Recommandations et attitude pratique
Publié le 24 juin 2012Lecture 7 min
Comment réduire le risque d’erreur diagnostique aux urgences pédiatriques ?
A. MARTINOT, A. NAJAF-ZADEH, CHRU de Lille et Université de Lille 2
Le risque d’erreur diagnostique est d’autant plus important et lourd de conséquence que l’exercice médical expose à des affections graves pouvant bénéficier d’un traitement efficace à condition d’être précoce. Ces situations d’urgences thérapeutiques peuvent être difficiles à reconnaître au sein du flux croissant d’enfants se présentant aux urgences pour des affections moins préoccupantes. Le risque d’erreur est diminué par une meilleure connaissance des situations les plus à risque et des points de faiblesse de la démarche clinique. Dix propositions pour réduire le risque d’erreur diagnostique aux urgences pédiatriques sont proposées.
Une étude des dossiers de plaintes contre des assurés du groupe Sou Médical-MACSF entre 2003 et 2007(1) a confirmé les données d’une revue systématique de la littérature qui ne comportait que des données nord-américaines (2,3) et montrait la relation entre le jeune âge de l’enfant et la prééminence des erreurs diagnostiques. Sur 228 plaintes chez des enfants de 1 mois à 18 ans, 41 % concernaient des nourrissons, 29 % des enfants de 2 à 11 ans et 30 % de 12 à 18 ans (1). Les erreurs diagnostiques étaient les plus fréquentes (47 %), suivies par les erreurs médicamenteuses (18 %). Déshydratations et méningites étaient les affections les plus fréquentes avant 2 ans, pneumonies et appendicites de 2 à 11 ans, et traumas de membres et torsions testiculaires de 12 à 18 ans. Les méningites (n = 14 ; 13 décès) et les déshydratations (n = 13 ; 12 décès) (4) avaient les taux de décès les plus importants. Une erreur médicale était identifiée dans 13 de ces 27 cas (48 %). Dix propositions pour réduire le risque d’erreur diagnostique aux urgences pédiatriques peuvent être proposées (5). Une évaluation de la gravité dès l’admission, prenant en compte tachycardie et polypnée Cette évaluation doit être menée au minimum par une infirmière (infirmière d’accueil et d’orientation, IAO) formée à cette reconnaissance, avec au moindre doute le recours à un médecin. L’utilisation d’un outil de triage validé, sous forme d’une grille de symptômes permettant de classer le degré d’urgence de l’examen médical, est utile dès que les temps d’attente de l’avis médical dépassent la demiheure. Les signes de gravité sont identifiés par l’interrogatoire, l’inspection de l’enfant et la prise des variables physiologiques : température, fréquences cardiaque et respiratoire. L’utilisation d’un outil de triage validé est utile dès que les temps d’attente de l’avis médical dépassent 1/2 heure. La sous-estimation de la gravité provient souvent d’une insuffisance de prise en compte du trépied des signes essentiels que sont une tachycardie, une polypnée (mesurées et notées) et un état d’agitation (signe d’hypoxémie, d’hypercapnie ou de choc). Un interrogatoire structuré chronologique L’interrogatoire visant à évaluer la gravité, notamment au téléphone, doit envisager successivement la gravité du symptôme lui-même, des causes possibles et celle du terrain. Les questions analysant le comportement (contact avec les parents, qualité des pleurs, alimentation chez un nourrisson), la respiration et la coloration sont les plus importantes. En présence de l’enfant, l’interrogatoire caractérise le symptôme d’appel, puis recherche les symptômes les plus fréquemment associés. L’omission d’un symptôme associé constitue une cause majeure d’erreur diagnostique. Ce symptôme peut être omis car précoce (souvent le premier symptôme) et fugace. Un moyen efficace de compléter cette recherche est de remonter au premier jour de ce qui semble être le premier symptôme noté, et de demander « Et la veille, était-il comme d’habitude ? Ne présentaitil aucun symptôme inhabituel ? », permettant aux parents d’exprimer éventuellement un nouveau symptôme. L’omission d’un symptôme associé constitue une cause majeure d’erreur diagnostique. L’omission d’une hypothèse diagnostique constitue la deuxième grande cause d’erreur. ● Un temps d’inspection méthodique de l’enfant Le temps d’inspection de l’enfant, effectué chez le jeune enfant dans les bras de ses parents, est essentiel dans l’évaluation de la gravité, et particulièrement l’appréciation du comportement spontané (qualité du contact, motilité spontanée, tonus), de la coloration et de la respiration (fréquence, ampliation thoracique). ● Évaluation systématique et formalisée des fonctions respiratoire et circulatoire Sont systématiquement évalués pour la respiration : fréquence respiratoire, ampliation thoracique, signes de lutte, d’hypoxémie, d’hypercapnie ; et pour la circulation : fréquence cardiaque, pouls périphériques, pression artérielle, perfusion centrale et cutanée, précharge, permettant une évaluation fiable et rapide de la gravité. ● Un recours à des tableaux d’étiologies hiérarchisées selon l’urgence et la gravité L’omission d’une hypothèse diagnostique constitue la deuxième grande cause d’erreur diagnostique du fait de tableaux étiologiques mal ordonnés ou insuffisamment connus. C’est souligner l’importance de disposer de tableaux d’étiologies classant en tête de colonnes les affections graves, urgentes et traitables. Cet ordonnancement permet de poser en priorité pour chacune de ces affections les questions appropriées et d’orienter l’examen en fonction des hypothèses. Une démarche diagnostique probabiliste intégrant clinique et examens complémentaires Le raisonnement probabiliste est la règle aux urgences, les décisions étant prises le plus souvent en l’absence de notion de certitude et de risque nul. La décision médicale dépend du niveau de probabilité de l’affection et des risques liés à un retard de traitement ou à un traitement inutile (figure 1). Figure 1. Les déterminants de la décision de traiter. L’indication d’un examen complémentaire dépend de la probabilité de l’affection évaluée sur des critères cliniques (probabilité pré-test) et de la capacité de l’examen à modifier notablement cette probabilité en cas de résultat positif ou négatif (figure 2). Figure 2. Utilité d’un examen complémentaire : transformer une probabilité pré-test en zone d’incertitude décisionnelle en une probabilité post-test en zone décisionnelle (abstention ou traitement). Cette capacité est évaluée par les rapports de vraisemblance positif et négatif. Un examen n’est souvent pas utile en cas de probabilité pré-test très élevée ou très basse, alors qu’il peut le devenir dans la sous-population à risque intermédiaire. L’interprétation du résultat d’un examen complémentaire chez un patient ne doit jamais prendre en compte ce seul résultat, mais l’intégrer en fonction de la probabililité pré-test évaluée chez le patient et du rapport de vraisemblance de l’examen qui déterminent la probabilité post-test. Évaluation du niveau de compréhension et de la capacité de réaction des parents Le risque que les parents ne reconnaissent pas à temps une aggravation de l’état de l’enfant et leurs capacités à réagir (téléphone, véhicule) doivent être évalués avant tout retour au domicile. La qualité des conseils de surveillance et des motifs de consulter de nouveau Les conseils de surveillance avec les indications de consulter de nouveau sont essentiels : ils doivent être simples et faciles à apprécier pour les parents. L’intérêt de lire avec eux, puis de leur remettre des « fiches conseils » pour les affections les plus fréquentes est supérieur à des explications isolées ou un document remis sans lecture préalable. L’avis d’un senior pour toutes les venues aux urgences C’est une exigence légale. Si tous les enfants ne peuvent être vus, leur dossier doit au minimum être présenté et les décisions validées. La prescription thérapeutique doit être contrôlée par un senior et signée. Cette « seniorisation » doit être strictement appliquée à la réponse téléphonique, procédure à risque élevé, dont l’utilisation devrait probablement être limitée à la réponse aux parents dans la seule indication d’un passage récent aux urgences. L’évaluation des erreurs Une procédure systématique d’évaluation des événements indésirables et des erreurs survenues aux urgences et leur présentation en réunion de service permettent d’améliorer la sécurité en pointant les procédures à risque.
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