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Psycho-social

Publié le 03 jan 2023Lecture 8 min

La dégradation de la santé mentale des enfants, dommage collatéral majeur de la pandémie de Covid-19

Alicia COHEN, hôpital Robert-Debré (AP-HP), Paris

Une politique de confinement a été mise en place en France et dans le monde dès la première vague de Covid-19 avec la fermeture des écoles et des activités extra-scolaires, et l’obligation de rester au domicile pourles enfants et leur famille. Le rythme de vie habituel des enfants et leur routine du quotidien ont alors été soudainement bouleversés, avec notamment la privation des contacts avec leurs pairs. La possibilité que la pandémie et ses différents confinements aient des conséquences importantes sur la santé mentale et le bien-être des enfants a rapidement suscité une attention considérable de la part des parents, des médias et des praticiens de la santé.

Impact de la crise sanitaire Covid-19 sur la santé mentale des enfants et des adolescents Dès le début de la pandémie de Covid-19, de nombreuses équipes de recherche se sont intéressées à l’impact de cette pandémie et de ses différentes mesures d’isolement sur le bien-être et la santé des enfants. Les études réalisées montrent une forte augmentation des symptômes dépressifs et anxieux chez les enfants (Samji et coll., 2022). En effet, une comparaison avec les données prépandémiques suggère que les difficultés en santé mentale des jeunes ont doublé ; 25,2 % vs 12,9 % pour les symptômes dépressifs, et 20,5 % vs 12,6 % pour les troubles anxieux (Samji et coll., 2022 ; Racine et coll., 2021). Au Royaume-Uni, une étude a rapporté que 39,2 % des 6-16 ans avaient observé une dégradation de leur santé mentale depuis le début de la pandémie avec, par exemple, 25 % des 6-10 ans qui rapportaient un trouble du sommeil durant au moins trois nuits par semaine pendant la pandémie. Il a été montré que les enfants qui avaient diminué leur temps de sommeil pendant le confinement rapportaient plus de symptômes anxieux. Ces données sont cohérentes avec les précédentes recherches qui ont montré que de bonnes règles d’hygiène de vie pour des enfants en âge scolaire réduisent le risque de pathologie mentale et augmentent le bien-être. Idées et conduites suicidaires Les consultations en ville ou dans les services d’accueil des urgences pour des idées ou conduites suicidaires chez les enfants et adolescents, déjà en régulière augmentation depuis plusieurs années, ont accru peu après le début de la pandémie, et particulièrement à partir du premier déconfinement. Une étude française monocentrique, réalisée au CHU Robert-Debré à Paris, a rapporté un triplement du nombre de tentatives de suicide chez les moins de 15 ans en novembre-décembre 2020 par rapport à la même période l’année précédente. Temps d’écrans en augmentation Les études rapportent de plus une augmentation importante du temps d’écrans, bien que la plupart d’entre elles ne distinguent pas les temps d’écrans récréatifs et les temps de travail en ligne. Une étude espagnole a montré que le temps moyen quotidien passé sur les écrans avait augmenté de 2,9 heures par jour (augmentation de 245 %) chez les adolescents (López-Bueno et coll., 2020). Les enfants qui rapportaient un temps d’écrans en hausse étaient d’ailleurs plus sujet à des symptômes anxieux et dépressifs que les enfants du même âge. « Le confinement a aussi permis aux enfants d’éviter des situations anxiogènes » Présence parentale Ces résultats ne sont pas retrouvés dans toutes les publications, avec notamment une étude longitudinale conduite dans trois pays (États-Unis, Pays-Bas, Pérou) qui a évalué les symptômes anxieux et dépressifs des enfants pendant douze mois à partir du premier confinement et qui a plutôt mis en évidence une baisse de l’anxiété chez les 7-11 ans (Barendse et coll., 2022). Ce résultat révèle sans nul doute une réalité, à savoir que le confinement a aussi permis aux enfants d’éviter des situations anxiogènes pour eux comme les évaluations à l’école ou les situations de harcèlement scolaire, par exemple. Le confinement a aussi permis une augmentation du temps de présence parentale et du temps de jeux entre les parents et les enfants. Ces différents éléments pourraient expliquer une diminution de l’anxiété durant les premiers mois de la pandémie, période où les mesures de confinement étaient les plus strictes et donc le temps passé au domicile sans école conséquent. Ces résultats peuvent aussi refléter la variabilité de vulnérabilité des enfants concernant leur capacité à gérer des situations de stress important, dont les mesures de confinement peuvent faire partie. Plusieurs facteurs expliquent cette dégradation Plusieurs facteurs comme le genre (la santé mentale des filles ayant étant plus impactée que celle des garçons), l’isolement social, les difficultés dans les relations parents/enfants, le niveau socio-économique bas, le temps passé sur les écrans (et notamment pour la recherche d’information sur la pandémie) ont été identifiés comme étant associés à plus de symptômes psychiatriques (McArthur et coll., 2021). La fermeture des écoles On peut aussi s’interroger sur le rôle de la fermeture des écoles dans la dégradation de la santé mentale des enfants, et sur les mécanismes impliqués. En effet, lors du 1er confinement, 1,5 milliard d’enfants ont été déscolarisés et tous n’ont pas repris l’école en présentiel avant la rentrée de septembre 2020, certaines écoles ont même fermé de nouveau en 2021. La fermeture des établissements scolaires a entraîné une réduction de l’accès à certains services dispensés par l’école comme les repas scolaires, le service de santé scolaire ou encore les activités sportives dispensées par les professeurs. Elle a aussi occasionné un arrêt des interactions entre les enfants, en particulier pour les plus jeunes qui ne sont pas équipés de téléphone portable ou d’autres outils permettant de garder le contact, alors que l’on sait qu’à cet âge le soutien social a un rôle majeur. En plus du manque de contacts avec les pairs, les enfants ont aussi été privés des adultes qui les entourent habituellement à l’école, et qui s‘assurent qu’ils vivent dans un environnement sécurisant. De plus, cette fermeture a aussi occasionné un retard académique significatif pour un nombre important d’élèves. En effet, les dispositifs d’enseignement à distance par visioconférence ou les cours en ligne n’ont pas été mis en place immédiatement ni de façon uniforme sur l’ensemble du territoire : certaines familles n’avaient pas d’accès à internet ou pas suffisamment pour tous les membres de la famille, ou encore certains parents ne pouvaient pas venir en aide à leurs enfants sur des devoirs qu’ils jugeaient trop complexes pour eux (Becker et coll., 2020). La diminution de l’accès aux soins En plus de la détresse psychologique engendrée par la pandémie, les familles ont dû faire face à la diminution de l’accès aux soins de santé. En effet, les établissements de santé à l’échelle internationale ont été fermés au cours de la première vague, et l’on rapporte une réduction de 50 à 65 % des consultations pour motifs d’automutilation, et une réduction de 40 % des hospitalisations en psychiatrie (Ougrin 2020 ; Sheridan et coll., 2021). Ce contraste entre la baisse du nombre de consultations pour motif psychiatrique et une dégradation de la santé mentale des jeunes montre qu’il y a eu un fort besoin en santé qui n’a pas pu être satisfait, pour des enfants déjà suivis mais aussi pour des enfants qui avaient nouvellement besoin de soin. « Une aggravation du comportement des enfants TDAH » Les enfants avec une pathologie mentale antérieure au Covid, une population particulièrement vulnérable La pandémie mondiale n’a pas touché tous les enfants de la même façon. On savait déjà que la santé mentale des enfants, antérieure à cette période, représentait l’un des facteurs prédicteurs les plus importants de difficulté en cas de stress majeur (Purper-Ouakil et coll., 2004). Il semblerait que les enfants présentant un trouble du neurodéveloppement et leurs parents aient été particulièrement vulnérables aux effets du confinement pendant la pandémie (McArthur et coll., 2021). Une étude française s’est intéressée à l’évolution des comportements des enfants avec un trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Pour rappel, le TDAH est un trouble courant chez les enfants d’âge scolaire (3,5 à 5,6 % des enfants âgés de 6 à 12 ans), qui se manifeste par une agitation motrice, des difficultés attentionnelles et une impulsivité, et qui est associé à une altération significative du fonctionnement social et scolaire de l’enfant. Au total, 538 parents d’enfants avec un TDAH ont répondu à un questionnaire en ligne à propos du comportement de leur enfant pendant le premier confinement (Bobo et coll., 2020). Les enfants dont les parents ont répondu aux questionnaires avaient en moyenne 10,5 ans. À la suite des mesures de confinement, 34,71 % des parents répondeurs signalaient une aggravation du comportement de leur enfant, 34,33 % n’indiquaient pas de changements notables et 30,96 % notaient une amélioration globale du comportement de leur enfant. Les parents décrivant une augmentation de l’opposition ou de l’agressivité durant le confinement, faisaient également part d’une accentuation des troubles du sommeil, des troubles émotionnels et des symptômes de TDAH. Certains de ces parents rapportaient avoir compris pendant le confinement l’ampleur des difficultés de leur enfant, et notamment celles liées aux apprentissages. Cette meilleure compréhension des troubles aurait permis à certains d’entre eux de rétablir une proximité avec leur enfant. Conclusion Les difficultés rencontrées par les enfants durant la pandémie nous rappellent l’importance d’un système de soin en santé mentale efficient, accessible rapidement pour tous les enfants et clair en termes de parcours de soins du patient. La poursuite des études longitudinales est indispensable pour évaluer régulièrement les besoins en termes de santé mentale et pouvoir y répondre de manière adaptée, et pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent le fait que certains enfants continuent d’aller mal après la pandémie alors que d’autres semblent s’être rétablis. Notre rôle en tant que professionnel de santé est de prendre en charge les enfants mais aussi d’encourager les familles à établir des routines structurées, y compris l’établissement d’horaires, de temps d’écrans limité, d’une alimentation équilibrée, et de maintenir ces routines sur le long terme, particulièrement dans les périodes de changement ou de bouleversement.

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