déjà menacées ; enfin, l’existence de facteurs génétiques de susceptibilité qui vont accélérer le processus de destruction chez les insulinorésistants et induire un DT1. Plus que la pression infectieuse, cette hypothèse, qui s’inscrit aussi dans une perspective évolutionniste, met l’accent sur les modes de vie, l’alimentation et la sédentarité.

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