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Profession, Société

Publié le 15 juin 2014Lecture 9 min

Quand survient l’erreur…

D. DAVOUS*, F. BOURDEAUT**, *Espace éthique Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, **Oncologie pédiatrique, Institut Curie, Paris
Le soin apporté à des enfants atteints de maladies graves et durables expose, de par la complexité des traitements, à un risque accru d’erreurs au cours d’un soin. Dans un film de formation pour les professionnels de santé médicaux et non médicaux, soignés et soignants témoignent pour briser le tabou du silence et interroger les pratiques(1).
Dramatiquement mises en scène par les médias, les erreurs médicales placent périodiquement sous les projecteurs les dysfonctionnements des services hospitaliers, en interrogeant la compétence et la responsabilité pénale des soignants, ainsi que la fiabilité des établissements de santé. Actuellement en France, près de 150 000 « événements médicaux indésirables évitables » – essentiellement médicamenteux – sont recensés chaque année dans les établissements de santé(2). Si une minorité d’entre eux peut résulter de négligences inexcusables ou d’incompétences avérées, beaucoup relèvent simplement du facteur humain, avec au premier rang la faillibilité des soignants et l’organisation systémique des hôpitaux(3). Que faire, que dire, lorsque survient une erreur au cours d’un soin ajoutant au malheur engendré par la maladie ? Les pistes de réflexion proposées ici sont le fruit du travail d’un groupe fondé en 1997 au sein de l’Espace éthique de l’AP-HP : Parents et soignants face à l’éthique en pédiatrie. Ces travaux qui relèvent d’une coconstruction entre soigants et soignés a donné lieu à plusieurs publications(3-5) et a conduit en 2012 à un film documentaire de formation à l’intention des professionnels de santé, médicaux et non médicaux : Que reste-t-il de nos erreurs ?(a). Ce film réalisé par Nils Tavernier et Gil Rabier présente les histoires d’un enfant (Raphaël) et de deux adolescents (Nicolas et Capucine) qui, dans un contexte de maladie grave et durable, sont confrontés, dans leur parcours de soin à des erreurs de gravité différente, aux conséquences différentes en termes de dommages pour l’enfant ou de mise à mal de la confiance avec les familles. Les nombreux témoignages recueillis tant auprès de parents que de soignants indiquent que les conséquences médicales seules ne déterminent pas le vécu de l’erreur pour les familles : ce qui laisse des traces n’est pas nécessairement ce qui a été le plus grave, même si bien sûr, ce qui a été grave marque toujours. Ce travail qui se situe dans le contexte de la pédiatrie et de la maladie grave de l’enfant hospitalisé, peut aisément être transposé aux adultes et peut également, nous semble-t-il, nourrir la réflexion tant pour les pédiatres libéraux que les médecins généralistes. a. Le film peut être utilisé en formation initiale ou continue. Les formats (durée des formations) peuvent être variés, le film pouvant être vu dans sa continuité (42 min) ou par séquences : introduction sur ce que représente l’erreur pour les personnages du film (5 min) ; l’histoire de Nicolas (7 min) ; l’histoire de Raphaël (16 min) ; l’histoire de Capucine (15 min). Que reste-t-il de nos erreurs ? Film documentaire de formation pour les professionnels de santé.   Les circonstances de l’erreur • L’erreur est avant tout une succession de failles. « C’est rarement un individu ; une procédure médicale, c’est une chaîne » (le médecin référent de Raphaël)(b). • Des situations médicales particulièrement délicates : réanimation, multi-morbidité, pathologies graves et complexes, situations de fin de vie… comportent en elles-mêmes un risque élevé d’erreurs dues à la complexité des soins, la dangerosité des produits dans un contexte de plus grande vulnérabilité des patients. « Plus les choses sont complexes, plus le risque qu’une erreur s’insinue dans le processus est grand et donc, c’est une préoccupation permanente, sachant que le risque d’erreur médicale peut avoir des conséquences dramatiques. » (le chef du service dans lequel était soigné Capucine). • Le climat de travail et la qualité de la relation initiale sont déterminants dans la survenue d’une erreur. « L’un des points clefs, que l’on retient en tant que parents, c’est qu’il faut absolument qu’une confiance très forte s’établisse dès le début entre tout ce monde-là pour que cela fonctionne et pour que l’on monopolise notre énergie dans le même sens. » (le père de Nicolas) Que les soignants n’accordent pas toujours le crédit requis aux propos des patients, des parents laissant échapper sans réagir de réels signes d’alarmes, peut permettre à l’erreur de survenir. « Mais quelque part, je m’en veux un peu parce qu’entre les deux doses, la maman m’a dit : “il y a quelque chose qui ne va pas”. » (le médecin référent de Capucine) « J’ai donné plusieurs fois des signes qu’il vomissait, qu’il ne mangeait pas. On ne m’a pas forcément écoutée… jusqu’au jour où, un mois après, il est tombé dans une sorte de “coma” ; il a été en réanimation. Je ne me suis pas sentie écoutée et personne ne nous a dit posément les choses. » (la mère de Raphaël) À l’inverse des parents très « contrôlants » risquent de créer un climat de tension, potentiellement source d’erreur. « C’était des parents qui voulaient vraiment être très acteurs dans les soins de leur enfant, qui étaient très exigeants au niveau des informations et qui ensuite (après l’erreur) ont été très exigeants par rapport aux soins qui étaient réalisés pour leur enfant… C’était une façon pour eux de reprendre du contrôle sur la vie de leur enfant et sur ce qui était en train de se passer : en contrôlant tout ce qui était fait comme soins, toutes les perfusions qui étaient appliquées pour leur enfant. Et ça, c’est parfois vécu difficilement par une équipe parce que c’est vécu comme du contrôle négatif et pas comme une façon d’être acteur autour de la maladie de leur enfant. » (le médecin référent de Raphaël)(b). b. Les témoignages illustrant cet article se réfèrent aux trois histoires présentées dans le film.   Reconnaître l’erreur : une nécessité   Reconnaître une erreur est une nécessité qui demande du discernement pour en parler et une volonté pour accompagner les soignants concernés et les familles. « Cacher les choses est d’abord une certaine forme de malhonnêteté intellectuelle, malhonnêteté éthique, dont les conséquences peuvent être, in fine, en tout état de cause, bien plus désastreuses. » (le chef du service dans lequel était soignée Capucine). « Il est vrai que j’aurais dû probablement et de façon très simple dire : “c’est une erreur médicale” et après donner toutes les explications. » (le médecin greffeur référent de Raphaël). À en croire les familles interrogées, la reconnaissance de l’erreur et le soin apporté à cette reconnaissance atténuent ou amplifient la violence de l’événement. La formulation d’excuses à titre personnel et institutionnel sont une condition essentielle pour traverser l’erreur ensemble, pourvu aussi que les mesures destinées à éviter qu’elle ne se reproduise soient prises et annoncées aux parents. Pour les soignants, l’enjeu est de renouveler en leur for intérieur leur capacité à poursuivre sereinement leur métier. La rencontre « face-à-face » décidée et portée en équipe avec l’enfant et/ou les parents est cruciale pour la reconstruction d’une confiance en soi et entre soi. Et pour les enfants et leur famille, elle permettra de poursuivre l’écriture de leur histoire personnelle et familiale dans ce douloureux contexte. « Cette erreur est une responsabilité collective. Collectivement, on va chercher quelque chose pour sortir ensemble de l’erreur. C’est une responsabilité collective que d’informer les parents. On va voir les parents ensemble y compris le soignant qui serait directement impliqué dans l’erreur. C’est le collectif qui permet de sortir d’un sentiment individuel. » (le médecin référent de Raphaël). Face à ces questions – Comment en parler ? Que dire ? Qui doit parler ? À qui ? Quand ? Comment ? –, seul un questionnement éthique permanent et en équipe permet de prendre des décisions avec discernement. L’enjeu réside dans la recherche d’une démarche la plus respectueuse possible des inquiétudes, voire des souffrances, que l’erreur suscite que l’on soit soignant ou soigné, ce qui implique d’accompagner les parents et les soignants concernés. « Je ne me suis pas sentie jugée et c’était aidant de ne pas se sentir jugée parce que je ne sais pas si j’aurais pu continuer ma carrière d’infirmière si, en plus, j’avais eu des critiques de la part de mes supérieurs, de la part du médecin. Sincèrement, je ne sais pas. » (Elise, infirmière référente de Raphaël).   Faire des erreurs : un patrimoine commun aux soignants et à l’établissement   On pourrait considérer que « ce qui se passe mal » devienne la pierre fondatrice de changements, contribuant ainsi à instaurer une culture des événements indésirables : inciter à l’analyse de toutes les failles qui ont conduit à l’erreur et à la mise en place de dispositifs de prévention pour les traquer (analyse des événements précurseurs d’erreurs dans des cellules de retour d’expérience [CREX], revues de morbi-mortalité [RMM]). Ce que les cadres et institutions feront des déclarations plus systématisées des événements indésirables et des erreurs est alors de leur pleine responsabilité, pour installer un climat propice à l’analyse de ces incidents et ainsi favoriser une plus grande sécurité des soignés(6). Transformer les erreurs en objet de travail, c’est leur donner leur dimension d’expérience personnelle et constitutive du métier de soignant, autant que de responsabilité collective.

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