Publié le 11 déc 2021Lecture 7 min
Comment appréhender une consultation pour un micropénis ?
Jean-Vital DE MONLÉON, Pédiatre, CHU de Dijon, anthropologue, membre du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE)
Par-delà la recherche d’une cause médicale et endocrinologique du micropénis, Jean-Vital de Monléon propose dans cet article une approche plus anthropologique que pédiatrique pour démystifier une crainte masculine ancestrale amplifiée par internet.
Un pénis de petite taille à la naissance ou un peu plus tard dans l’enfance ou l’adolescence peut être la conséquence de déficit hormonal ou d’autres anomalies. Il est nécessaire que ces anomalies bien réelles soient prises en charge par des équipes spécialisées. Les causes, la conduite à tenir et les traitements du micropénis, ne vous seront pas détaillés ici. De nombreux articles existent déjà à ce sujet(1). Le but de cet article est d’aider à accueillir en consultation de pédiatrie générale des jeunes patients (et leurs parents) face à une crainte mythique de ne pas être assez « performant », et d’être anormal pour une partie essentielle de son anatomie.
Depuis une dizaine d’années, les consultations pour micropénis se multiplient, la plupart se concluent (ou devraient se conclure) sans bilan paraclinique, ni mise en place d’un suivi, car il s’agit avant tout du diagnostic différentiel de pénis enfoui, ou de craintes non justifiées.
Dans de nombreuses sociétés, la virilité masculine est mise en avant : l’homme performant est celui qui a beaucoup d’enfants, qui possède donc la capacité d’être efficace sur le plan sexuel et d’avoir des organes génitaux lui permettant de grandes prouesses. Ce n’est pas un hasard si l’homme qui ne peut pas avoir d’érection efficace est qualifié d’impuissant. La puissance appartient aux grands conquérants, tel Attila, père de plusieurs centaines d’enfants.
En cas de conflit, il est habituel de se moquer de la virilité imparfaite de l’autre, et de prouver la sienne. Les conséquences en sont tragiques comme le témoignent l’utilisation du viol dans de nombreuses guerres, plus anodin mais pouvant être source de traumatisme : dans les cours de récréation ou les salles de sport des collèges, parmi les injures les plus offensantes et dévalorisantes, il y a celles qui minimisent la taille du sexe de l’enfant harcelé. Alors qu’il y a moins de moqueries sur les petits nez ou les petits doigts, pourtant bien plus visibles. Socialement, la petite taille du sexe est bien plus qu’une simple variabilité par rapport à la moyenne.
La peur d’avoir un « petit zizi » est une peur ancestrale. L’augmentation de cette crainte est probablement l’accès facile à de nombreux moyens médiatiques, pas toujours très fiables, par le biais de téléphones de plus en plus performants et qui quittent de moins en moins souvent la main de nos teenagers.
Le « petit zizi » sur Google
Mettons-nous, à la place de notre jeune patient adolescent ou de sa maman (les mamans s’inquiètent souvent plus que les papas) et interrogeons le moteur de recherche universel et incontournable en tapant ce simple mot : micropénis.
L’analyse des 100 premières références recensées retrouve :
trente « sites de santé » à l’usage du grand public ;
vingt sites de presse non spécialisée ;
vingt sites médicaux destinés aux professionnels ;
sept sites généralistes, parmi les plus regardés sur internet, avec à la toute première place de la recherche : l’indispensable Wikipedia, puis le site de traduction Reverso (dont le sous-titre : « micropénis : traduction en français, exemples anglais », réjouira tout amateur de rugby) ;
plus surprenant, neuf sites d’information destinés au public féminin évoquent les micropénis avec deux catégories d’articles bien distinctes : « J’ai peur que mon fils ait un micropénis » et « avoir un partenaire avec un micropénis », avec un discours plutôt rassurant pour ce deuxième item, mettant en avant les avantages de cette particularité ;
pour se rapprocher de cette dernière proposition, dix sites évoluent dans un espace flou entre les « conseils sexo » et la franche pornographie ;
trois sites commerciaux proposent des produits en rapport avec le terme micropénis, qu’il s’agisse d’un « allongeur », d’un carnet de notes à offrir, de très bon goût et qui conviendra parfaitement à un enterrement de vie de garçon, avec une inscription bien visible sur la première page : « Vivre avec un micropénis » et enfin d’un disque d’occasion d’un groupe punk dont le nom, Micropénis, explique peut-être pourquoi ils sont tombés dans l’oubli ! ;
enfin je ne sais pas où classer le dernier site : destiné aux amateurs de Scrabble® qui affirme que ce mot de 10 lettres est un mot valide pour ce jeu tant apprécié des vieilles dames.
À noter que pour cinq de ces sites (de presse générale), le sujet est la taille du pénis d’Adolf Hitler annoncée comme insuffisante. Et deux autres articles évoquent les menaces subies par une sculptrice qui avait représenté Donald Trump avec un micropénis. Il est donc toujours de bonne guerre d’affubler l’ennemi d’un « petit zizi ». Tout aussi effrayant pour l’adolescent qui s’inquiète de l’aspect de ses organes génitaux, deux sites (issus de tabloïds) nous gratifient du gros titre : « Il hypothèque sa maison pour allonger son pénis ! ». Cette longue litanie fait sourire, mais, même présentée avec humour, elle doit faire prendre conscience de l’image d’un micropénis dans notre société et de l’inquiétude d’un adolescent qui s’interroge tout à la fois sur sa normalité et sa sexualité qu’il n’a pas encore débutée, et qui va poser la question au site qui a réponse à tout.
Plus encore que la recherche d’informations, parmi les « méfaits de la toile », se rajoute l’accès d’une facilité déconcertante à la pornographie. Ces sites qui exposent des pratiques plus ou moins saugrenues, exécutées par des acteurs dont les mensurations tiennent plus de la bête de foire que d’une publication d’auxologie, sont malheureusement, bien trop souvent, les seules sources d’éducation sexuelle et sentimentale des adolescents et préadolescents. La comparaison peut faire sourire, mais imaginez un adolescent dont la seule expérience de course à pied serait d’avoir vu la finale des Jeux olympiques, il serait persuadé de ne pas savoir courir, d’être impotent, handicapé. Or, si nos ados savent qu’Usain Bolt est exceptionnel, ils ignorent que Rocco l’est aussi ! C’est un peu cru de l’annoncer ainsi, le but n’est pas de faire une paillardise, mais ceci est exprimé par nos patients pour peu qu’on leur demande « Pourquoi penses-tu que ton sexe est petit ? ».
Une consultation toute en bienveillance
Après avoir compris leurs craintes, il est, bien entendu, nécessaire d’examiner les organes génitaux des enfants qui viennent en consultation pour cette raison. Il est d’ailleurs nécessaire de rappeler que l’examen des organes génitaux (chez les garçons et les filles) doit être systématique lors de l’examen pédiatrique, non seulement pour découvrir un micropénis (qui sera finalement très rare), mais surtout pour découvrir d’autres malformations bien plus fréquentes (comme les cryptorchidies), voire des signes de maltraitance (qui seront toujours trop fréquents).
Pour examiner les organes génitaux d’un enfant et dédramatiser cet examen essentiel, il est nécessaire que les parents soient présents en leur demandant gentiment de détourner le regard si l’adolescent exprime de la pudeur. Il est aussi important de détendre l’atmosphère, d’expliquer que de la même façon que le docteur regarde le nez, l’intérieur des oreilles, c’est aussi son métier de regarder le « zizi » pour voir si tout va bien, et que s’il palpe le ventre, il doit aussi palper cette région pour voir si les « coucougnettes » (ce terme a l’avantage de faire sourire les enfants et les adolescents sans être vulgaire) sont bien là.
L’examen permettra d’éliminer les diagnostics différentiels, la plupart des consultations pour micropénis, se concluent par le diagnostic de pénis enfoui. Il est donc important d’apprécier le volume du panicule adipeux sus-pubien, de le montrer à l’adolescent (ou à ses parents pour un enfant plus jeune) afin d’expliquer que le pénis de taille normale « se cache » à l’intérieur. De plus, en cas de cryptorchidie ou plus fréquemment de testicules ascenseurs, le scrotum est vide et n’est donc pas projeté vers l’avant et le bas, contribuant ainsi à un aspect de pénis enfoui.
Si tout médecin de l’enfance doit être un obsessionnel des courbes de croissance pour la taille, le poids et le périmètre crânien, il ne faut pas utiliser trop rapidement et systématiquement, pour le pénis, différents moyens de mesures (mètre de couturière, table ou courbe de normalité) car cela majore l’angoisse de ne pas être normal. Il faut effectuer des mesures quand les diagnostics différentiels ont été éliminés et si le pénis semble vraiment petit.
Si les parents sont bien présents pendant l’examen clinique, il vaut mieux leur demander de sortir pour préciser l’entretien, notamment avec un grand adolescent, sur ses inquiétudes, ses pratiques sexuelles et ses sources d’information, qu’il évoquera plus facilement sans la présence bienveillante parentale.
Il est tout aussi important de rappeler aux parents que l’éducation sexuelle (mais aussi sentimentale) ne doit pas être confiée au seul web. À l’heure de la multiplication des informations, celle-ci nécessite d’être orientée. Or, une grande partie de ce que peuvent voir nos jeunes sur l’écran de l’ordinateur ou de leur téléphone est fort éloignée de la réalité.
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