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ORL et Stomatologie

Publié le 22 déc 2014Lecture 8 min

Efficacité des drains transtympanique : une métaanalyse bouscule les habitudes

Ph. CONTENCIN, Service d’ORL, Hôpital Necker-Enfants malades, Paris
Une étude américaine remet en cause l’efficacité à long terme des drains transtympaniques dans les otites séromuqueuses. Philippe Contencin (ORL, Hôpital Necker-Enfants malades) a accepté de commenter pour Pédiatrie Pratique ces troublants résultats. À propos de la publication de I. Wallace et coll. dans Pediatrics 2014 (Wallace IF et al. Surgical treatment for otitis media with effusion: a systematic review. Pediatrics 2014 ; 133(2) : 296-311).
L’otite séromuqueuse (OSM) est bien connue des pédiatres. Tympans épais, rosés ou rouges, légèrement bombés ou, au contraire, rétractés, gris sombre et opaques, sans fièvre ni douleur prolongée, c’est une otite moyenne chronique évoluant à bas bruit sur plusieurs mois ou années. Souvent découverte lors d’un examen systématique ou quand l’enfant entend mal, elle peut aussi s’interposer entre des otites moyennes aiguës (OMA) dont elle favorise la répétition. On en dépiste chez au moins 30 % des enfants d’âge préscolaire sous nos climats. Son évolution spontanée l’amène à de nombreuses fluctuations de l’épanchement et à la guérison, à moyen ou long terme, dans plus de 90 % des cas. Mais elle résiste à tous les traitements médicamenteux proposés à ce jour, exceptés les anti-inflammatoires (tout spécialement les corticoïdes) qui ne permettent toutefois d’obtenir qu’une amélioration momentanée disparaissant avec l’arrêt du traitement. Les seuls traitements réputés efficaces en cas d’OSM sont chirurgicaux : aérateurs transtympaniques et adénoïdectomie.   Caractéristiques de l’étude C’est l’efficacité à long terme de ces traitements qu’ont voulu vérifier I.F. Wallace et coll. en reprenant l’ensemble de la littérature disponible en 2013 sur ce sujet : métaanalyses passées, revues de la littérature vues sous l’angle de la médecine fondée sur le niveau de preuve (ou EBM pour Evidence Based Medicine) et études originales récentes. Ce travail a été effectué par des spécialistes de santé publique dans le cadre d’un contrat de recherche de l’AHRQ (Agence nationale de qualité en santé des États-Unis, comparable à l’ANSM). La plupart de ces auteurs ne sont pas médecins mais chercheurs et ils appartiennent à une organisation à but non lucratif de recherche (RTI International) associée à l’université de Caroline du Nord dans le cadre d’un centre dédié à l’EBM. Ils n’ont pas déclaré de conflit d’intérêt pour ce travail. Sur le plan méthodologique, les auteurs ont procédé classiquement à une recherche bibliographique sur l’efficacité de tous les traitements utilisables dans le cadre de l’OSM. Après avoir appliqué leurs critères d’inclusion et d’exclusion (largement détaillés dans l’article), ils ont sélectionné certaines revues et des études récentes contrôlées qu’ils ont passé au crible de plusieurs outils de pertinence et de qualité, validés par les responsables des revues Cochrane et par leurs propres institutions. Comme on pouvait s’y attendre, ils n’ont pas trouvé de travail fiable qui permette d’évaluer l’efficacité des traitements médicaux (traditionnels ou « parallèles ») ou même comportementaux de l’OSM. Seuls les traitements chirurgicaux ont donc fait l’objet d’une analyse d’efficacité.   Résultats Sur 5 112 références citées, 776 études complètes ont été analysées. L’application de stricts critères d’exclusion (nombre de sujets suivis, durée de l’étude, rigueur méthodologique, doublons, etc.) a permis d’extraire 80 revues de la littérature (métaanalyses pour la plupart) et études contrôlées. Après filtrage pour éliminer un risque majeur de biais statistique, seules 58 études ont été retenues. Parmi celles-ci, il y avait 18 études originales et 37 articles inclus dans des revues systématiques. Parmi les critères d’analyse clinique, les résultats nettement positifs d’efficacité comparative (avec niveau de preuve élevé) concernent les points qui suivent : – durée de l’OSM à 1 an postopératoire : la pose d’ATT se révèle supérieure à l’abstention ; – seuils auditifs à 4/6 et 9 mois : la pose d’ATT est supérieure à l’abstention et à la simple paracentèse ; – incidence des récidives d’OSM (évaluée par otoscopie ou par tympanométrie) à 6 et 12 mois : l’adénoïdectomie est supérieure à l’abstention. Avec un niveau de preuve modéré, concernant la persistance d’un épanchement à 24 mois, on constate que la pose d’ATT est supérieure à l’absence de pose. Après 24 mois, schématiquement, il n’y a pas d’éléments de preuve suffisants pour juger de l’efficacité de ces traitements chirurgicaux, que ce soit les uns par rapport aux autres ou même par rapport à l’abstention thérapeutique. Ce constat reste valable quel que soit l’aspect clinique considéré, notamment la durée d’épanchement, les seuils auditifs et leurs séquelles fonctionnelles, telles que niveau de langage (une seule étude), bagage cognitif, succès scolaire, comportement, qualité de vie, etc. Puis, les auteurs soulignent la possibilité de dommages liés notamment à la présence des aérateurs : le niveau de preuve n’est pas suffisant pour affirmer qu’ils augmentent le risque d’otorrhée ou de perforation tympanique résiduelle. En revanche, il existe une plus grande fréquence de myringosclérose (calcification des tympans) en cas d’ATT, avec un niveau de preuve modéré. À propos des hémorragies après adénoïdectomie, les auteurs reconnaissent que leur incidence est très basse. Il n’y a pas d’éléments suffisants (données absentes ou contradictoires) pour préciser le rôle des traitements dans la survenue des autres dommages (perforation tympanique, cholestéatome, etc.). Et les auteurs déplorent le fait que la place des terrains particuliers (fentes palatines, trisomie, surdités congénitales, syndrome d’apnées du sommeil, etc.) et des facteurs sociodémographiques (âge, type d’assurance maladie, modalités de suivi, vaccination anti-pneumococcique, etc.) dans les indications thérapeutiques ne puisse faire l’objet d’une évaluation des différentes méthodes, par manque de données. Enfin, ils rappellent qu’une recommandation de l’American Academy of Otolaryngology parue en 2013 privilégie le traitement chirurgical de l’OSM après seulement 3 mois de persistance de l’épanchement, en cas de retentissement auditif(1). De même, un référentiel de la Société française d’ORL de 2008 conseille une pose d’ATT après 3 mois d’évolution si le retentissement auditif est net ou si des épisodes de surinfection surviennent(2). Ces recommandations, fondées également sur des études contrôlées mais un petit peu plus anciennes, correspondent au vécu des acteurs de terrain, qu’ils soient pédiatres ou ORL. Certes, les retards de langage, les troubles du comportement ou les difficultés scolaires peuvent être « rattrapés » par les parents et le système éducatif, avec le temps. Mais ils peuvent aussi parfois laisser des séquelles dans certaines familles, et fortement compromettre l’avenir scolaire de l’enfant…   Conclusion Sans polémiquer sur le thème des motivations des sociétés savantes et des conflits d’intérêt des « experts » (certains auteurs de la recommandation américaine sont rémunérés par une firme vendant des ATT), ce travail amène toutefois à poser la question du rapport coût/bénéfice de la prise en charge chirurgicale de toutes les OSM dès qu’elles évoluent depuis plus de 3 mois. Privilégiant une approche de santé publique, les auteurs se sont attachés à vérifier quelle était l’efficacité des différents moyens mis en œuvre pour traiter l’OSM, dont on connaît l’évolution spontanément favorable dans la majorité des cas. On connait également le coût annuel de ces traitements, globalement évalué à 4 milliards de dollars aux États-Unis. En fait, cette étude semble démontrer que, sur le long terme (plus de 2 ans), aucun effet bénéfique ne puisse être attribué à l’adénoïdectomie et à la pose d’ATT, que ce soit en termes d’infection otitique, de seuils auditifs, de résultats aux tests cognitifs ou de réussite scolaire. Un bénéfice à court terme peut toutefois être dégagé pour la durée de l’épanchement et l’audition en cas d’adénoïdectomie et pour l’audition seulement en cas d’ATT, tout ceci au prix d’un (minime) risque d’hémorragie ou de séquelles tympaniques (bénignes). Bien entendu, ceci concerne principalement les populations nord-américaines et nord-européennes, de langues maternelles anglo-saxonnes. Ces conclusions sont-elles transposables à notre pays et à ses caractéristiques démographiques, linguistiques et scolaires ? Faut-il ou non remettre en cause les récentes recommandations nord-américaines et françaises de pose systématique d’ATT après 3 mois d’évolution d’une OSM bilatérale à retentissement auditif ? C’est possible. Pourtant, face à un enfant gardant un handicap auditif par OSM plusieurs mois ou quelques années, se pose la question de ses capacités de communication et de son avenir scolaire puis professionnel. D’autres études doivent certainement venir préciser quels paramètres d’intensité et de durée de l’épanchement et dans quel contexte sociodémographique l’économie d’une pose d’aérateurs et d’une adénoïdectomie peut être faite. 

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