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Pédiatrie générale

Publié le 10 mai 2022Lecture 10 min

Reconnaître et prendre en charge un retard statural

C. LAMBERT, Paris

Au cours d’une émission diffusée en direct sur internet, Maxime Gérard (Boulogne-Billancourt), Juliane Léger (Paris) et Agnès Linglard (Le Kremlin-Bicêtre) ont précisé le dépistage, le diagnostic et la prise en charge du retard statural de l’enfant, ainsi que la place de l’hormone de croissance dans son traitement.

Juliane Léger (hôpital Robert Debré, Paris) a rappelé que de nombreux facteurs influencent la croissance de l’enfant : facteurs génétiques, environnementaux, la constitution osseuse, le statut nutritionnel et différentes hormones. En premier lieu, il s’agit de l’axe somatotrope avec l’hormone de croissance et le facteur de croissance IGF1, mais aussi les hormones thyroïdiennes qui jouent un rôle important et, au cours de la puberté, les hormones sexuelles, sans oublier l’insuline qui est également une hormone anabolisante. L’évaluation de la croissance se fait au regard des courbes de référence mais doit aussi prendre d’autres paramètres en compte : les mensurations de l’enfant à la naissance, et notamment s’il existe un retard de croissance au cours de la vie fœtale ; l’âge osseux évalué le plus souvent sur la radiographie de la main, qui apprécie la maturation des cartilages de croissance et permet, avec l’âge et la taille de l’enfant, une prédiction de sa taille définitive ; les mensurations des parents qui permettent de calculer la taille cible parentale ; le stade de puberté et les données de l’examen clinique. Causes des retards de croissance Le retard de croissance est défini par une taille ≤ 2 DS (déviation standard) par rapport aux courbes de références ou une taille ≤ 1,5 DS par rapport à la taille cible parentale ou tout ralentissement de la vitesse de croissance qui peut être pathologique. Il suffit que l’un de ces paramètres soit présent pour que l’anomalie de croissance soit identifiée et nécessite de réaliser des investigations. Les causes de petite taille sont multiples, et parmi elles les étiologies endocriniennes ne représentent qu’une petite partie. Les autres causes possibles sont : toutes les affections chroniques de l’enfant peuvent retentir sur la croissance, des anomalies chromosomiques, osseuses, les petits mangeurs, les petites tailles familiales, le retard de puberté qui entraîne un retard de croissance par décalage du pic pubertaire et l’enfant né petit pour l’âge gestationnel. Après avoir passé en revue ces causes, Juliane Léger a donné quelques exemples de certaines d’entre elles. Le premier est celui d’une enfant dont la croissance a été régulière dans la petite enfance puis qui, du fait d’une maladie chronique avec un syndrome inflammatoire important, a infléchi sa courbe jusqu’à perdre deux déviations standard en taille adulte. Le deuxième exemple visait à illustrer la relation entre l’altération de la fonction rénale et le ralentissement de la croissance. Autre cas de maladie chronique, l’anorexie mentale avec une cassure franche de la courbe : dans l’exemple montré, l’enfant ne grandissait plus du tout depuis 3 ans. Un autre cas commenté par Juliane Léger montre une courbe qui s’infléchit brutalement avec une stagnation pondérale pendant 5 ans, un temps beaucoup trop long avant que de explorations soient entreprises chez un enfant qui présentait au départ une taille élevée à + 2 DS. Ce type de cas peut relever d’une cause grave, comme une tumeur hypophysaire, et nécessite d’entreprendre des investigations sans trop attendre même si, dans cet exemple, il s’agissait d’une hypothyroïdie d’Hashimoto et que cet enfant, après un traitement par lévothyroxine, a bénéficié d’un rattrapage de croissance. Chez un autre enfant, la croissance régulière jusqu’à 8-9 ans s’infléchit pour arriver à - 2 DS à l’âge de 14 ans du fait d’un retard de puberté. Enfin dans le cas d’une insuffisance somatotrope isolée, dernier exemple présenté par J. Léger, la croissance était normale pendant les deux premières années de vie puis décélérait pour se situer à - 2 DS. Le diagnostic a été établi à l’âge de 7 ans et le traitement par hormone de croissance a permis un rattrapage statural. L’errance diagnostique Ces exemples montrent que le retard au diagnostic est fréquent comme le confirment plusieurs études épidémiologiques. L’incidence de l’insuffisance hypophysaire congénitale est estimée à 1/3 000 enfants et représente 60 % des causes de traitement par hormone de croissance en France. Il peut s’agir d’une insuffisance somatotrope isolée ou d’une insuffisance multiple lorsqu’au moins deux hormones de la lignée hypophysaire sont touchées. Dans une cohorte d’environ 1 600 enfants(1), le diagnostic a été fait en moyenne à l’âge de 8 ans (le plus souvent entre 5 ans et 15-16 ans) pour l’insuffisance isolée en GH. On remarque également que le diagnostic est plus souvent posé chez les garçons que chez les filles. Les insuffisances hypophysaires multiples sont diagnostiquées plus précocement, dans plus de 50 % des cas avant l’âge de 5 ans, et 15 % dans la première année de vie. Dans le syndrome de Turner, lié à une perte totale ou partielle d’un chromosome X et qui touche 1/2 500 filles), le retard statural est quasi systématique, parfois dès la naissance et toujours patent à l’âge de 2 ans. Ce syndrome associe une insuffisance ovarienne, des thyroïdites auto-immunes, une maladie cœliaque, une atteinte auditive, etc. La même étude(1) met en évidence un âge moyen au diagnostic de 8 à 9 ans, parfois même à l’âge adulte. Il existe donc trop souvent une errance diagnostique, avec un retard de prise en charge et un biais en fonction du sexe. Ainsi, dans une étude menée en 2015(2), il apparaît que le début du traitement par hormone de croissance commence tardivement, le plus souvent entre 10 et 15 ans, et que les garçons sont beaucoup plus nombreux à être diagnostiqués et traités que les filles (figure). Figure. Nombre de patients (filles et garçons) au moment du diagnostic de retard statural, d’après Grimberg A et al. Scientific Reports 2015.  Agnès Linglart a rappelé l’importance de construire la courbe de croissance de l’enfant, reflet de son état de santé global, afin de pouvoir les comparer aux courbes de référence qui ont été actualisées en 2018 par une équipe Inserm dirigée par Martin Chalumeau et Barbara Heude. Ces courbes ont été établies avec le concours de l’AFPA (Association française de pédiatrie ambulatoire) grâce au recrutement de 260 000 enfants et sur la base de plus de 5 millions de mesures. La taille finale n’a pas beaucoup évolué par rapport aux précédentes courbes, mais la cinétique de la croissance s’est un peu modifiée. Ces courbes figurent dans le carnet de santé où sont également indiquées les normes des âges de la puberté et la formule permettant de calculer la taille cible parentale. Bilan et traitement par hormone de croissance Maxime Gérard a souligné que devant une cassure staturale ou un infléchissement assez rapide avec changement du couloir de croissance, il est nécessaire de réaliser une imagerie cérébrale et hypophysaire en urgence, sans attendre un bilan endocrinologique et/ou un avis d’expert qui peuvent arriver après plusieurs mois. Le bilan biologique est un bilan général : NFS, CRP, ionogramme, fonction rénale, calcium, phosphore, bilan hépatique, recherche d’une intolérance au gluten, une bandelette urinaire pour dépister une protéinurie. Pour ce qui concerne le bilan hormonal, il comprendra un bilan thyroïdien (TDSH, T4) ; l’IGF1 qui est secrété par le foie en réponse à l’hormone de croissance ; FSH et LH à l’âge de la puberté ; l’âge osseux pour évaluer la maturation osseuse. Un caryotype doit être systématiquement demandé chez la fille, même en l’absence de dysmorphie. L’hormone de croissance ne se dose pas en pratique courante dans un laboratoire de ville, il ne peut être évalué que par un test de stimulation. On peut en revanche doser l’IGF1 qui est la protéine active, celle qui stimule le cartilage de croissance. Il faut toutefois retenir que l’IGF1 peut être bas en cas de sous-nutrition et qu’une valeur subnormale ne signifie pas toujours l’absence de déficit en hormone de croissance. La puberté est un moment important de la croissance. Elle se situe entre 8 et 13 ans chez la fille et débute par la croissance des seins et l’apparition des bourgeons mammaires. Les règles surviennent plutôt en fin de puberté. Chez le garçon, la puberté se situe entre 9 et 14 ans et débute par un accroissement du volume testiculaire, évalué par l’examen clinique avec une longueur qui doit être > 25 mm. Au cours d’une croissance physiologique, celle-ci est régulière dans le couloir correspondant pendant l’enfance puis la cinétique s’accélère au moment de la puberté, les filles gagnant en moyenne 20 cm et les garçons 25 cm. Ensuite la vitesse de croissance ralentit et s’arrête une fois la puberté terminée. Il faut donc agir vite en cas de petite taille, quelques années avant la fin de la puberté pour que les traitements soient efficaces et le rattrapage statural complet. Une des indications du traitement par hormone de croissance en France est le RCIU (retard de croissance intra-utérin) avec une taille ou un poids < 10e percentile et qui n’a pas été rattrapé au-delà de 2 ans ; dans ce cas, le traitement commence à partir de 4 ans lorsque la taille est < - 3 DS. Autres indications (qui peuvent se conjuguer avec le RCIU) qui ont la possibilité d’être traitées plus tôt : le syndrome de Turner, le déficit en hormone de croissance (motif le plus fréquent de prescription), le syndrome de Prader-Willi, l’insuffisance rénale chronique, le déficit en gène SHOX et le syndrome de Noonan qui comporte des malformations cardiaques. Le traitement par hormone de croissance consiste en une injection sous-cutanée quotidienne ; il s’agit d’un médicament d’exception qui est prescrit à l’hôpital avec une consultation hospitalière annuelle. L’éducation thérapeutique est un passage obligé pour apprendre aux parents à faire les injections et pour que l’enfant accepte le traitement. L’injection est équivalente à celle de l’insuline, avec des aiguilles très petites, mais elle peut rester un peu douloureuse et surtout susciter l’anxiété de l’enfant. Le suivi est semestriel, parfois trimestriel, et l’efficacité est corrélée à l’observance. La motivation est un pivot du succès, ce qui nécessite un accompagnement médical qui prend en compte le ressenti du patient, sa qualité de vie et son estime de soi. Il existe des outils d’observance, notamment des applications chargeables. Les problèmes de non-adhésion apparaissent souvent après la première année au traitement. La surveillance est fonction de l’étiologie du retard statural, mais comprend toujours un dosage annuel de l’IGF1. Une insulinorésistance peut apparaître exceptionnellement, ce qui nécessite une surveillance de la glycémie à jeun et de l’HbA1C. En revanche pas d’interaction avec les médicaments de pratique courante ou les vaccinations, et la tolérance du produit est bonne malgré la possibilité de quelques céphalées au début du traitement, évitables en titrant l’hormone de croissance. Les hormones de croissance à longue durée d’action L’arrivée des hormones de croissance à longue durée d’action est de nature à améliorer l’adhésion au traitement, qui reste un problème important avec les injections quotidiennes. De plus, il existe une variabilité de la réponse au traitement avec le traitement journalier. Depuis les années 1980, des essais ont été réalisés avec des analogues long acting. Plusieurs molécules sont en cours d’évaluation, dont certaines proches de la commercialisation. Plusieurs stratégies ont été utilisées pour allonger la durée d’action de l’hormone de croissance. La molécule peut être associée à un polymère qui retarde sa libération, comme cela est le cas de la TransConTM PTH (Ascendis Pharma), qui est une forme pégylée. Actuellement en phase 3 de développement, sa demi-vie est de 37 à 52 heures et elle est administrée une fois par semaine. Son efficacité est équivalente à celle du traitement quotidien. Une autre possibilité est de changer la structure de la molécule d’hormone de croissance afin d’alourdir son poids moléculaire. Plusieurs molécules ont été conçues selon cette méthode, dont le somapacitan (NovoNordisk) qui associe une molécule d’hormone de croissance à de l’albumine. Le composé ainsi réalisé à une demi-vie de 27 heures et la phase 3 de développement a montré que chez des enfants avant la puberté (de 3 à 12 ans) ayant un déficit en hormone de croissance l’efficacité d’une injection hebdomadaire est équivalente à celle du schéma thérapeutique actuel en injection quotidienne. Sur le même principe, le somatrogon (OPKO Pfizer) est constitué d’une hormone de croissance liée à 28 acides aminés de l’hCG (gonadotrophine chorionique humaine). Cette molécule qui arrive en fin de phase 3 de développement présente également une demi-vie de 27 heures qui permet une administration une fois par semaine. Chez des enfants âgés de 3 à 12 ans et ayant un déficit en hormone de croissance, plusieurs essais cliniques ont montré que son efficacité est comparable à celle des injections quotidiennes. Ces hormones de croissance à longue durée d’action sont donc aussi efficaces, voire plus que le traitement quotidien actuel, avec un profil de tolérance comparable. Elles font appel à des technologies qui sont connues et déjà utilisées pour d’autre médicaments. Des essais complémentaires et leur utilisation en pratique courante devront faire la preuve d’une meilleure adhésion au traitement et évaluer la qualité de vie des patients. L’éducation thérapeutique reste importante, notamment afin de ne pas avoir de complications locales au point d’injection.

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