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Comportement

Publié le 04 juin 2015Lecture 10 min

Comment expliquer aux adolescents les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) ?

M.-F. LE HEUZEY, hôpital Robert Debré, Paris

Le régime alimentaire des adolescents n’est pas équilibré, les enquêtes l’ont démontré. Dès lors, comment faire passer des recommandations de manger sain sans provoquer des comportements outranciers de restriction à un âge où tous les excès sont possibles ? Loin de préconiser une surveillance rapprochée des adolescents, Marie-France Le Heuzey (hôpital Robert Debré, Paris) livre ici quelques conseils de prudence et de bon sens à délivrer sans modération.

Que sait-on de l’alimentation des adolescents ? Selon l’Etude nationale nutrition santé (ENNS), les pourcentages des adolescents qui atteignent les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) est de 43,2 % pour les 11-14 ans et seulement 29,6 % chez les 15-17 ans. Chez ces derniers, les apports sont faibles pour les fruits et légumes, le poisson, les produits laitiers, assez faibles pour les féculents, assez satisfaisants pour le groupe viande, volaille, œufs. Les apports en sel des garçons sont trop élevés et les apports en calcium sont particulièrement faibles chez les adolescentes. La grand étude AlimAdos a fourni beaucoup de données et notamment des remarques critiques sur les recommandations du PPNS :« En me levant le matin, je ne pense pas au nombre de pommes et de bananes qu’il faudrait que je mange », « On ne sait plus quoi bouffer, j’en ai marre de regarder les étiquettes ». Ces quelques commentaires laissent à penser que le programme PPNS Manger Bouger n’est pas très adapté au monde des adolescents. Cette impression est confirmée par la lecture du fascicule Inpes destiné aux adolescents, dans lequel les « recettes » publiées ne sont adaptées ni aux goûts des adolescents, ni à leur mode de fonctionnement. À cette période de la vie, on aime la nourriture nomade, les choses vite prêtes, les partages entre copains, et on n’est pas prêt à prendre du temps pour confectionner soi-même un coulis de tomates fraîches ou à renoncer au bacon et au ketchup dans le hamburger.   Effets inattendus des recommandations Autre cas de figure, l’adolescent(e) ayant une vulnérabilité particulière qui est déstabilisé(e) par les recommandations du bien manger. En voici quelques exemples : Morgane, 12 ans, bonne élève, écoute particulièrement attentivement le cours de nutrition fait au collège. Les jours suivants, elle fredonne sans arrêt le refrain d’une chanson « On est foutu on mange trop ». Morgane distribue alors son goûter aux copines. Elle réduit son alimentation et ses apports hydriques et, 4 mois plus tard, elle est hospitalisée dans un état cachectique. Le pédiatre d’Amélie la trouve un peu trop ronde. Il veut la sensibiliser au bien manger avec quelques formules chocs : « Tu sais un pain au chocolat, c’est l’équivalent de 10 oranges ». Amélie est terrorisée, elle renonce au pain au chocolat, puis à de nombreux aliments réputés trop énergétiques et, quelques mois plus tard, elle doit être hospitalisée pour grave perte de poids. Enfin, les parents d’Édouard sont des consommateurs tellement respectueux du manger sain que tout ce qu’ils considèrent trop gras ou trop sucré est strictement interdit à la maison. Les repas sont tristes, sans fantaisies, sans plaisirs. Édouard, en revenant du collège, fait un détour quotidien par le fastfood où il « se gave » de façon compulsive de frites et de boissons gazeuses.   Quels sont les impacts des campagnes nutritionnelles ? À ma connaissance, l’évaluation des effets éventuellement négatifs du PNNS n’a pas été publiée. Les publications portant sur les campagnes d’information nutritionnelle en milieu scolaire étudient, par exemple, les variations de consommation de légumes, la stabilisation du nombre de sujets en surpoids, mais généralement ignorent les effets latéraux ou parlent globalement d’effets « limités ». Le poids des campagnes scolaires n’est pas clairement étudié. C’est ce que souligne l’article de L. Pinhas qui rapporte 4 cas cliniques (1 garçon et 3 filles, âgés de 12 à 14 ans) dont le début du syndrome restrictif coïncide avec une campagne nutritionnelle scolaire. Ces 4 jeunes situent le début de leur restriction alimentaire, conjuguée à des exercices physiques excessifs, juste après une présentation en classe des comportements et des aliments sains. Les auteurs veulent attirer l’attention sur l’impact négatif des campagnes nutritionnelles sur certains enfants vulnérables qui souffrent de mauvaise estime de soi, d’insatisfaction corporelle ou de perfectionnisme. En France, comme au Canada, nous sommes dans une situation complexe où délivrer des messages nutritionnels peut induire des comportements restrictifs et d’élimination, comme les cas de Morgane et d’Amélie cités précédemment. Dans un autre domaine, l’intérêt de l’étiquetage avec les valeurs caloriques sur les produits destinés aux jeunes n’est pas démontré, et certaines études montrent plutôt un effet de surconsommation.   Que conseiller alors pour « bien » manger ?   Effets bénéfiques des repas familiaux Les repas familiaux sont le pivot du bien manger. De nombreuse études ont montré chez l’adolescent les bienfaits des repas pris en famille : rôle protecteur contre les troubles du comportement alimentaire, facteur essentiel pour une alimentation saine. Prendre le petit-déjeuner et le dîner ensemble va de pair avec une alimentation de qualité et un poids correct, et comme le disait un adolescent de l’enquête AlimAdos : « C’est obligé demanger des légumes, on mange ce que donnent nos mères ». Le rôle des facteurs environnementaux, tels que la proximité d’un fastfood ou, au contraire, la proximité d’un marché de produits frais est non significatif s’il n’est pas étayé par la qualité du milieu familial.   Encore faut-il que ces repas familiaux véhiculent les bons messages... En effet, l’encouragement des parents à limiter les apports alimentaires pour contrôler ou perdre du poids est reconnu depuis longtemps comme un facteur délétère auprès des adolescents, entraînant des préoccupations excessives autour du poids, une restriction alimentaire, une hyperphagie boulimique, des vomissements provoqués, une baisse de l’estime de soi, une dépression, et aussi comme un facteur de risque de surpoids. Ainsi, lors d’une étude qui a inclus 356 filles, d’âge moyen 15 ans, dont 46 % étaient en surpoids, 58 % d’entre elles ont rapporté qu’elles étaient critiquées par des membres de leur famille et 45 % étaient encouragées par leur mère à faire un régime. Les critiques étaient fortement associées à un accroissement de l’IMC, une insatisfaction corporelle, des techniques de contrôle de poids déviantes et des crises d’hyperphagie boulimique, avec perte de contrôle. Le rôle des conversations intrafamiliales a été analysé dans l’étude EAT 2010 (Eating and activity in teens 2010) portant sur 2 793 adolescents issus de 20 écoles. L’âge moyen était de 14,4 ans, avec un bon équilibre entre garçons (46,8 %) et filles (53,2 %). L’interview des mères, mais aussi des pères, dont le rôle est enfin reconnu depuis quelques années, a montré que 34 % des mères et 38 % des pères n’avaient jamais de conversation autour du poids et de l’alimentation avec leurs adolescents. Les échanges portant sur les bonnes habitudes alimentaires concernaient 28 % des mères et 23 % des pères d’adolescents normo-pondéraux et seulement 15 % des mères et 14 % des pères des adolescents en surpoids. Les conversations portant directement sur le poids concernaient 33 % des mères et 32 % des pères des normo-pondéraux, mais 60 % des mères et 59 % des pères de ceux en surpoids. Pour les normo-pondéraux, la prévalence de l’hyperphagie boulimique était moins importante chez ceux dont les mères ne parlaient pas de poids et il y avait plus de régimes chez ceux dont les pères ou les deux parents parlaient de poids et d’alimentation. Le poids apparaît comme un sujet particulièrement délicat au sein de la famille. Le rôle péjoratif des régimes chez l’adolescent est reconnu et confirmé : les adolescents qui font des régimes ont 2 à 3 fois plus de risques d’évoluer vers l’hyperphagie boulimique que les non-pratiquants. Les messages omniprésents de lutte contre le surpoids et l’obésité peuvent ainsi avoir des répercussions négatives à travers les paroles ou les attitudes  parentales, comme dans l’exemple d’Édouard.  Chez d’autres, les messages du « bien manger » vont conduire à l’orthorexie. Or manger trop sain peut devenir malsain, car l’adolescent devient prisonnier d’un comportement de contrôle excessif, le coupant peu à peu d’une vie sociale épanouie. Il est aussi important d’être vigilant devant des tableaux de pseudo-végétarisme. Pourquoi pseudo ? Car ces jeunes filles qui, derrière des prétextes végétariens, éliminent les viandes, mais aussi le beurre, le lait et le pain, deviennent petit à petit des anorexiques débutantes (ou avérées).   Et bouger ? Les adolescents sont de grands consommateurs de tous les supports technologiques et de leurs applications : smartphones, tablettes, télévisions, jeux, réseaux sociaux, etc. Certes, un lien a été établi entre l’excès de temps passé devant les écrans et à la fois les mauvaises habitudes alimentaires, le cyberharcèlement, la sédentarité, la consommation d’alcool et l’absentéisme scolaire. La forte exposition aux réseaux sociaux et aux sites Pro-Ana* qui font l’apologie de la minceur augmente la mauvaise perception corporelle chez les filles. Mais le lien entre adiposité et temps passé devant les écrans n’est pas établi, même si on peut dire que, sur ce point, le rôle de la télévision est plus néfaste que celui des jeux. En fait, ce ne sont pas les écrans qui sont négatifs mais le type d’utilisation : on a démontré depuis longtemps le rôle péjoratif de la télévision à la table familiale, le rôle négatif des prises alimentaires en solitaire devant un écran, etc. C’est aux parents de faire respecter les règles : l’adolescent ne mange pas dans sa chambre, il vient à la table familiale et là, pas de télévision, pas de smartphone et pas d’oreillettes, etc. L’adolescence est la période du processus séparation-individuation : le jeune s’éloigne des images parentales pour se construire son identité au contact de son groupe de pairs et des modèles sociaux (professeurs, sportifs, célébrités diverses, etc.). Il fait des expériences, teste l’environnement dans tous les domaines. Mais il a besoin également d’un socle rassurant, d’une famille sur qui il peut s’appuyer. Pour l’alimentation, c’est la même chose : le socle c’est la table familiale. Le fastfood, les snacks, le chocolat, etc., ce sont les moments pour soi, des moments d’exception. * Abréviation de pro-anorexie.   Gare au sport extrême… Les activités sportives sont certainement à encourager à tout âge, encore faut-il s’adapter au tempérament de l’adolescent pour tenter de prévenir les comportements extrêmes : attention aux sports à haut risque chez les garçons chercheurs de sensation et à l’anorexia athletica chez les filles, car l’adolescence est la période de tous les excès possibles.   Les messages sociaux Les messages « santé » sont détournés vers des messages de stigmatisation du surpoids à tous les âges. Si le « thigh gap** » ne motive peut-être pas toutes les adolescentes, tous, filles et garçons, sont soumis au même culte de l’image. L’idéalisation de corps « ultraminces » (en fait maigres) pour les filles, de corps musclés « sans graisse » pour les garçons a un impact négatif sur l’estime de soi, pouvant entraîner de nombreuse conduites alimentaires déviantes : vomissements provoqués, ingestion de suppléments protéinés, etc. ** Le thigh gap consiste à conserver un espace entre les cuisses même lorsque les pieds sont serrés l’un contre l’autre.   Conclusion Le  PNNS est à consommer avec modération à l’adolescence. Tous les adolescents ne doivent pas être soumis aux mêmes « exigences ». Chez certains, manger trop sain peut devenir malsain, alors que chez d’autres l’attractivité des fruits défendus va avoir un effet inverse. Dans les programmes d’éducation, la cible prioritaire devrait être les adultes en tant que modèles. Enfin, il faudrait enseigner à tous et toutes que le plaisir est le mot clé : plaisir de cuisiner dès l’enfance, de présenter les aliments, de découvrir de nouvelles expériences gustatives, de partager les repas.

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