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Pédiatrie générale

Publié le 04 juin 2015Lecture 13 min

Quand évoquer un trouble du sommeil chez l'enfant ?

H. DE LEERSNYDER, Paris

Le manque de sommeil est souvent évoqué pour expliquer la fatigue du nourrisson et de l’enfant. Dans les premières années de vie, l’organisation des rythmes veille-siestes-sommeil est parfois mal adaptée aux besoins biologiques de l’enfant. Les causes organiques des troubles du sommeil sont rares, tandis que les raisons psychologiques d’un mauvais sommeil responsable de fatigue sont fréquentes.

Le sommeil est une des grandes fonctions de l’organisme, il occupe les deux tiers de la vie d’un nourrisson, la moitié de la vie de l’enfant et un tiers de celle de l’adulte. Même s’il existe d’importantes variations individuelles des besoins de sommeil, le manque de sommeil entraîne rapidement une fatigue. Pourtant, cette impression de fatigue est une notion très subjective et, lors de la consultation de pédiatrie, il ne faut pas oublier que ce sont les parents qui rapportent l’état de leur enfant. Pendant les premières années, ce sont eux qui disent : « il ne dort pas assez, il manque de sommeil », alors que l’enfant paraît eutrophique, souriant et très en forme. Plus tard, ils incrimineront le manque de sommeil : « tu te couches trop tard, tu es fatigué », pour expliquer de mauvais résultats scolaires. La même question posée à l’enfant suscite une toute autre réponse : « non, je ne suis pas fatigué, d’ailleurs je ne suis jamais somnolent, je ne manque jamais l’école et moins encore le rugby ou la danse ».    Le nourrisson est-il fatigué ? Chez le nouveau-né, les rythmes veille-sommeil s’organisent et se répètent sur un rythme court, ultradien : veille-sommeil-soins-alimentation(1). Une ou deux fois par jour, le bébé ne se rendort pas entre deux tétées : il crie, il s’agite et la maman, qui, elle aussi désynchronise ses rythmes veille-sommeil, est d’autant plus fatiguée que ces périodes de veille surviennent le soir ou la nuit, et que les interactions précoces mère-père-bébé se mettent plus difficilement en place. Parfois, notamment entre 3 et 4 mois, le nourrisson dort peu dans la journée et la maman pense qu’il doit être fatigué alors qu’il installe simplement son rythme circadien(2-4) (rythme jour/nuit sur 24 h, 4 repas, sommeil nocturne prolongé) et qu’il découvre son environnement. Elle-même peut, à cette période, ressentir une grande fatigue. Elle doit organiser la garde si elle reprend son travail, les nuits sont courtes et elle peut avoir un baby-blues, voire une dépression. Le bébé risque alors d’être entraîné dans la fatigue maternelle et après une période où il lutte vaillamment par ses cris, il est parfois plus apathique, moins actif. Ce terme de « fatigue » doit alors être utilisé avec beaucoup de prudence et conduire à interroger le vécu maternel de ces premières semaines. En effet, la mère projette sur son bébé son propre état.   Adaptation de l’enfant à son environnement   Jusqu’à l’âge de 2 ans À cet âge, les siestes sont le tampon de la fatigue et du besoin de sommeil, elles permettent de compenser des nuits encore trop courtes (encadré 1). Normalement, l’enfant fait 3-4 siestes à 6 mois, 3 siestes à 9 mois, 2 siestes à 12 mois, et une seule sieste quotidienne vers 15-18 mois(2). Le bébé doit s’adapter au rythme et aux activités sociales des parents qui ne correspondent pas toujours à ses besoins propres. Ainsi, ce petit enfant est-il réveillé à 6 h du matin car sa mère, infirmière, doit le déposer tôt à la crèche pour prendre son travail. Cet autre nourrisson, au contraire, n’est jamais couché le soir avant 21 h 30, ses parents, qui rentrent tard du travail, voulant passer un moment avec lui le soir.   Le nourrisson doit aussi s’adapter à son environnement : à la crèche, il dort dans un petit dortoir et tous ses petits camarades n’ont pas nécessairement le même rythme que lui. À la maison, il partage la chambre avec son grand frère qui a du mal à s’endormir, ou, dans un petit logement, la télévision, les conversations téléphoniques, les disputes des parents parfois, ne lui sont pas épargnées. Ainsi, il n’aura pas toujours son compte de sommeil au bon moment de la journée. Certains nourrissons, sur-stimulés n’ont jamais un moment de calme, ni en semaine, ni le week-end, une agitation permanente règne autour d’eux, sans respect de leurs besoins propres. Et chez eux, la fatigue se traduit bien souvent par une agitation, des pleurs, paradoxalement, une difficulté à trouver le sommeil. Il est alors important d’interroger les parents sur l’organisation de la journée, les conditions de vie, le respect des siestes, pour les aider à aménager les horaires et à respecter le calme autour du bébé en tenant compte avec empathie des difficultés bien réelles qu’ils peuvent rencontrer. Il s’agit d’un acte de prévention de la part du pédiatre et il faudrait parfois même qu’il ose dire que le mode de garde est inadapté pour tel ou tel enfant. En effet, si les rythmes du bébé sont peu respectés, s’il est fatigué, il est beaucoup plus sensible aux petites infections des deux premières années qui aggraveront encore sa fatigue. D’autant qu’il continuera à aller à la crèche avec de la fièvre, une otite ou une gastroentérite.  Il faut se méfier de la fragilité psychologique du bébé hypervigilant, qui surveille en permanence son environnement, qui refuse de dormir (surtout s’il n’est pas chez lui), qui craint les séparations. Il s’agit de nourrissons « unsecure », souvent narcissiquement fragiles, qui peinent à faire pleinement confiance à leurs parents ou aux personnes qui les gardent. Il s’agit pour les parents de trouver le bon rythme : le nourrisson peut déjà être petit ou gros dormeur, varier la durée et la fréquence des siestes en fonction de ses besoins propres afin de réguler ses heures de sommeil et de s’adapter le mieux possible au rythme de vie imposé par l’organisation familiale, ainsi que le mode de garde. Cet âge est celui des troubles du sommeil, bénins, transitoires ou plus sérieux, plus complexes, dont la persistance entraînera un état de fatigue(6). Des difficultés d’endormissement, le plus souvent liées à des difficultés de séparation, peuvent conduire à l’échec du premier cycle de sommeil. L’heure du réveil étant constant et les siestes ne se passant pas toujours dans des conditions optimales, le manque de sommeil génère de la fatigue. En fin de journée, le petit enfant réclame rarement d’aller se coucher, mais il est grognon, agité, il a tendance à faire des caprices et à tester ses parents, notamment pour le repas du soir qui peut devenir pénible. Les réveils nocturnes sont souvent associés à des troubles d’endormissement, l’enfant répétant entre chaque cycle un rituel de coucher interminable (maman, bisou, pipi, biberon, papa, histoire, etc.). Ils ont alors peu d’incidence sur la journée, et ce sont plutôt les parents qui sont épuisés ces derniers leur sommeil est morcelé et doivent faire face à la difficulté de se rendormir en pleine nuit. Lorsque les réveils nocturnes sont isolés et répétés, ils justifient d’une analyse spécifique que les parents pourraient aborder en tenant préalablement un agenda de sommeil pendant une quinzaine de jours pour préciser la fréquence et la sévérité des troubles. Quelle qu’en soit la cause, les troubles du sommeil épuisent toute la famille et relèvent de consultations longues, ciblées sur le symptôme. Les parents exténués, peinent à trouver des solutions simples.   En maternelle Paroles d’enfants : • « Etre fatigué, c’est s’ennuyer, on n’a rien à faire, on s’endort » ; • « Quand on fait des bêtises, la maîtresse nous fait dormir » ; • « Etre fatigué, c’est quand on dort et qu’on se réveille », d’après Apprendre la santé à l’école de Brigitte Sandrin-Berthon ; • ou sans commentaire (figure 1): La maman de Kevin, 4 ans : « Docteur, il est toujours fatigué ».   Figure 1. Kevin, 4 ans, en route pour l’école.   Après l’âge de 3 ans, l’enfant a souvent un assez bon sommeil nocturne(6). Il peut refuser d’aller se coucher, d’autant que dans notre société le problème des limites est particulièrement sensible et que l’enfant reste dans la toute puissance en ayant du mal à gérer la frustration jusqu’à un âge avancé. L’organisation du sommeil est bien souvent le reflet de la vie familiale(7,8) et des difficultés pour certains d’intégrer des règles sociétales (respect des parents, valeur de l’école pour les apprentissages, gestion de la télévision et des nouvelles technologies, place laissée à l’enfant, être en devenir, etc.) (encadré 2).     Pendant les années de maternelle, le problème des siestes se pose souvent de façon aiguë(9) : en 1re année de maternelle, la sieste est imposée et certains enfants petits dormeurs dorment à l’école mais ne peuvent plus se coucher le soir. Au contraire, en 2e année, les enfants ne font plus la sieste alors que certains d’entre eux en auraient encore besoin. Il faut alors conseiller aux parents de réguler les siestes de façon hebdo madaire et de s’adapter aux rythmes propres de leur enfant le week-end. Mais cet état de fait génère une fatigue chez l’enfant qui s’accumule au fil du trimestre. Les vacances sont alors bien nécessaires et il faudra préserver le rythme des enfants pendant ces périodes de congé. Entre 3 et 6 ans, les journées sont souvent trop longues pour l’enfant (école, garderie, centre aéré) et il ne devrait pas y avoir d’activités extrascolaires en fin de journée. Celles-ci, intégrées dans les nouveaux rythmes scolaires pourraient être suffisantes, mais on sait la difficulté de mise en place de la réforme. Si l’enfant a des difficultés d’endormissement, une anxiété vis-à-vis de l’école, s’il existe des conflits familiaux, la fatigue s’installe rapidement. Il peut alors exister un conflit entre l’horloge homéostatique qui représente la pression de sommeil (le sommeil est une des grandes fonctions de l’organisme et il arrive un moment où il s’impose même si on lutte contre l’endormissement) et l’horloge circadienne qui dépend de l’horloge biologique située dans les noyaux suprachiasmatiques, régulée par les gènes d’horloge et indépendante de la volonté du sujet (figure 2). Ce conflit se traduit par une somnolence diurne, une fatigue et une impression de malaise.   Figure 2. Le balancier circadien (à gauche) et le balancier homéostatique (d’après G. Peremarty, Sommeil et médecine générale).   Entre 6 et 12 ans Entre 6 et 12 ans, la physiologie du sommeil est stable. Une fois endormi, l’enfant a un bon sommeil, il se réveille rarement la nuit, le sommeil est très récupérateur. La sécrétion de l’hormone de croissance, pendant les premiers cycles de sommeil, est toujours préservée.  C’est un âge où il faut savoir évoquer des causes organiques de troubles du sommeil, responsables de fatigue dans la journée, au premier rang desquelles les apnées du sommeil. Les apnées du sommeil(10) se traduisent par des ronflements nocturnes entrecoupés de pauses respiratoires, chaque apnée entraînant un micro-réveil, avec un sommeil très morcelé. Dans la journée, l’enfant après un réveil matinal difficile, est fatigué, parfois agité. La cause la plus fréquente (en dehors de malformations du massif maxillo-facial) est l’hypertrophie amygdalienne qui sera traitée par l’amygdalectomie(11). Plus rarement, on évoquera un syndrome des jambes sans repos(12) qui se traduit par des mouvements périodiques des membres inférieurs, un besoin impératif de bouger, plus fréquents chez les enfants porteurs d’un syndrome d’hyperactivité avec troubles de l’attention. Ce syndrome s’accompagne d’une ferritine basse et répond bien à un traitement par supplémentation en fer. Il peut être difficile de faire la part entre un enfant fatigué et un enfant qui a une somnolence diurne excessive. La durée de sommeil nocturne permet une classification. Si l’enfant dort plus de 10-11 heures la nuit, outre les deux syndromes décrits ci-dessus, on évoquera une narcolepsie(13) (syndrome de Gélineau), rare mais grave à cet âge là, qui associe des accès de sommeil irrépressibles, des cataplexies et un endormissement en sommeil paradoxal. Si ce diagnostic est évoqué, il justifie une consultation dans un centre spécialisé, la polysomnographie permettant de confirmer le diagnostic. La fatigue, les maladies virales de type mononucléose, les causes psychologiques évoquées retardent le diagnostic(14) (encadré 3).     Fatigue et dépression : insomnie ou hypersomnie ? Si l’enfant dort moins de 9-10 heures la nuit, il faut incriminer des difficultés d’endormissement(15). Ces difficultés d’endormissement sont très fréquentes si on interroge directement l’enfant. À cet âge, il ne dérange plus ses parents, qui pensent qu’il dort bien et nient le plus souvent ce symptôme, alors que l’enfant reste dans son lit incapable de trouver le sommeil. On peut penser que ces insomnies d’endormissement de l’enfant en période de latence sont les précurseurs des insomnies de l’adulte et ne devraient pas être minimisées(16,17). L’enfant ne met pas encore de mots très clairs sur son anxiété vis-à-vis de l’école et des résultats scolaires, sur les tensions qui existent avec ses camarades ou sur des difficultés familiales. Dans sa chambre, alors qu’on le croît endormi, il devient le surveillant général de la famille, il écoute les conversations, tend l’oreille si le téléphone sonne, enregistre les disputes, interprète à sa façon des paroles qu’il entend parfois partiellement. Sans doute, alors, rate-t-il un ou deux cycles de sommeil, mais il en parle peu et ses parents le trouvent fatigué, il a du mal à se lever le matin. Si les difficultés psychologiques qu’il rencontre sont importantes, un état de fatigue est souvent le premier signe d’une dépression. L’enfant est triste, il raconte peu ses journées d’école, a moins d’amis et désinvestit les activités extérieures (comme le sport). Il peut apparaître effacé et docile, calme à la maison, ce qui est confortable pour ses enseignants et ses parents, mais traduit aussi un renoncement. La fatigue est alors un excellent signe d’appel qui doit être interrogé avec empathie.   Conclusion   • Le manque de sommeil est souvent évoqué pour expliquer la fatigue de l’enfant. Les rythmes veille-sommeil inadaptés en sont parfois responsables, liés à des contraintes sociales ou éducatives qui ne prennent pas toujours en compte l’âge des enfants et leur condition d’enfant obligé de s’adapter à la vie des adultes. • Les causes médicales de troubles du sommeil responsables d’une fatigue diurne sont rares. Les causes psychologiques sont au premier plan et doivent être recherchées avec soin. Et pourquoi ne pas reconnaître à l’enfant le droit d’être parfois fatigué, de demander qu’on le laisse prendre du temps pour grandir à son rythme ? 

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