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Allergologie - Immunologie

Publié le 01 mar 2015Lecture 7 min

Cela ressemble à de l’allergie alimentaire, mais ce n’est pas de l’allergie alimentaire

E. BIDAT, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt

L’allergie alimentaire est fréquente. Elle concerne 6 % des 2 à 5 ans, 9,9 % des 6 à 10 ans, 4,5 % des 11 à 14 ans(1). Quand des signes cliniques, comme une éruption, une urticaire ou des signes digestifs surviennent après un repas, il est tentant de les rattacher à une allergie alimentaire tant sa fréquence est importante. Il existe pourtant d’autres pathologies qui surviennent au décours du repas et partagent des signes cliniques avec l’allergie alimentaire. Connaître ces pathologies est important, cela évite des examens inutiles, des inquiétudes familiales. De plus, la prise en charge est simple… une fois le diagnostic porté.

Histoire clinique Hannaé est née au terme de 35 semaines d’aménorrhée. Il n’existe pas d’antécédents allergiques familiaux. La diversification a débuté à 4 mois d’âge corrigé. Dès l’introduction des fruits, les parents remarquent une éruption qui survient rapidement (de 1 à 10 minutes), à type d’érythème avec parfois un élément ortié sous-palpébral, sur la tempe droite, de forme triangulaire. L’éruption à toujours le même aspect. Les parents qui sont particulièrement observateurs ont noté que cette éruption apparaît après l’absorption de plus de 40 à 50 g de fruits et disparaît en quelques minutes. Tous les fruits essayés sont concernés, qu’il soient préparés industriellement (pommes, pommes coings, pommes poires, bananes, coings, poires), ou frais (différentes variétés de poires, mirabelles, abricots, nectarines, pêches, fraises, raisin, kiwis, ananas). Les deux seuls fruits consommés sans réactions sont les cerises et la reine-claude. Elle tolère tous les autres aliments : légumes variés, poissons, œufs. Son pédiatre évoque une possible allergie alimentaire pour des doses élevées d’allergènes fruits et il conseille « de poursuivre les fruits sans dépasser la dose réactogène de 30 g ». Probablement peu satisfait de son diagnostic, il nous adresse une photo (figure 1), et nous demande notre avis, son allergologue « locale » ne pouvant voir l’enfant avant 5 mois. L’histoire clinique et la photo permettent de porter immédiatement le diagnostic de syndrome des flushes gustatifs ou syndrome auriculo-temporal, encore nommé syndrome de Lucie Frey. Le diagnostic était facile, car il y a plus de 20 ans, je m’étais creusé la tête pour un enfant un peu plus âgé qui présentait une drôle d’éruption, identique (figure 2).   Figure 1. Photo de Hannaé envoyée par les parents au pédiatre.   Cette éruption ne pouvait pas, par la description et l’évolution, être une allergie alimentaire. Depuis, plusieurs fois par an, des patients consultent pour des drôles « d’allergie alimentaire ». Quand il est possible d’observer une poussée, ou plus souvent actuellement, quand les parents nous montrent la photo sur leur téléphone portable multifonction, le diagnostic est vite porté. Tout le monde est rassuré, parents et médecin. Aucun examen complémentaire n’a été effectué, et l’enfant a arrêté tout régime.   Figure 2. Syndrome des flushes gustatifs ou syndrome auriculo-temporal de Lucie Frey.   Mais les choses se compliquent, et le médecin nous transmet quelques semaines plus tard un courriel des parents : « Maintenant qu’Hannaé prend plus de 100 g de diverses compotes de fruits cuits, outre l’apparition de ses plaques rouges sur sa tempe droite, nous avons aussi l’apparition de plaques rouges sur sa tempe gauche ». Cela les interpelle car nous avions indiqué que les lésions étaient unilatérales. Le médecin rajoute qu’il existe aussi des réactions à l’aubergine qui semblent différentes à type de lésions urticariennes péribuccales. L’histoire évoque maintenant un syndrome des flushes gustatifs bilatéral, ce qui est plus rare que dans la forme unilatérale, associé à une fausse allergie alimentaire à l’aubergine.   Le syndrome des flushes gustatifs ou syndrome auriculo-temporal, ou syndrome de Lucie Frey Ce syndrome a été décrit par Lucie Frey (1889-1943) chez un soldat polonais blessé par un boulet de canon. Les signes sont rattachés à une atteinte du nerf facial qui peut être d’origine traumatique ou infectieuse. Par la suite, le syndrome a été rapporté chez des nourrissons souvent nés après un accouchement difficile. Les signes débutent vers 3-6 mois, ils sont volontiers déclenchés par la mastication (alimentation solide) ou l’hypersalivation (fruits, bonbons, épices). Ils débutent dès les premières bouchées et disparaissent peu après la fin du repas (tableau 1). Les signes persistent un à deux ans(2), d’autres ont rapporté des évolutions plus prolongées jusque deux à cinq ans(3). Le mécanisme évoqué est une régénération aberrante des fibres du nerf auriculo-temporal lésé (figure 3), qui donne lieu à la formation préférentielle de fibres sympathiques, expliquant une stimulation des glandes sudoripares et des vaisseaux sous-cutanés, à la suite de l’ingestion d’aliments ou de boissons. Une innervation aberrante congénitale est aussi possible. Le diagnostic se fait sur la clinique, il n’y a pas de bilan allergologique à faire, pas de traitement… si ce n’est attendre. Il faut rassurer pleinement les familles(2).   Figure 3. Rapports anatomiques entre les fibres du nerf auriculo-temporal et la glande parotide. Les fausses allergies alimentaires Les fausses allergies alimentaires miment les authentiques allergies alimentaires en partageant des signes communs, notamment l’urticaire et les signes digestifs. Le mécanisme est non immunologique par augmentation de la quantité d’histamine plasmatique et tissulaire. Elles sont plus fréquentes chez le jeune enfant dont le système enzymatique intestinal est peu fonctionnel pour métaboliser l’histamine apportée par l’alimentation. Elles disparaissent avec les conseils diététiques (diminution des apports en aliments riche en histamine, histaminolibérateurs ou riches en tyramine)(4). Étienne Beaudouin, dans une excellente mise au point, détaille les mécanismes non immunologiques qui aboutissent à une augmentation du taux d’histamine(5) (tableau 2). Quand l’enquête détecte une fausse allergie alimentaire, une consultation diététique est conseillée. C’est souvent toute l’alimentation familiale qu’il va falloir équilibrer. À côté des conseils pratiques, donnés verbalement, nous remettons aussi une liste d’aliments qu’il est possible de consommer, mais en quantité raisonnable, en évitant d’associer plus de 3 des aliments de cette liste lors d’un même repas (tableau 3). L’aubergine, responsable de fausse allergie alimentaire, a particulièrement été bien étudiée en Inde(6,7). Elle est fréquemment consommée cuite ou dans les curry, soupe, bartha. Dans la région de Mysore (Inde), 9,2 % de la population rapportent des réactions suite à l’ingestion d’aubergine. Quarante-sept pour cent de ces sujets présentent des tests cutanés à l’aubergine positifs. Ceci est peu étonnant, l’aubergine est riche en histamine et sérotonine, les tests cutanés sont souvent faussement positifs. Seulement 18 % des sujets avec tests positifs présentent des IgE spécifiques de l’aubergine. Au total, au maximum, 0,8 % de la population étudiée est sensibilisé à l’aubergine, ce qui ne veut pas obligatoirement dire que ces sujets sont allergiques… mais c’est une autre histoire. L’aubergine est donc souvent responsable de signes cutanés ou digestifs, mais par un mécanisme de fausse allergie alimentaire, dû à son contenu riche en histamine et sérotonine.   Conclusion Le syndrome des flushes gustatifs ou syndrome auriculo-temporal, encore nommé syndrome de Lucie Frey, ainsi que les fausses allergies alimentaires, sont deux entités à connaître. Elles miment une allergie alimentaire. Leur diagnostic est clinique et ne nécessite pas d’examens complémentaires. La prise en charge est simple pour le syndrome des flushes gustatifs, il suffit d’attendre ; pour les fausses allergies alimentaires, c’est parfois toute l’alimentation de la famille qu’il faut revoir.   Les photographies proviennent de la collection du Dr C. Copin

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