Pathologies respiratoires
Publié le 28 oct 2024Lecture 9 min
L’enfant essoufflé à l’effort : comment mener la consultation ?
David DRUMMOND, Chantal KARILA, service de pneumologie et allergologie pédiatriques, hôpital Necker-Enfants malades
L’essoufflement à l’effort est un motif de consultation fréquent en pédiatrie. La difficulté pour le pédiatre est de savoir s’orienter entre un essoufflement à l’effort reflétant une ventilation inadaptée à l’effort sans maladie sous-jacente, les cas d’asthme ou d’obstruction laryngée induits par l’exercice, et les causes exceptionnelles mais potentiellement graves. L’objectif de cet article est d’offrir une approche pragmatique reposant sur un interrogatoire de huit questions, un examen clinique, et deux à trois examens complémentaires facilement accessibles, afin de rapidement rassurer l’enfant et sa famille sans passer à côté d’un diagnostic nécessitant une prise en charge spécifique.
Essoufflement à l’effort et dyspnée d’effort
Il convient de distinguer essoufflement à l’effort et dyspnée d’effort. L’essoufflement à l’effort est physiologique dès que l’effort est soutenu. Il reflète l’augmentation de la ventilation minute qui est le produit du volume courant et de la fréquence respiratoire afin de répondre à la demande musculaire en termes d’apport d’oxygène et d’élimination du dioxyde de carbone. La dyspnée d’effort est quant à elle une sensation subjective d’inconfort lors de la respiration. Elle concerne environ un enfant sur dix(1). Dans la mesure où il s’agit d’une sensation subjective, pour un même essoufflement à l’effort, un enfant peut se plaindre d’une dyspnée (« J’ai du mal à respirer ») tandis qu’un autre ne ressentira pas de gêne particulière(2). En revanche la variabilité intra-enfant est faible : un enfant qui pour un même niveau d’activité physique rapporte une dyspnée d’effort pour la première fois (« Je n’ai jamais été essoufflé comme lors du volley la semaine dernière »), ou une aggravation progressive (« L’année dernière, je n’avais pas de mal à respirer ») doit être pris au sérieux.
Étiologies des dyspnées d’effort
Chez l’enfant tout venant, sans maladie sous-jacente, il est possible de distinguer trois grands groupes d’étiologies à cette dyspnée d’effort(3,4).
Patients avec ventilation inadaptée à l'effort
Le premier groupe est représenté par les enfants et les adolescents qui n’ont aucune maladie sous-jacente mais simplement une respiration inadaptée lors de l’effort qui conduit à une sensation de dyspnée. Nous appellerons cette catégorie les patients avec « ventilation inadaptée à l’effort ». Ils représentent entre 60 et 80 % des enfants qui consultent pour dyspnée à l’effort. Trois tableaux se dessinent dans cette catégorie. D’abord l’enfant prépubère qui va bien et ne se plaint de rien, mais dont les parents sont inquiets car par rapport aux autres enfants : « Il est vite tout rouge quand il joue au foot avec ses copains ». Il s’agit d’enfants qui ne savent pas doser leur effort et se donnent à fond d’emblée. Comme ils ont peu de réserve, ils doivent arrêter leur effort rapidement e temps de reprendre leur souffle, puis repartent à nouveau à fond avant de devoir à nouveau s’arrêter. Le second tableau correspond aux adolescents, et particulièrement aux adolescentes, volontiers en surpoids et non sportives qui ne se sont pas encore appropriés leur nouveau corps en pleine poussée de croissance. La ventilation est là encore inadaptée à l’effort demandé, plutôt du type hyperventilation avec un cortège de symptômes rapportés, dont une sensation de malaise (« Je manque d’air », « J’étouffe quand je fais du sport », « Je ne me sens pas bien »). Enfin, le troisième tableau correspond aux enfants qui utilisent leurs muscles respiratoires de façon inappropriée, dépensant trop d’énergie à respirer pour un effort même de faible intensité : typiquement, ils vont utiliser leurs muscles respiratoires très rapidement alors qu’il suffirait de respirer avec le ventre (respiration abdomino-diaphragmatique). Quel que soit le tableau, pour tous ces enfants avec ventilation inadaptée à l’effort, la prise en charge de ces patients repose avant tout sur la réassurance : le fait qu’il est normal d’être essoufflé à l’effort, et quelques exercices de réapprentissage de la respiration à l’effort qui peuvent être réalisés en une ou deux séances avec un kinésithérapeute (respiration abdomino-diaphragmatique) ou un professeur d’activité physique adaptée.
Patients avec asthme et/ou obstructions laryngées induits à l'effort
Le second groupe d’étiologies correspond aux asthmes in duits par l’exercice (AIE) et aux obstructions laryngées induites par l’exercice (OLIE), qui expliquent environ 20 % des dyspnées à l’effort. L’AIE survient dans des contextes particuliers : l’effort doit être intense et ni trop court ni trop long, généralement entre 6 et 8 minutes, comme par exemple lors du test de ventilation maximale aérobie (ou test de Léger) en classe de sixième. Il est plus fréquent dans les situations dites « asthmogènes » comme lors de l’exposition à un air froid et sec (hockey, patin à glace, etc.). Les symptômes associés à la dyspnée sont une toux et des sifflements, qui souvent sont rapportés précisément par l’enfant et sa famille, alors que les enfants ayant une ventilation inadaptée utilisent des termes plus vagues (« air bloqué », « gêne »). Ces symptômes surviennent surtout à l’arrêt de l’effort et s’améliorent pour disparaître complètement dans les 30 minutes(5). Les bronchodilatateurs sont efficaces lorsqu’ils ont été utilisés. Si l’enfant est déjà sujet à de l’asthme, il faut rechercher d’autres signes d’asthme mal contrôlé, augmenter le traitement de fond si nécessaire, prescrire un bronchodilatateur de courte durée d’action avant l’effort et revoir la technique d’inhalation de tous les traitements. Attention cependant à ne pas céder à la facilité et à appeler AIE toute dyspnée à l’effort chez un enfant atteint d’asthme. Même dans cette population, l’étiologie la plus fréquente d’une dyspnée d’effort reste une ventilation inadaptée déjà abordée. L’OLIE (qui inclut la dyskinésie des cordes vocales) est une adduction paradoxale des cordes vocales ou des aryténoïdes pendant l’inspiration. Elle touche surtout les jeunes adolescentes (80 %) ayant un terrain anxieux (30 %) et/ou asthmatique (30 %). La dyspnée survient à l’acmé de l’effort : elle est inspiratoire avec un stridor. Son début est brutal et sa résolution rapide en quelques minutes après l’arrêt de l’effort. Quelques séances de psychothérapie (en cas de terrain anxieux) et de rééducation avec un orthophoniste et/ou un kinésithérapeute permettent de résoudre les symptômes.
Autres patients
Le troisième groupe d’étiologies correspond aux causes exceptionnelles mais potentiellement graves, qui n’expliquent que 1 % des dyspnées d’effort de l’enfant tout venant. Ce groupe inclut les causes cardiaques (troubles du rythme, cardiomyopathies, hypertension artérielle pulmonaire, etc.), les causes respiratoires (bronchiolite oblitérante postinfectieuse, pneumopathie interstitielle diffuse, etc.), et les causes systémiques (anémie chez l’adolescente réglée, maladies métaboliques, connectivites, etc.). L’objectif sera de rechercher à l’interrogatoire, l’examen clinique et, lors des examens complémentaires, un drapeau rouge devant faire évoquer l’une ou l’autre de ces causes.
Comment mener la consultation
La consultation d’un enfant ou d’un adolescent consultant pour dyspnée d’effort peut être menée selon un schéma en neuf étapes (encadré).
Avant toute question, l’étape 0 est de comprendre le contexte : s’il s’agit d’un enfant prépubère, un enfant inquiet de ses symptômes doit faire se lever un drapeau rouge, tandis qu’un enfant serein qui consulte du fait d’une inquiétude de ses parents est plutôt rassurant ; à l’adolescence, le drapeau rouge correspond à l’adolescent sportif, car du fait de son activité sportive il devrait déjà savoir gérer son effort et sa respiration et donc ne pas présenter de dyspnée d’effort. À l’inverse, les adolescents en pleine poussée de croissance et peu sportifs représentent des situations rassurantes. À l’interrogatoire, la première question est celle des circonstances : s’il s’agit d’une compétition en club il s’agit encore d’un drapeau rouge, tandis qu’un effort intense de 6 à 8 minutes peut orienter vers un AIE ou une OLIE. La seconde question explore les signes associés : une douleur thoracique, une syncope, des palpitations représentent autant de drapeaux rouges pour une cause cardiovasculaire, une toux avec wheezing ou stridor orientent respectivement vers un AIE et une OLIE, tandis que les descriptions florides de symptômes pointent généralement vers une ventilation inadaptée. La troisième question précise le timing des symptômes : si c’est au pic de l’effort avec une résolution rapide, cela peut orienter vers une OLIE, si c’est à l’arrêt de l’effort sans résolution rapide vers un AIE, tandis que des symptômes survenant à n’importe quel moment de l’effort, et particulièrement dès l’échauffement orientent vers une ventilation inadaptée. La quatrième question évalue le niveau sportif de l’enfant : plus l’enfant ou l’adolescent est sportif (inscrit dans un club, en compétition), plus sa dyspnée d’effort est suspecte et doit être explorée en cardiologie : une ventilation inadaptée à l’effort est constatée la plupart du temps chez des enfants n’ayant pas d’activité physique en dehors de leur scolarité. La cinquième question concerne les antécédents personnels et familiaux : un antécédent cardiaque ou respiratoire sont des drapeaux rouges, tandis qu’un terrain atopique peut orienter vers un AIE. La sixième question recherche des symptômes au repos : une dyspnée au repos est un drapeau rouge, une toux sèche nocturne ou aux rires doit faire rechercher un asthme. Le septième point correspond à l’examen clinique : il inclut une évaluation de la fréquence respiratoire, de la saturation et une auscultation pulmonaire pour le dépistage des maladies respiratoires, une mesure de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle, et une auscultation cardiaque pour le dépistage des maladies cardiaques. Enfin, la huitième étape correspond à la réalisation de trois examens complémentaires simples : un hémogramme chez la jeune fille réglée à la recherche d’une anémie, une radiographie thoracique à la recherche d’une cardiomégalie ou d’une anomalie du parenchyme pulmonaire, et des explorations fonctionnelles respiratoires à la recherche d’un trouble ventilatoire obstructif (asthme, bronchiolite oblitérante) ou restrictif (pneumopathie interstitielle).
Une fois l’ensemble de ces étapes effectuées, il s’agit de s’orienter en fonction des couleurs : un seul drapeau rouge doit faire pratiquer une consultation en cardiologie et procéder en l’absence d’anomalie à une épreuve d’effort cardiopulmonaire. Les éléments orange orientent vers un AIE ou une OLIE qui nécessitent une prise en charge spécifique. Lorsque tout est au vert, la prise en charge associera réassurance, quelques exercices de respiration pouvant être enseignés en une ou deux séances par un kinésithérapeute ou un professeur d’activité physique adaptée, et une surveillance avec une consultation de suivi : si la dyspnée d’effort persiste, alors une épreuve d’effort cardiopulmonaire devient indiquée.
En conclusion, l’approche présentée devrait permettre de rapidement rassurer l’enfant et sa famille sans passer à côté d’un diagnostic nécessitant une prise en charge spécifique.
Points forts
• Il est normal d’être essoufflé lors d’un effort soutenu. Lorsque cet essoufflement est vécu comme désagréable, il correspond à la sensation subjective de dyspnée d’effort, et représente un motif de consultation.
• La grande majorité des enfants et adolescents qui consultent pour dyspnée d’effort n’ont pas de maladie sous-jacente, et nécessitent réassurance, quelques exercices de respiration et une consultation de suivi.
• Environ un enfant sur dix a un réel asthme induit par l’exercice qui nécessite une prise en charge spécifique. Mais même chez l’enfant atteint d’asthme, la principale cause de dyspnée à l’effort est une ventilation inadaptée et non un asthme induit par l’exercice.
• Les cas de dyspnée d’effort révélant une pathologie sous-jacente sont exceptionnels, estimés à moins de 1 % des consultations, mais justifient une approche rigoureuse.
Liens d’intérêts. Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport avec cet article.
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