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Nutrition

Publié le 22 déc 2014Lecture 8 min

Anorexie mentale : dépistage et prise en charge de premier recours

C. STHENEUR, Service de pédiatrie et de médecine de l’adolescent, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt
Les troubles du comportement alimentaire sont fréquents et passent inaperçus si un dépistage systématique n’est pas réalisé au moins dans les populations à risque. Une fois le diagnostic posé, une double prise en charge ambulatoire est indispensable. La surveillance somatique nécessite un examen clinique régulier.
Une définition très générale du trouble du comportement alimentaire (TCA) fait de celui-ci un trouble du comportement visant à contrôler son poids et altérant de façon significative la santé physique comme l’adaptation psychosociale, sans être secondaire à une affection médicale ou à un autre trouble psychiatrique. L’anorexie mentale débute après une période de restriction alimentaire, le plus souvent entre 12 et 19 ans, avec deux pics de fréquence : autour de 14 ans et de 18 ans. Le sex ratio est de 9 filles pour 1 garçon. La perte de poids peut n’être que de courte durée et ne nécessiter qu’un traitement léger, mais peut aussi devenir importante et requérir un traitement intensif. La définition de l’anorexie mentale selon le DSM-IV repose sur les critères suivants : – incapacité à prendre du poids pendant la période de croissance conduisant à un poids inférieur à 85 % du poids attendu ; – peur intense de prendre du poids ; – altération de la perception du poids, ou de la forme de son propre corps, ou déni de la gravité de la maigreur ; – aménorrhée. En dehors de l’anorexie proprement dite, la fréquence des atteintes sub-syndromiques semble beaucoup plus importante. Ces troubles sont par définition beaucoup plus difficiles à identifier. Or, une détection et un traitement précoces des TCA permettent une amélioration du pronostic de l’anorexie mentale, en particulier chez les adolescents(1). Les médecins généralistes, les pédiatres, les gynécologues, ainsi que les équipes au contact des populations à risque – infirmières scolaires, entraîneurs sportifs, etc. – sont les mieux placés pour dépister de façon précoce les patients souffrant de troubles alimentaires. Un médecin généraliste suivant 2 000 patients devrait s’attendre à avoir un ou deux cas d’anorexie parmi sa clientèle. Si le taux de dépistage est faible, cela ne veut pas dire que ces patients évitent leur médecin traitant. En fait, pendant les 5 ans précédant la détection des troubles alimentaires, ces sujets consultent leur médecin généraliste ou pédiatre significativement plus fréquemment que les patients sans trouble alimentaire. Dans les premières consultations, ces patients se présentent avec des plaintes psychologiques, gastro-intestinales ou gynécologiques produites par l’anorexie ou ses complications. Le repérage doit être ciblé sur les populations à risque : adolescentes, jeunes femmes, mannequins, danseurs et sportifs, notamment selon le niveau de compétition, et sujets atteints de pathologies impliquant des régimes, telles que le diabète de type 1, l’hypercholestérolémie familiale, etc., et, bien sûr, ceux qui présentent des signes d’appel (tableau 1).   Modalités de repérage ciblé Dans les propositions portant sur le dépistage individuel, chez l’enfant de 7 à 18 ans, destinées aux médecins généralistes, pédiatres et médecins scolaires publiées par la Haute Autorité de santé en 2005, le groupe de travail a recommandé de poser des questions sur l’ensemble des rythmes et habitudes alimentaires, d’utiliser les courbes de poids, de taille et de corpulence afin de rechercher des changements rapides de couloir, et, en cas de signe d’appel, de rechercher des vomissements provoqués, même chez les garçons et même en cas de poids normal. Chez les jeunes non pubères ou en cours de puberté, un arrêt de croissance staturale doit faire évoquer, entre autres, le diagnostic d’anorexie mentale. Une prise de poids insuffisante équivaut à une perte de poids. Chez la fille, une aménorrhée primaire ou secondaire doit faire évoquer le diagnostic d’anorexie mentale en l’absence de grossesse. Chez l’enfant, C. Doyen précise que plus le sujet est jeune, plus le tableau clinique est dominé par les préoccupations corporelles digestives : nausées, douleurs abdominales. À cet âge, les vomissements sont exceptionnels. L’hyperactivité physique et intellectuelle, ainsi que le perfectionnisme sont très affirmés. Le dépistage des troubles du comportement alimentaire peut passer par des questions simples autour des habitudes ou par des questionnaires plus standardisés, tels que le SCOFF (DFTCA) : 1. Vous faites-vous vomir parce que vous vous sentez mal d’avoir trop mangé ? 2. Vous inquiétez-vous d’avoir perdu le contrôle de ce que vous mangez ? 3. Avez-vous récemment perdu plus de 6 kilos en trois mois ? 4. Pensez-vous que vous êtes gros(se), alors que d’autres vous trouvent trop mince ? 5. Diriez-vous que la nourriture domine votre vie ?   Première consultation Les objectifs de la première consultation doivent être la confirmation du diagnostic, l’information sur la maladie, la mise en œuvre d’une alliance thérapeutique à l’évaluation de la gravité immédiate.   Confirmation du diagnostic • Conduites de restriction alimentaire : comptage des calories, tri alimentaire, exclusions alimentaires, évitement des repas, dissimulation de nourriture. • Conduites de purge : vomissements provoqués, recours aux laxatifs ou aux diurétiques. • Hyperactivité physique, hyperinvestissement scolaire ou professionnel.   Information sur l’anorexie mentale en tant que maladie Il est important de : • nommer la maladie mais avec tact ; • d’expliquer que cette maladie est un mode d’adaptation comportementale à un mal-être préexistant ; • d’affirmer d’emblée que cette maladie peut devenir chronique, avec des conséquences potentielles graves à court et à long terme ; • d’expliquer que l’objectif des soins est non seulement de retrouver un poids de santé, mais aussi d’obtenir une guérison plus large, psychologique, sociale et relationnelle.   Mise en œuvre d’une alliance thérapeutique • Évaluer les conséquences déjà existantes de l’anorexie : sur le plan physique, les conséquences de la dénutrition, l’existence de vomissements, la durée de l’aménorrhée ; sur le plan psychique, une éventuelle dépression, d’autres comorbidités, le degré d’isolement social, ainsi que le désinvestissement des activités de plaisir. • Évaluer la gravité apparente et détecter d’éventuelles urgences. • Informer la patiente sur les diverses modalités de prise en charge et insister sur le fait que le pivot de la guérison est la reprise de poids jusqu’à un poids de santé. Les conseils nutritionnels doivent prendre en compte le fait qu’un apport alimentaire individuel et flexible augmente la perception de contrôle du patient et lui permet d’accepter le gain de poids. Une pesée deux fois par semaine est suffisante. Les professionnels de santé doivent s’assurer que les enfants et les adolescents atteints d’anorexie mentale ont l’énergie et les aliments nécessaires pour assurer leur croissance et leur développement. Une attention toute particulière doit être portée à l’hydratation.   Évaluation de la gravité immédiate Toute prise en charge d’une anorexie mentale doit d’abord être ambulatoire, mais la connaissance des critères d’hospitalisation permet de s’assurer de la pertinence de la prise en charge en ville (tableaux 2 et 3).   Prise en charge initiale   Objectifs somatiques L’objectif est non seulement de retrouver un poids normal, mais aussi une alimentation spontanée, régulière, diversifiée ; bref, que l’alimentation redevienne naturelle. Dès le début, il faut discuter avec le patient de l’objectif de poids à atteindre, bien sûr, progressivement. Pour la plupart des patients, un arrêt de la perte de poids est le premier objectif avant d’envisager un gain pondéral. En ambulatoire, on visera une reprise de 1 kg/mois. Éviter de fixer un poids minimal en dessous duquel l’hospitalisation serait nécessaire, car ce poids devient rapidement un enjeu pour le patient, qui ne passera pas en dessous de celui-ci, mais sans se permettre de reprendre du poids.   Objectifs psychiatriques Les objectifs des soins psychologiques sont individuels et familiaux. Le but de cette prise en charge est d’aider le patient à coopérer à sa réhabilitation physique et nutritionnelle, à comprendre et à modifier les attitudes dysfonctionnelles liées au trouble alimentaire, à améliorer les relations sociales et à traiter d’éventuelles comorbidités psychiatriques.   Place de la famille et de l’entourage La famille doit pouvoir tenir une fonction soutenante afin de faire face aux difficultés et ne pas se centrer uniquement sur les symptômes alimentaires.   Surveillance somatique La surveillance inclut des évaluations du poids, ainsi que l’état cardiovasculaire (pouls, tension, circulation périphérique) et la température. Lorsqu’un risque physique accru est identifié, la fréquence de la surveillance et la nature des investigations doivent être ajustées en conséquence. Pour les enfants et les adolescents, la croissance doit être attentivement surveillée. Conclusion Pour dépister un trouble du comportement alimentaire, il faut penser à poser des questions autour de l’alimentation à tous les patients. Ce dépistage systématique permet une prise en charge précoce qui améliore le pronostic de la maladie.

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