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Gastro-entérologie

Publié le 25 mar 2024Lecture 7 min

Troubles fonctionnels intestinaux, points de repère pour la prise en charge

Denise CARO, d’après les communications de Claire Dupont (Caen) et de Marc Bellaïche (Paris)

Caractérisés pour la première fois en 1994 par les critères de Rome I, les troubles fonctionnels intestinaux (TFI) font depuis régulièrement l’objet de nouvelles révisions. En attendant la prochaine publication imminente des critères de Rome V, Marc Bellaïche (Paris) et Claire Dupont (Caen) nous livrent quelques-unes des clés pour savoir comment se repérer dans la multitude de symptômes et quels conseils donner aux familles.

Les troubles fonctionnels intestinaux sont définis comme la combinaison variable de symptômes gastro-intestinaux chroniques ou récurrents, non expliqués par des anomalies structurelles ou biochimiques. Les consultations pour mal au ventre ou autres signes fonctionnels digestifs sont monnaie courante en pédiatrie. On estime que 16 % des enfants (en bonne santé) présentent des douleurs abdominales fonctionnelles. Celles-ci surviennent volontiers dans un contexte d’anxiété, de stress ou de traumatisme. Les filles sont plus souvent concernées que les garçons(1). « Ce sont des consultations longues, a prévenu d’emblée Claire Dupont. Il faut parvenir à mettre des mots sur les maux. Et il faut rassurer l’enfant et sa famille, bien sûr après s’être assuré de l’absence de pathologie autre, sans pour autant se lancer systématiquement dans une multitude d’examens complémentaires. » L’un des points importants apporté par les critères de Rome IV de 2016 (par rapport à la version précédente de 2006) est que le diagnostic d’un TFI peut être posé après « une évaluation médicale appropriée montrant que le symptôme ne peut être attribué à une autre cause », la mention « en l’absence de preuve d’un processus inflammatoire, anatomique, métabolique ou néoplasique expliquant le symptôme » incitant à des examens complémentaires plus poussés ne figure plus(2). L’autre apport essentiel du rapport de 2016 est l’introduction des nausées et vomissements fonctionnels (regroupant les vomissements cycliques, les nausées et vomissements fonctionnels, les ruminations et l’aérophagie), et des douleurs abdominales fonctionnelles non classées ailleurs(2). Ces troubles varient en fonction de l’âge de l’enfant. Avant 1 an, il s’agit de régurgitations, de vomissements cycliques, de coliques, d’une dyskinésie, d’une diarrhée fonctionnelle ou d’une constipation fonctionnelle. À partir de 3 ans, on verra surtout des vomissements cycliques, une diarrhée fonctionnelle ou une constipation fonctionnelle. À partir de 6 ou 8 ans, on retrouve les vomissements cycliques, les nausées fonctionnelles, la dyspepsie fonctionnelle, le syndrome de l’intestin irritable et la constipation fonctionnelle(3).   Rechercher le symptôme prédominant   Chez l’enfant et l’adolescent, les différents TFI peuvent être répartis en trois groupes : les troubles fonctionnels avec nausées et vomissements, les troubles fonctionnels douloureux abdominaux, les troubles fonctionnels de la défécation(3). « Concernant les troubles fonctionnels avec nausées et vomissements, qui ont fait leur apparition dans Rome IV, on recherchera le symptôme principal pour orienter le diagnostic », a précisé C. Dupont. Le syndrome des vomissements cycliques est défini par la présence d’au moins deux épisodes de nausées intenses ou vomissements paroxystiques durant des heures ou des jours, sur une période de 6 mois. Ces épisodes sont stéréotypés pour chaque patient. Entre deux épisodes, séparés de semaines ou mois, les symptômes disparaissent. Il fait éliminer un syndrome hyperémétique, la consommation de cannabinoïdes ou une maladie métabolique. Les nausées fonctionnelles sont caractérisées par la présence de nausées invalidantes au moins 2 fois par semaine pendant au moins 2 mois. Elles ne sont pas liées aux repas ; elles peuvent ou non être associées à des vomissements. Les vomissements sont dits fonctionnels s’ils ne sont pas induits et s’ils surviennent au moins 1 fois par semaine pendant au moins 2 mois. Ils sont à distinguer des troubles du comportement alimentaire et du syndrome de rumination. Il faut rechercher une dysautonomie (sueur, pâleur, tachycardie, vertiges). Attention à ne pas méconnaître une hypertension intracrânienne, une obstruction (mal rotation), une gastroparésie, une pseudo-obstruction intestinale chronique ou un problème psychologique. Le signe d’appel d’un syndrome de rumination peut être les régurgitations. Il se caractérise par un remâchage ou une expulsion de nourriture qui débute peu après le début du repas (jamais pendant le sommeil) ; il n’est pas précédé par des haut-le-cœur. On retrouve souvent une comorbidité psychologique (dépression, anxiété, troubles obsessionnels compulsifs [TOC], troubles déficit de l’attention [TDAH], etc.). Les diagnostics à écarter sont entre autres un trouble des conduites alimentaires (TCA), un reflux gastro-œsophagite (RGO), une gastroparésie, une achalasie, etc. Dans ce premier groupe figure également, l’aérophagie. Il s’agit d’un avalage d’air excessif avec distension abdominale et flatulences. Ce symptôme est favorisé par l’anxiété, la consommation de gommes à mâcher ou l’impossibilité (ou le refus) de roter. Les diagnostics à écarter sont une gastroparésie, une pullulation microbienne, une malabsorption ou autre.   Les troubles fonctionnels douloureux abdominaux   La dyspepsie fonctionnelle figure dans le second groupe, celui des troubles fonctionnels douloureux abdominaux. Elle est définie par la présence au moins 2 jours par mois pendant au moins 2 mois, d’un des signes suivants : sensation de plénitude postprandiale, satiété précoce, brûlure épigastrique non liée à la défécation. On distingue, un syndrome de détresse postprandiale (impossibilité de finir le repas, associée à des ballonnements et des rots) et un syndrome de douleurs épigastriques (caractérisé par une douleur qui interfère avec les activités, sans irradiation, induite ou soulagée par le repas ou survenant à jeun). Autre TFI appartenant au même groupe, le syndrome de l’intestin irritable se caractérise par une douleur abdominale qui survient plus d’un jour par mois depuis plus de 2 mois et qui est associée à la défécation et/ou à une modification de fréquence des selles et/ou de leur apparence. Autre tableau clinique à ne pas méconnaître, la migraine abdominale est définie par des épisodes de douleurs abdominales paroxystiques, intenses, aiguës, périombilicales, médianes ou diffuses survenus à au moins 2 reprises depuis 6 mois ; les épisodes sont séparés de plusieurs semaines ou mois ; la douleur est stéréotypée, invalidante et elle interfère avec les activités. Elle est associée à au moins 2 des signes suivants : anorexie, nausée, vomissement, céphalée, photophobie, pâleur. Enfin, nouvellement apparues dans le groupe des troubles fonctionnels douloureux abdominaux, les douleurs abdominales fonctionnelles non classées sont des douleurs abdominales ponctuelles ou continues, pas systématiquement liées à des événements physiologiques (alimentation, règles) qui surviennent plus de 4 fois par mois depuis plus de 2 mois et pour lesquelles les données sont insuffisantes pour les assimiler à l'une des trois entités précédentes. Bien sûr comme pour chaque autre TFI, le diagnostic est posé quand les symptômes ne peuvent être attribués à une autre cause médicale.   Des points de vigilance   Bien que les critères de Rome permettent de caractériser chacun des tableaux cliniques appartenant aux TFI, il n’est pas toujours facile de se repérer dans les plaintes des patients. « Il faut prendre son temps, écouter l’enfant et sa famille, a expliqué C. Dupont. On orientera le diagnostic en fonction du motif de la consultation (nausées, vomissements, régurgitation ou douleurs abdominales chroniques ou problème de transit) et selon les symptômes associés. Des douleurs épigastriques évoquent une dyspepsie fonctionnelle, des troubles du transit, un syndrome d’intestin irritable, des céphalées et vomissement, une migraine abdominale et aucun des 3 symptômes doit faire penser à des douleurs abdominales fonctionnelles non classées. Il faut bien connaître les signes d’alerte qui doivent donner lieu à des explorations et/ou un avis spécialisé. » Parmi la longue liste des signes devant retenir l’attention, on peut citer : les antécédents familiaux de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), maladie cœliaque ou ulcère gastroduodénal, une douleur persistante de l’hypochondre droit ou la fosse iliaque droite, une dysphagie, une odynophagie (douleur à la déglutition), des vomissements persistants, un saignement digestif, une diarrhée nocturne, une arthrite, des lésions périnéales, une perte de poids involontaire, un ralentissement de la croissance, un retard pubertaire, une fièvre inexpliquée, etc.(3). « Il est très important d’évaluer l’impact du TFI sur les activités quotidiennes et la qualité de vie, a noté C. Dupont. Il faut également s’intéresser au contexte psychosocial : anxiété, dépression, comorbidités (maltraitance). » Pour cela, on peut s’appuyer sur différents questionnaires, par exemple : STAI-Y-A et B, SCARED-r51 pour l’anxiété, le CDI pour la dépression, le Peds-FACIT-F pour la fatigue, le PedsQL pour la qualité de vie et le FACES pour l’intensité des symptômes. « Le traitement débute en réassurant l’enfant et sa famille. Leur dire que la douleur est bien réelle mais la maladie est non mortelle est important », a précisé Claire Dupont. On peut faire des suggestions de changement de style de vie en repérant et évitant les facteurs déclenchants, proposer des stratégies de « coping » (relaxation, autohypnose), adresser à un psychologue ou un pédopsychiatre, organiser un retour progressif à l’école. Il faut revoir le patient et évaluer l’effet de ces mesures, en réservant les médicaments en deuxième intention(4). D’après les communications de Claire Dupont (Caen) et de Marc Bellaïche (Paris), lors des 28es Rencontres de Pédiatrie Pratique

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