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L'œil du médecin d'adolescents

Publié le 16 mai 2022Lecture 8 min

Cécile, 14 ans, ne dort plus

Constance de LUSSAC, Carole HARBULOT, Marianna MARIN, Centre hospitalier Rives-de-Seine, Neuilly-sur-Seine

Cette rubrique consacrée à la médecine de l’adolescent est l’occasion de présenter une pratique intégrative et systémique centrée sur l’adolescent mais explorant en même temps les interactions avec la famille, les pairs, les soignants. Le corps de l’adolescent y prend une place importante. Cette rubrique a vocation à accueillir les observations d’internes, chefs de clinique, assistants, pédiatres ou médecins d’adolescents qui le souhaitent, en collaboration avec le responsable (renaud.detournemire@aphp.fr). Aujourd’hui, une observation clinique commentée.

Cécile, 14 ans, est hospitalisée dans notre unité de médecine de l’adolescent suite à une intoxication médicamenteuse volontaire. Cécile est en 5e et présente depuis plusieurs mois un syndrome anxio-dépressif avec plusieurs épisodes de scarifications. Durant l’hospitalisation, elle nous fait part d’une asthénie importante depuis plusieurs mois, ainsi que des troubles du sommeil. Ces troubles du sommeil comprennent des difficultés d’endormissement et de nombreux réveils nocturnes. Cécile remplit sur 3 jours un agenda du sommeil qui objective ses insomnies. L’enjeu est ici double : associer une prise en charge psychologique mais aussi un accompagnement de ses troubles du sommeil, qui sont en lien bidirectionnel avec sa souffrance psychique. Les troubles du sommeil Ils sont fréquents à l’adolescence, puisqu’au moins 30 à 40 % des adolescents déclarent en ressentir. Pourtant, ils représentent rarement un motif de consultation, souvent jugés uniquement secondaires à la « culture adolescente ». La durée de sommeil suffisante varie d’une personne à l’autre mais diminue de façon physiologique avec l’âge. Un temps de sommeil suffisant contribue aux transformations organiques – croissance –, à l’équilibre psychosocial et la consolidation de la mémoire pendant cette période(1) (tableau). La physiologie du sommeil est profondément modifiée à l’adolescence en comparaison à la période prépubertaire : raccourcissement de la durée générale du sommeil, passant de 9 heures à 7 heures en moyenne les jours de semaine entre 12 et 18 ans ; diminution du temps de sommeil lent profond ; difficultés d’endormissement, donc d’un retard du coucher, favorisé de plus par de nouvelles habitudes sociales associées à un pic de mélatonine tardif ; réveil spontané plus tardif ; réapparition épisodique des siestes avec une tendance à la somnolence diurne ; autonomie vis-à-vis de ses heures de coucher ; sensibilité à la pression du groupe ; attrait pour les activités stimulantes en fin de soirée (sorties, boissons stimulantes, internet, etc.) ; pression scolaire, préoccupations sentimentales. Le trouble du sommeil le plus fréquent chez l’adolescent est le retard de phase. On estime sa prévalence entre 7 et 16 % à cet âge. Il s’agit d’un trouble circadien du sommeil caractérisé par un décalage du cycle veille-sommeil de plus de 2 heures par rapport à l’horaire conventionnel, associé à de fortes répercussions diurnes. Le sommeil est généralement de bonne qualité après la phase d’endormissement. Il entraîne une diminution de la durée de sommeil en semaine, avec des horaires de coucher de plus en plus tardifs associés à un lever précoce (contrainte scolaire). La dette de sommeil s’accumule et entraîne un « rattrapage » avec des réveils tardifs le week-end(1). Parmi les facteurs prédisposant au syndrome de retard de phase, des facteurs génétiques avec une prédisposition familiale ont été décrits dans 40 % des cas, ainsi que des troubles psychologiques. Comment dépister les troubles du sommeil de l’adolescent ? Il est nécessaire de reprendre l’anamnèse globale avec l’adolescent seul(2) : afin de connaître son environnement psycho-social. L’utilisation d’un outil comme le HEEADSSS (Home, Education, Eating Activities, Drugs, Sexuality, Suicide/Depression, Safety) est conseillée(3) ; de rechercher un trouble de l’hygiène du sommeil : heure du coucher, utilisation des écrans, etc.; une consommations de toxiques : alcool, cannabis (parfois utilisé comme anxiolytique) ; et de réaliser une évaluation psychologique. Il est important de ne pas oublier qu’un trouble du sommeil peut aussi être en lien avec une maladie organique ou psychiatrique : les maladies infectieuses et/ou inflammatoires, les troubles digestifs, les troubles urinaires (énurésie, polyurie dont le diabète) ; les causes psychiatriques qui peuvent être intriquées (cause et conséquence) avec les troubles du sommeil : dépression, troubles bipolaires, troubles de la personnalité, phobies, addictions, etc. Outils de dépistage L’agenda du sommeil : il se remplit le matin au réveil (pas au cours de la nuit afin de ne pas renforcer le trouble !). Il est complété le soir afin de repérer les épisodes de somnolence durant la journée. Il peut être utile dans le dépistage mais aussi dans le suivi des troubles du sommeil de l’adolescent. Il est nécessaire d’avoir une bonne adhésion du patient à cet outil. On peut le télécharger sur le site du réseau Morphée. L’actimétrie peut être utile en cas d’oubli ou de difficultés à compléter l’agenda du sommeil : il s’agit d’un appareil porté au poignet qui enregistre les mouvements du membre supérieur et stocke en mémoire le nombre de mouvements par unité de temps. Il permet d’estimer la qualité et la quantité de sommeil durant une nuit. Il est aussi possible d’utiliser l’échelle de somnolence d’Epworth adaptée aux enfants pour dépister une dette de sommeil avec une estimation de la somnolence diurne. Prise en charge La prise en charge des troubles du sommeil vise à prévenir les conséquences psychologiques et sociales sur l’adolescent. Tout au long du suivi, les entretiens et l’agenda du sommeil permettront d’évaluer l’évolution de la plainte subjective. Pendant l’entretien, le praticien doit travailler la motivation du jeune à adhérer au projet et à accepter les changements de son hygiène de vie, allant souvent à l’encontre des habitudes et de la pression sociale existante. La psycho-éducation de l’adolescent est la première étape de la prise en charge en essayant d’instaurer avec le jeune une « routine du sommeil »(4) : une heure de coucher et d’éveil régulières (éviter les réveils trop tardifs le week-end) ; se lever quand on est réveillé ; un lieu de sommeil sombre et calme afin de favoriser l’arrivée du pic de mélatonine ; éviter d’avoir faim et de manger juste avant l’heure du coucher ; il est possible d’utiliser des techniques de relaxation avant le coucher ; évitement de la caféine, de l’alcool et de la nicotine avant le coucher ; évitement des ordinateurs et des jeux vidéo, et préférer au maximum la lecture. Les approches psychologiques et comportementales (TCC) sont efficaces et doivent être proposées. Le travail cognitif peut permettre de modifier les facteurs perpétuant l’insomnie chronique : facteurs comportementaux, croyances et attentes erronées, et facteurs psychologiques. Elles peuvent être associées à une thérapie parents-enfant en cas de problématique relationnelle intra- familiale. La chronothérapie et la luminothérapie(5): la lumière est le plus fort synchroniseur de nos rythmes biologiques. La vie citadine avec la lumière artificielle a un impact important sur le rythme circadien, notamment en hiver. L’utilisation de la lumière, particulièrement la lumière naturelle ou à défaut une lampe de luminothérapie, après le réveil et, à l’inverse, en baissant la luminosité le soir peut avoir un effet bénéfique sur notre horloge interne. L‘élément central de toutes ces prises en charges n’en reste pas moins une modification comportementale profonde nécessitant une adhésion pleine et entière de l’adolescent à sa prise en charge. Prise en charge médicamenteuse La place du médicament dans la prise en charge des troubles du sommeil reste, en théorie, très limitée. Les antihistaminiques H1 de première génération (hydroxyzine, alimémazine)(6) : Ces molécules ont l’AMM dès l’âge de 3 ans pour l’hydroxyzine ou 6 ans (ou plus de 20 kg) pour l’alimémazine. Utilisés pour leurs effets sédatifs elles sont associés à une tolérance acceptable avec un risque d’accoutumance et de dépendance faible. Elles sont à prescrire en traitement de courte durée et en deuxième intention des insomnies d’endormissement liées à un état d’hyperéveil (vigilance accrue en rapport avec des manifestations anxieuses au coucher), après échec des mesures comportementales seules. La mélatonine : - le Circardin® (mélatonine 2 mg LP) ne dispose d’une AMM que chez l’adulte de 55 ans et plus(7) ; - le Slenyto®(8) se présente sous forme de comprimés à libération prolongée, dosés à 1 mg ou à 5 mg de mélatonine. Sa forme galénique (comprimé très petit) le rend facile à avaler dès l’âge de 2 ans. Sletyno® est indiqué chez les enfants de 2 à 18 ans présentant un trouble du spectre autistique (TSA) et/ou un syndrome de Smith-Magenis, lorsque les mesures d’hygiène du sommeil ont été insuffisantes. Il est parfois utilisé hors AMM en cas de troubles du sommeil chez l’enfant et l’adolescent. Il n’est donc pas remboursé ; - la mélatonine à libération immédiate. Ce traitement peut relever de préparations magistrales en officine ou à l’hôpital. On en trouve également en grande surface ou en pharmacie, dans des compléments alimentaires (mélatonine autorisée à moins de 2 mg/dose), souvent associé à de la phytothérapie. Un traitement par mélatonine à libération immédiate peut être envisagé dans le retard de phase si le manque de sommeil a d’importantes répercussions. Conclusion Les troubles du sommeil trouvent leur origine dans le développement neurophysiologique et psychoaffectif de l’enfant. Ils ont un impact important sur le quotidien de l’enfant, peuvent entraîner des conflits au sein de la famille et des difficultés de concentration. Une plainte autour du sommeil ne doit jamais être banalisée chez l’adolescent. L’insomnie est un des quatre thèmes du BITS test qui alerte sur la nécessité de poser la question des idées suicidaires. Il est important de dépister les troubles du sommeil et de proposer des règles d’hygiène simples permettant, dans la grande majorité des cas, une résolution des troubles. Les insomnies résistantes à la prise en charge comportementale peuvent poser des difficultés du fait du faible nombre de traitements ayant l’AMM dans cette indication. Seul l’hydroxyzine et l’alimémazine ont une AMM en deuxième intention dans les troubles de l’endormissement de l’enfant. Le Slenyto® parfois utilisé ne dispose pas aujourd’hui d’AMM hors indications très restrictives.

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