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Nutrition

Publié le 05 mai 2015Lecture 15 min

Introduction du gluten dans l’alimentation des nourrissons

J.-P. OLIVES, Service de gastroentérologie et nutrition, hôpital des enfants, CHU de Toulouse

La maladie cœliaque, également appelée entéropathie par sensibilisation au gluten, est maintenant considérée comme un important problème de santé publique du fait de sa prévalence estimée en Amérique du Nord et en Europe occidentale de 1 à 2 % suivant les régions(1,2). Bien que les mécanismes physiopathologiques ne soient pas tous complètement élucidés, la maladie cœliaque est définie comme une affection comportant des manifestations auto-immunes, la transglutaminase tissulaire étant le principal auto-antigène.

L’atteinte du tube digestif est caractérisée par une atrophie des villosités intestinales. Ces mécanismes sont en relation avec un déterminisme génétique, les sujets porteurs des gènes HLA-DQ2 ou HLA-DQ8 développant des réactions délétères si leur alimentation contient du gluten ou des protéines issues de céréales apparentées(3). Cependant, le fait qu’un nombre relativement faible d’individus porteurs de ces gènes de susceptibilité développe une intolérance au gluten, suggère fortement que les causes de la maladie cœliaque sont multifactorielles et que d’autres facteurs génétiques et environnementaux jouent un rôle qui influence l’expression phénotypique de cette maladie. C’est la raison pour laquelle, actuellement, il est légitime de parler d’intolérances au gluten au pluriel, la maladie cœliaque ne représentant dans cet ensemble que la forme clinique classique avec manifestations digestives chroniques(2). Les manifestations auto-immunes se développant le plus souvent chez l’enfant entre les âges de 4 et 24 mois, après le sevrage, lorsque les céréales sont introduites pour la première fois dans l’alimentation, le rôle du gluten comme facteur favorisant le risque de développer la maladie est fortement suspecté. La période de la diversification alimentaire représente donc à ce titre une période cruciale. La théorie de la programmation (programming) s’applique à un événement environnemental qui survient pendant les premières semaines ou mois de la vie, à un moment déterminant que l’on appelle « fenêtre critique », et qui détermine ou déclenche une réaction définitive dans l’organisme. Cette hypothèse a été largement étudiée pour de nombreux composants alimentaires (protéines, sucres rapides, graisses saturées, sel) susceptibles de favoriser la survenue de maladies nutritionnelles (obésité, athérosclérose, hypertension artérielle, allergies alimentaires), mais elle pourrait aussi parfaitement expliquer les réactions déclenchées par l’introduction du gluten dans la diète alimentaire des jeunes nourrissons. L’arrêt de l’allaitement maternel avant l’introduction du gluten, la consommation de grandes quantités de céréales et l’introduction précoce d’aliments contenant des protéines du lait de vache, ont été rapportés depuis les années 1970 comme des facteurs de risque(2,4).   Qu’est-ce que le gluten ? Le gluten, fraction non soluble de la farine dans l’eau, comprend un mélange complexe de peptides : les gliadines, de forme globulaire, et de grands polymères, de forme filamenteuse, les gluténines. Les gliadines sont les fractions solubles du gluten dans l’alcool, leur poids moléculaire varie entre 30 000 et 45 000 daltons. Suivant leur migration électrophorétique, on distingue 4 groupes : α, β, γ et ω. Les gliadines et les gluténines sont très riches en deux acides aminés, fréquemment associées dans les séquences peptidiques les plus toxiques pour les intolérants au gluten, la glutamine et la proline. Cette combinaison leur a valu le nom de prolamines(1,2). Les céréales toxiques pour les intolérants au gluten sont le blé, le seigle et l’orge. L’effet délétère de l’avoine reste un sujet de controverse depuis plus de 30 ans, cependant, si elle est toxique, c’est à un degré moindre et de façon variable d’un individu à l’autre.   Introduction du gluten chez les nourrissons : quand ? combien ? comment ? L’hypothèse séduisante selon laquelle l’âge de la première introduction du gluten chez les individus génétiquement prédisposés pourrait influencer le développement d’une maladie cœliaque (date de début, apparition brutale ou progressive, expression symptomatique, etc.) s’appuie sur le fait qu’à une certaine période dans le développement de l’humanité, des individus ont perdu la capacité de développer une tolérance digestive à l’introduction d’antigènes alimentaires inconnus et nouveaux(2,4).   À quel âge introduire le gluten ? Les premiers travaux qui avaient étudié l’âge auquel le gluten était introduit avaient montré que la date d’introduction n’influençait pas la fréquence d’apparition de la maladie cœliaque, mais que par contre, elle pouvait modifier la date d’apparition et l’intensité des symptômes. Malgré des défauts méthodologiques, la première étude qui a apporté des éléments probants en faveur du rôle de la date et des modalités de l’introduction du gluten dans l’alimentation des jeunes enfants a été réalisée en 1970 en Angleterre dans la région du West Somerset(5). Les auteurs avaient souligné que l’incidence de la maladie cœliaque diminuait de 1 sur 1 228 à 1 sur 4 168 suite à des recommandations stipulant de supprimer l’addition de farine dans les biberons et de n’introduire le gluten qu’à partir de l’âge de 4 mois. Bien que l’effectif de cette étude soit faible et que le travail soit rétrospectif, elle a ouvert la porte à de nombreuses études épidémiologiques conduites avec des critères méthodologiques non contestables. L’étude DAISY menée à Denver (Colorado) publiée en 2005 s’est déroulée sur une période de 10 ans(6). Mille cinq cent soixante enfants ont été étudiés et répartis en trois groupes en fonction de leur âge au moment de la date d’introduction du gluten : de la naissance à 3 mois, de 3 à 7 mois, et de 7 mois et au-delà. Ces enfants étaient considérés comme des enfants à risque de développer une maladie cœliaque, les critères retenus étant la présence d’un parent de 1er degré présentant un diabète de type 1, ou si l’étude génétique avait été réalisée, que ces enfants soient porteurs des gênes HLA-DR3 ou DR4. Le diagnostic de maladie cœliaque était établi sur la positivité des anticorps antitransglutaminase tissulaire à deux dosages consécutifs ou plus, ou sur la combinaison d’un dosage positif des anticorps antitransglutaminase et d’une biopsie intestinale montrant une atrophie villositaire. Le suivi de ces enfants a permis d’identifier que 51 d’entre eux ont développé une maladie cœliaque avec des manifestations auto-immunes ; ceux exposés au gluten, pendant les 3 premiers mois de vie, avaient un risque d’apparition de la maladie 5 fois plus élevé que ceux âgés de 4 à 6 mois. De façon surprenante, ceux qui ont reçu du gluten à 7 mois ou après montraient également un risque plus élevé (environ 2 fois plus) de développer une intolérance au gluten que ceux du groupe âgés de 4 à 6 mois. Ces résultats semblent confirmer l’existence d’une « fenêtre critique » en dehors de laquelle l’introduction du gluten ingérée dans l’alimentation, peut aussi bien augmenter que diminuer le risque ultérieur de développer une maladie cœliaque. La principale limite de ce travail est que la quantité de gluten n’a pas été estimée au moment de l’introduction chez ces enfants. Cependant, les auteurs spéculent que les nourrissons qui ont reçu du gluten après 7 mois ont certainement consommé des quantités plus importantes que les enfants des autres groupes(6).   Influence de la quantité de gluten pendant la période d’introduction Du point de vue épidémiologique, l’expérience de la Suède pendant les années 1980 est tout à fait démonstrative pour illustrer le rôle de la quantité de gluten pendant la période de la diversification alimentaire. En effet, ce pays a observé ce qu’il est convenu d’appeler une véritable « épidémie » de maladie cœliaque suite à des changements dans les recommandations de la part des autorités de santé concernant la quantité de céréales et de gluten à proposer aux nourrissons pendant les premières semaines de vie. Suite à ces recommandations, à partir de 1982, l’incidence annuelle des cas de maladie cœliaque en Suède a été multipliée par 4, atteignant 200 à 240 cas pour 100 000 habitants par an. Par la suite, de nouvelles recommandations conseillant de diminuer la consommation précoce de céréales a été suivie par un retour progressif à partir de 1995 aux chiffres antérieurs : 50 à 60 cas pour 100 000 habitants par an(7,8). Des pays voisins comme le Danemark, la Norvège, voire l’Angleterre, qui partagent probablement des populations avec les mêmes spécificités génétiques et qui n’avaient pas modifié les quantités de gluten proposées aux nourrissons avaient, au contraire, observé une diminution de fréquence des maladies cœliaques pendant la même période. L’analyse soigneuse et complète de tous ces éléments par des spécialistes de l’intolérance au gluten et les autorités de santé suédoises ont identifié des données qui compliquent encore la réflexion et le problème. Une campagne de dépistage systématique de la maladie cœliaque par les anti-corps anti-endomysium avait permis de montrer que les enfants nés entre 1996 et 1997, au moment où les quantités de gluten avaient été diminuées, ne présentaient pas une baisse d’incidence, comparé à ceux nés pendant la période de 1992-1993. Ces résultats indiquent donc que la quantité de gluten au moment du sevrage peut affecter le développement des symptômes de la maladie cœliaque et modifier l’expression phénotypique de la maladie, mais ne protège pas l’enfant contre le risque ultérieur de maladie cœliaque(9). Enfin, les études de suivie de la cohorte d’enfants nés pendant cette période épidémique montrent que le risque élevé de voir apparaître une intolérance au gluten se déplace avec le temps et qu’à l’âge de 12 ans, l’incidence dans cette population atteint 3 %, ce qui est 2 à 3 fois plus que la moyenne de la majorité des pays européens(10). Les résultats des études réalisées en Inde sont également très significatifs et donnent un peu plus de poids à l’hypothèse du rôle primordial de la quantité de gluten dans le déclenchement des phénomènes d’auto-immunité de la maladie cœliaque. Dans ce pays, la maladie cœliaque est fréquente dans les régions du nord où l’on consomme de grandes quantités de blé et de gluten, alors qu’elle est beaucoup moins fréquemment rencontrée dans les états du sud où le riz représente la base de l’alimentation de l’enfant(11).   Modalités de l’introduction Le lait maternel contient de multiples facteurs immunologiques susceptibles de moduler la réponse immunitaire et certaines réactions qui conduisent à la tolérance ou à l’intolérance (production de cytokines, balance Th1-Th2)(2). Le lait maternel contient également du gluten dont les quantités sont variables en fonction de l’alimentation de la mère et qui changent également en fonction de l’âge de l’enfant et de la période de lactation : de 5 à 1 200 ng/ml dans le lait mature, alors que la quantité de gluten est 5 à 7 fois plus élevée dans le colostrum. La présence du gluten dans le lait maternel conduit à s’interroger sur le rôle que peut avoir l’exposition des enfants nourris au sein à des quantités faibles et variables de gluten jour après jour. Prendre en compte cette donnée con duit imparablement à constater qu’à l’évidence, les enfants qui sont exclusivement nourris par un lait industriel au biberon ne recevront du gluten qu’au bout de plusieurs mois, au moment de la diversification alimentaire, sans jamais avoir été en contact avec cet antigène alimentaire auparavant. Une méta-analyse rigoureuse reprenant toutes les études épidémiologiques observationnelles étant en rapport avec le rôle présumé du lait maternel sur le développement de la maladie cœliaque, a montré que la poursuite de l’allaitement maternel au moment où le gluten est introduit dans l’alimentation réduit de 52 % le risque de développer une intolérance au gluten ultérieure, par rapport au groupe d’enfants qui ne reçoivent pas d’allaitement maternel durant la diversification au moment où le gluten est introduit(12). Le même auteur a appliqué ces résultats dans un modèle mathématique informatisé pour estimer combien de cas de maladie cœliaque pourraient être prévenus au Royaume-Uni si la majorité des enfants étaient nourris au sein pendant la période de la diversification alimentaire ; les conclusions de ce travail sont que 2 500 cas de maladie cœliaque par an pourraient être prévenus par cette simple recommandation et sa mise en pratique(13). Pour revenir à l’expérience de la Suède, les études déjà citées donnent des preuves sur l’effet protecteur du lait maternel par rapport au rôle déclenchant du gluten dans l’alimentation. Les nourrissons suédois, qui étaient alimentés au sein lors de la première exposition au gluten dans l’alimentation, y compris avec des apports élevés, ont un risque inférieur de développer une maladie cœliaque par rapport à ceux qui sont nourris avec un lait industriel, et ce risque est encore diminué s’ils continuent à être alimentés plusieurs se maines après l’introduction du gluten(12). En revanche, de façon surprenante, les résultats de l’étude DAISY n’apportent pas d’élément probant permettant de confirmer le rôle protecteur d’un allaitement maternel prolongé. Les auteurs eux-mêmes soulignent cette discordance dans la discussion de leur article, la rapportant comme étant probablement due à une approche méthodologique différente(6). L’étude DAISY était une étude prospective, centrée uniquement sur des enfants à très haut risque, alors que les études précédentes, en particulier suédoises, étaient rétrospectives et incluaient essentiellement des enfants de la population générale, sans risque particulier. Cependant, malgré ces évidences, des questions cruciales restent sans réponse(14) : • Est-ce que l’allaitement maternel poursuivi pendant l’introduction du gluten assure une protection permanente contre le risque de maladie cœliaque ou entraîne simplement un effet « suspensif » en retardant l’apparition des symptômes ? • Est-ce que les enfants nourris au sein sont plus susceptibles de développer des symptômes extra-intestinaux et donc des maladies cœliaques atypiques ? • Quel est le mécanisme impliqué dans l’effet protecteur de l’allaitement maternel : activité immunomodulatrice, protection contre les infections gastro-intestinales, effet indirect sur la quantité de gluten ingérée et les modalités de la diversification ?   Recommandations actuelles S’appuyant sur les données des études épidémiologiques réalisées, le Comité de nutrition de la Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique (ESPGHAN) recommande d’éviter d’introduire le gluten avant l’âge de 4 mois et après l’âge de 7 mois(15). La période idéale serait donc entre 4 et 6 mois de vie, le gluten devant être introduit en petite quantité, de façon progressive, tout en maintenant l’allaitement maternel chaque fois que cela est possible. Le choix de cette « fenêtre » est en relation avec la possibilité que cette intervention diététique se fasse au moment où le système immunitaire est mature et pendant laquelle l’allaitement maternel pourrait avoir un effet protecteur sur la muqueuse gastro-intestinale et le déclenchement des réactions auto-immunes. Au vu des données récentes, les recommandations actuelles sont claires, la période idéale pour introduire le gluten semble se situer idéalement entre 4 et 6 mois de la vie(15). Ce qui, par contre, n’est pas connu et encore moins démontré, c’est comment les modalités de la diversification alimentaire agissent sur la susceptibilité génétique en fonction de l’âge et de certains facteurs environnementaux. Un mécanisme qui pourrait être d’une importance cruciale n’a pas été, à ce jour, encore suffisamment exploré, il s’agit du rôle de la flore intestinale ; si le rôle de certains agents pathogènes, en particulier viraux (adénovirus, rotavirus) est maintenant bien connu, une étude récente montre que les enfants atteints de maladie cœliaque, qu’ils soient en phase de maladie active avec une atrophie villositaire ou en rémission, ont une composition de la microflore complètement différente des sujets témoins en bonne santé(16). Les discussions concernant la période idéale pour introduire le gluten chez les jeunes enfants ne sont en aucun cas des spéculations futiles sur les modalités de la diversification alimentaire. Elles concernent la prévention d’une maladie qui est un problème de santé publique majeur puisqu’elle peut affecter 1 personne sur 200 et qui, si elle n’est pas traitée, peut conduire à des complications graves et une augmentation de la mortalité à l’âge adulte.

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