Publié le 22 déc 2014Lecture 10 min
Partir en vacances avec un enfant atteint d’allergie alimentaire
G. DUTAU, Toulouse
Dans les enquêtes effectuées dans la population générale, 20 % des individus se croient atteints d’allergie alimentaire (AA), mais celle-ci n’est prouvée par une exploration allergologique que chez 5 % d’entre eux. L’AA est cependant plus fréquente chez l'enfant que chez l'adulte, puisque l’on estime que 3 enfants sont atteints pour 1 adulte.
Une étude par questionnaire chez 3 500 enfants, âgés de 2 à 14 ans, a montré que 182 (6,7 %) d’entre eux avaient une allergie alimentaire(1). Les prévalences selon l’âge étaient les sui- vantes : 4 % (2-5 ans), 6,8 % (6-10 ans) et 3,4 % (11-14 an)(1). Les aliments en cause étaient le lait de vache (11,9 %), l’œuf de poule (9,4 %), le kiwi (9 %), l’arachide (8,2 %), le poisson (7,8 %), les fruits à coque autres que l’arachide (7,8 %) et les crevettes (5,3 %)(1). Toutefois, n’importe quel aliment peut être en cause car les allergènes émergents sont nombreux : noix exotiques, sarrasin, sésame, millet, quinoa, laits de chèvre et de brebis, isolats de blé, herbes aromatiques, produits de la ruche, etc. Les vacances sont « le temps pendant lequel les études cessent dans les écoles, dans les collèges » (Littré), donc principalement les vacances d’été (juillet-août), mais aussi les « petites vacances » (en automne, en hiver et au printemps). Risques de réaction en dehors du domicile Il est démontré que le risque de nouveaux accidents est majoré en dehors du domicile, notamment en vacances, chez des amis, au restaurant (etc.), autrement dit dans les cas où la vigilance des patients et des parents peut être prise en défaut. P.A. Eigenmann et S.A. Zamora(2) ont analysé les circonstances des réactions sévères chez 51 patients, dont l’âge médian était de 7 ans (extrêmes : 0,5-61 ans), atteints d’AA connue qui nécessitait une éviction alimentaire stricte. Trente-et-un patients (64,7 %) avaient moins de 16 ans. Les allergènes en cause étaient l’arachide (47,1 %),le lait de vache (23,5 %), les fruits à coque (11,8 %), les fruits de mer (9,8 %) et d’autres aliments (5,8 %). Si les réactions cliniques étaient survenues au domicile dans 25,5 % des cas, la majorité d’entre elles (74,5 %) avaient eu lieu ailleurs : restaurants (17,6 %), écoles et crèches (15,7 %), chez des amis (13,7 %), dans les centres de loisirs (11,8 %), au travail (5,9 %), à l’église (3,9 %), à l’hôpital (3,9 %), dans un fast-food (2 %). Les symptômes étaient survenus le plus souvent après l’ingestion pour 40 des 51 personnes (78 %), mais aussi après un contact cutané pour 8 d’entre elles (16 %) ou une inhalation pour 3 autres (5,9 %). Des auteurs ont souligné l’importance de situations comme la restauration scolaire(3), l’effort physique(4), les transports aériens(5,6), et même les hospitalisations(7). Dans l’étude de S.S. Comstock et coll.(6) portant sur 471 cas d’AA survenus pendant les transports (4 d’entre eux avaient eu plus d’une réaction), les allergènes en cause étaient l’arachide, les diverses noix et graines, et le traitement fut effectué une fois sur deux dans l’avion. Six individus durent être admis aux urgences après l’atterrissage et, dans un cas, l’avion a été détourné(6). Pour toutes ces raisons, des stratégies pour réduire les risques au cours des voyages à l’étranger ou au restaurant chez les allergiques alimentaires connus à l’arachide et aux diverses noix d’arbres (tree nuts) ont été mises en place (voir le glossaire). Glossaire - Prévention des facteurs de risque A Anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments (AIEPIA) La prise d’aliments suivie d’un effort, le plus souvent en endurance (course à pied, vélo, natation) – mais pas uniquement – peut entraîner en quelques minutes, un prurit de la paume des mains et de la plante des pieds, une toux, des éternuements, etc. Si le sujet n’arrête pas l’effort, des symptômes plus graves vont survenir (urticaire, bronchospasme, choc) et mettre sa vie en jeu(1). Des anaphylaxies préléthales ou léthales ont été décrites chez l’enfant et l’adolescent(2,3). Les patients ont des PT positifs et/ou des IgEs vis-à-vis d’un aliment, mais ni l’ingestion seule de l’aliment, ni l’effort seul ne sont capables de provoquer les symptômes. De nombreux aliments sont en cause :fruits de mer, céleri, pomme, pain, raisin, escargot, pâtes, etc.(1). Pour prévenir l’AIEPIA, il faut respecter la règle des 3 heures entre le repas et l’effort(1). L’oméga-5 gliadine serait responsable de certaines AIEPIA aux aliments contenant du gluten (pain, pâtes, farine de blé)(4). Alcool Il augmente le risque allergique et celui d’anaphylaxie postprandiale, liée ou non à l’effort, en particulier chez l’adulte et l’adolescent(1). Aspirine et anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) La prise d’aspirine avant l’effort augmente le risque général de réactions allergiques, en particulier celui d’AIEPIA. Un cas d’anaphylaxie induite par l’effort et la prise d’un AINS (acide nafylpropionique) a été décrit chez une adolescente(5). Avions Les recommandations de J. Barnett et coll.(6) sont au nombre de quatre : – donner des informations sur les AA aux fournisseurs de repas dans les avions et les trains. Elles devraient s’appliquer à l’utilisation des 14 principaux allergènes alimentaires qui doivent figurer sur les étiquetages (circulaire européenne 1169/2011) et à leurs possibles contaminations ; – préciser la prise en charge des AA sachant leur risque pendant les repas consommés dans un espace confiné ; – entraîner les personnels responsables de la préparation et du service des plats dans tous les types de transports ; – promouvoir des recherches supplémentaires pour évaluer le risque réel de l’inhalation de particules alimentaires dans les cabines(a). Des vols sans fruits à coque – flight free nuts – constitueraient un réel progrès(6). E Efforts En dehors de l’AIEPIA, l’effort provoque des urticaires cholinergiques, surtout chez l’adolescent et l’adulte jeune. Les lésions diffuses sont faites de papules de petite dimension (quelques millimètres). Les facteurs favorisants sont la peau mouillée (sueurs, bains), le soleil, le contact avec les herbes, etc.(1). H Habitudes culinaires Certains pays comme la Chine sont considérés comme risqués car l’arachide est souvent utilisée dans la cuisine traditionnelle. Inversement, d’autres personnes atteintes d’AA se rendront volontiers dans des pays ayant des traditions culinaires familiales (Italie) surtout s’ils les ont déjà fréquentés sans incident(6). I Iode Une question est souvent posée : « Je crois que mon enfant est allergique à l'iode, peut-il se baigner ? Peut-il manger des fruits de mer qui – « bien sûr pour les parents » – contiennent de l’iode ? ». La réponse est : l’allergie à l’iode (c'est-à-dire à l'atome d'iode) n'existe pas. C’est un mauvais terme, employé par les patients et même les médecins, pour désigner des symptômes variés, relevant de mécanismes divers, attribués à de multiples produits : désinfectants iodés (polyvidone iodée), produits de contraste iodés (PCI)(7,8). L'iode est naturellement présent dans l'air, le sol, les plantes, l'eau et de nombreux aliments : algues, poissons, crustacés, soja, haricots verts, laitages, pain, etc. Un allergique aux PCI ne prend aucun risque à se baigner ni à consommer des fruits de mer ! L Langue Le choix du pays de destination dépend souvent des barrières linguistiques potentielles. De nombreuses personnes anglo-saxonnes ayant une AA à l’arachide ne se rendront que dans les pays anglophones pour pouvoir mieux communiquer(6). T Trousse Le contenu de la trousse de base comporte des antihistaminiques per os, des corticostéroïdes per os, des bêta2-mimétiques d’action rapide en cas d’asthme, si besoin un dispositif auto-injecteur d’adrénaline (traitement de première intention de l’anaphylaxie). Avoir un plan écrit personnalisé, rédigé (simplement) par le médecin traitant ou l’allergologue. La trousse contient aussi par sécurité en cas de piqûre d’hyménoptère (abeille, guêpe, frelon), de blessure ou de coup de soleil, etc., un désinfectant, un tube de dermocorticoïde, un antalgique (paracétamol), une crème solaire, de l’arnica, un tube de Biafine®, des pansements individuels, du coton hydrophile, des gazes, une pince et une petite paire de ciseaux. (PT : prick-test ; IgEs : IgE sériques spécifiques) (a)Ce risque est parfaitement reconnu par l’expérience professionnelle des allergologues : vapeurs de cuisson (arachide, lentilles, poisson), épluchage des légumes (céleri), manipulation de poisson frais, etc. Références 1. Dutau G, Rancé F. Anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments. Rev Fr Allergol 2007 ; 47 : S47-S57. 2. Longo G, Barbi E, Puppin F. Exercise-induced anaphylaxis to snails. Allergy 2000 ; 55(5) : 513-4. 3. Noma T et al. Fatal buckwheat dependent exercise-induced anaphylaxis. Asian Pac J Allergy Immunol 2001 ; 19(4) : 283-6. 4. Palosuo K et al. A novel wheat gliadin as a cause of exercise-induced anaphylaxis. J Allergy Clin Immunol 1999 ; 103 (5 Pt 1) : 912-7. 5. van Wijk RG, de Groot H, Bogaard JM. Drug-dependent exercise induced-anaphylaxis. Allergy 1995 ; 50(12) : 992-4. 6. Barnett J et al. The strategies that peanut and nut-allergic consumers employ to remain safe when travelling abroad. Clin Transl Allergy 2012 ; 2(1) : 12. 7. Pradal M, Birnbaum J, Vervloet D. Allergies médicamenteuses. In : Vervloet D, Magnan A. Traité d’Allergologie. Flammarion Éd., Paris, 2002, p. 739-73. 8. Dewachter P, Mouton-Faivre C. Prévention des réactions sévères après injection de produits de contraste iodés : revue de la littérature. J Radiol 2003 ; 84(5) : 35-44. Prévention et traitement des réactions Les stratégies préventives et thérapeutiques concernent principalement les sujets atteints d’AA dont l’état nécessite une éviction alimentaire et qui ne sont pas éligibles pour une immunothérapie alimentaire (ITA)(8). L’ITA est une nouvelle approche thérapeutique qui peut induire une « désensibilisation » ou une « accoutumance » (augmentation du seuil réactogène qui met le patient à l’abri d’une réaction provoquée par de faibles doses d’aliments, mais qu’il faut entretenir par une consommation régulière pour maintenir ce seuil) et une « tolérance » qui est synonyme de guérison (indépendamment d’une consommation régulière)(8). Toutefois, des intermédiaires sont possibles entre accoutumance et guérison, les aliments concernés étant avant tout le lait de vache, l’œuf de poule et, à un degré moindre, l’arachide(8,9). Il faut donc prévenir les réactions sévères (anaphylaxie) chez les patients atteints d’AA fixée. Il existe un consensus actuel(10) (encadré ci-dessous) pour donner la définition suivante de l’anaphylaxie : • au stade 1 (symptômes bénins à modérés : conjonctivite, rhinite, urticaire généralisée simple, œdème des lèvres et/ou du visage sans aucun symptôme respiratoire) : les antihistaminiques et, éventuellement des corticoïdes, par voie orale sont prescrits pendant 2 à 5 jours ; • au stade 2 (bronchospasme), les bêta-2-mimétiques d’action rapide (2 bouffées de spray ou une dose de poudre toutes les 10 minutes, renouvelables 3 fois/j puis 4 à 6 fois/j pendant 2 jours) avec un système d’inhalation adapté à l’âge, sont associés aux corticoïdes per os (2 mg/kg de prednisone, sans dépasser 60 mg/j) ; • au stade 3 (œdème laryngé, anaphylaxie), l’adrénaline s’impose. L’Anapen® n’étant plus disponible depuis janvier 2013, la forme d’adrénaline accessible et adaptée à l’usage du patient est le stylo auto-injectable JEXT® dont les consignes d’utilisation sont 150 µg pour un sujet de moins de 30 kg et 300 µg pour un sujet de plus de 30 kg. Pour certains, au stade 2 et même dans certaines formes du stade 1 (incertitude sur l’évolution ultérieure), l’injection d’adrénaline est licite. Il est indispensable de prévenir les facteurs de risque particulier (et les mythes) par une éducation thérapeutique efficace.
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