Publié le 28 sep 2023Lecture 5 min
Comportements sexuels problématiques chez l’enfant
Armelle HAQUET, Céline BAIS**, *Pédiatre, Groupe enfance en danger, CHU de Montpellier, **Psychiatre, CRIAVS Languedoc-Roussillon, CHU de Montpellier
Même si le terme « comportement sexuel problématique » est peu utilisé actuellement par les professionnels de l’enfant, le pédiatre est pourtant régulièrement sollicité par des parents inquiets face à un attrait estimé inhabituel de son enfant pour la sexualité, ou par des « jeux » autour de la sexualité entre deux enfants, ou pour des « agressions sexuelles » par un autre enfant à l’école. Face à ces situations, le praticien peut être mis en difficulté et nous proposons ici un guideline pour la gestion de ces comportements problématiques.
De quoi parle-t-on ?
L’ATSA (Association of the Treatment of Sexual Abusers) a proposé une définition des comportements sexuels problématiques (CSP), en précisant qu’ils ne font partie d’aucun syndrome médical ou psychologique mais qu’ils correspondent à des comportements en dehors des limites sociales acceptables(1). L’ATSA définit les enfants présentant des CSP comme « des enfants âgés de 12 ans ou moins, initiant des comportements impliquant des parties sexuelles du corps, qui sont inappropriés sur le plan développemental ou potentiellement néfastes pour eux-mêmes ou pour autrui ».
Le développement psychosexuel « normal »
Les études confirment la présence chez les enfants de comportements et d’un intérêt pour la sexualité, s’intégrant dans leur développement psycho-sexuel normal(2,3) .
Pour comprendre ce qui est problématique ou pas, il faut donc avoir des repères sur le développement psychosexuel habituel chez l’enfant (tableau). Les comportements sexuels entre les enfants sont considérés comme des jeux s’ils sont :
– volontaires ;
– concordant avec le développement psychosexuel des enfants ;
– réalisés dans un esprit de découverte de son corps et du corps de l’autre ;
– associés à des émotions positives ;
– chez des enfants d’âge ou de développement comparables ;
– stoppés ou diminués par l’intervention de l’adulte.
Les caractéristiques des enfants présentant des CSP
Il n’y a pas de données sur la prévalence ou l’incidence des CSP mais il faut noter une augmentation des recours aux systèmes médicaux judiciaires et administratifs pour ce motif, ce qui montre une préoccupation plus importante sur cette problématique(4).
Il n’y a pas de profil type d’enfants présentant des CSP mais il existe des domaines de risque associés à l’émergence des CSP(4,5,6) :
– des facteurs personnels : anxiété, dépression, syndrome de stress post-traumatique, sensibilité émotionnelle ;
– des facteurs familiaux : pratiques parentales sexuelles déviantes, trouble de la relation parent-enfant, stress familiaux, pathologie psychiatrique parentale ;
– des perturbations du développement psychosexuel : antécédent sexuel, exposition à la pornographie, éducation sexuelle erronée ;
– des expositions à la violence : violence intra- et/ou extrafamiliale.
Il faut savoir que la motivation d’un comportement sexuel chez l’enfant est tout autre que celle de l’adulte : il peut s’agir d’un comportement d’imitation, de la curiosité, de l’anxiété, de la recherche d’attention, de la tentative d’apaisement, un besoin d’affection ou d’entrer en contact, etc.
Il faut penser que les CSP n’impliquent pas toujours d’autres enfants et peuvent être solitaires tout en étant problématiques.
La persistance ou non des CSP est dépendante des soins, puisque 43 à 75 % des CSP persisteraient après un an sans prise en charge(8-9), ce chiffre étant diminué de manière notable lorsqu’une prise en charge est proposée(10-11).
Que faire lors du repérage de CSP ? Proposition de guidelines
Devant les sollicitations croissantes des services du CHU de Montpellier pour des CSP et devant la difficulté de donner des réponses consensuelles en termes de prise en charge, notamment sur le volet protection de l’enfance, le Groupe enfance en danger (groupe pluridisciplinaire référent maltraitance à enfant) et le CRIAVS (Centre de ressource pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles) ont initié un travail de réflexion pluriprofessionnel et pluri-insitutionnel (pédiatre, psychiatre, médecin légiste, médecin de l’Éducation nationale, médecin référent protection de l’enfance, psychologue, assistant de service social, vice-procureur chargé des mineurs, juge pour enfant) autour de la gestion des enfants avec CSP. Ce travail a donné lieu à la réalisation d’un protocole d’évaluation et de prise en charge de ces enfants, support pratique pour les professionnels de l’enfance.
Trois situations de CSP sont distinguées :
– comportement sexuel problématique d’un enfant, qui n’implique pas d’autre enfant : masturbation compulsive avec ou sans objet, problème de proximité ou d’intimité, hypersexualisation, intérêt précoce ou inadapté pour la sexualité, etc. ;
– comportement sexuel problématique entre deux enfants sans contact : exhibition, voyeurisme, propos sexuels inadaptés, proximité inadaptée, etc. ;
– comportement sexuel problématique entre deux enfants avec contact : attouchements, pénétration avec ou sans objet, comportement sexuel agressif, etc.
Pour chacune de ces situations, un algorithme de prise en charge est proposé (figure).
Figure. Schéma de prise en charge des comportements sexuels problématiques (CSP) chez des enfants < 12 ans.
L’évaluation pluriprofessionnelle proposée a pour objectif de déterminer, dans un premier temps, si le comportement de l’enfant est problématique ou non.
Si on retient un CSP, le second objectif sera de déterminer si ce comportement s’inscrit dans une situation de danger (suspicion violences sexuelles et/ou physiques, carences éducatives notamment concernant l’accès aux écrans, etc.) ou non (problématique psychologique et/ou comportementale isolée). En fonction des éléments retenus, la réalisation d’un écrit (information préoccupante [IP] ou signalement judiciaire [SJ]) pourra être indiquée.
Si la situation concerne deux enfants, il est important de s’assurer que ces deux enfants bénéficient d’une évaluation. La réalisation d’une information préoccupante peut permettre au service du conseil départemental « d’accéder » à l’autre enfant impliqué.
Les situations les plus simples peuvent être évaluées au sein d’un circuit de prise en charge en ville. Dans les situations plus complexes, le praticien pourra s’appuyer sur l’Unité d’accueil pédiatrique enfant en danger (UAPED) de proximité pour avis et/ou orientation. Le médecin « référent violences faites aux enfants » et/ou les professionnels de l’UAPED pourront soutenir le pédiatre de l’enfant dans une éventuelle démarche d’information préoccupante (IP) ou de signalement judiciaire (SJ). Les CRIAVS peuvent également être un recours pour des conseils dans ces situations. Dans tous les cas, un suivi et un soutien doivent être proposés à l’enfant ainsi qu’à la famille. Dans certains cas, des soins psychiatriques seront mis en place. Des prises en charge de groupe ou individuelles, à type de psychoéducation, affirmation de soi, gestion des émotions peuvent être proposées. La prévention est, d’autre part, un point essentiel pour éviter les CSP et leur récidive.
Conclusion
Le pédiatre peut être confronté à la gestion des situations de comportements sexuels problématiques. Une démarche de prise en charge pluridisciplinaire permet de ne pas dramatiser ni banaliser. Le praticien, dans sa démarche, doit se poser la question d’éventuelles carences et/ou violences ayant pu amener aux dérives comportementales de l’enfant et déclencher des mesures de protection de l’enfance si besoin. En cas de difficultés, les équipes des UAPED, ainsi que les services de PMI et les CRIAVS, sont des services ressources pour les professionnels.
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