Publié le 11 déc 2021Lecture 4 min
Douleurs abdominales récidivantes : un ventre de cristal !
Marc SZNADJER, Paris
Rania est une enfant de 4 ans, conduite aux urgences pédiatriques pour pleurs fréquents, troubles du sommeil en raison de douleurs abdominales. C’est une enfant irakienne, en France depuis la naissance.
On retrouve dans ses antécédents, deux pneumopathies dont une pleuro-pneumopathie à 15 mois et une seconde à 26 mois, pour lesquelles elle a été hospitalisée. Aucun agent infectieux n’a été mis en évidence. Un désordre immunitaire a été éliminé à l’issue de ces deux épisodes. Sa courbe staturopondérale est régulière à -1 DS, conforme aux tailles génétiques. Il n’y a pas de consanguinité. Rania a un frère de 2 ans présentant un retard moteur et un retard statural à début anténatal, non syndromique, suivi en consultation à l’hôpital Ambroise Paré. Depuis un an, elle présente des douleurs abdominales fréquentes, avec vomissements intermittents et selles molles, sans retentissement sur le poids ou la taille. Ces douleurs semblent survenir à l’issue d’épisodes infectieux ORL, sans fièvre, sans éruption cutanée. Une bandelette urinaire effectuée à deux reprises est normale. Il n’y a ni polyurie ni brûlures mictionnelles. Les examens biologiques demandés en ville notent une NFS et une CRP normales, une ferritine normale, des anticorps antitransglutaminases négatifs.
L’examen de l’abdomen aux urgences est globalement sensible, mais la palpation est plus douloureuse dans l’hypocondre droit, sans défense. Le foie et la rate sont normaux. Il n’y a ni éruption ni douleurs articulaires. La bandelette urinaire est négative. L’échographie abdominale ne montre aucun signe en faveur d’une invagination intestinale. L’appendice est bien vu et normal. Une dilatation pyélocalicielle et de la partie proximale de l’uretère droit est identifiée.
Un uroscan effectué dans la foulée montre la présence de 4 lithiases hétérogènes et 1 lithiase calicielle à droite et une minime à gauche. Les examens biologiques montrent une créatinine à 96 mmol/l, un ionogramme sanguin normal, une calcémie à 2,46 mol/l. Un bilan métabolique complet sanguin et urinaire va permettre de mieux comprendre l’origine de ces lithiases urinaires chez une enfant de 4 ans. Une cystinurie élevée (> 250 mg/j), ainsi que l’étude de la cristallurie qui va confirmer la présence de cristaux de cystine permettent de retenir le diagnostic de cystinurie.
La cystinurie de l’enfant : en savoir plus
La prévalence de la cystinurie est très variable selon l’origine ethnique, allant de 1/2 500 dans la population juive libanaise à 1/100 000 en Suède. La prévalence moyenne globale est estimée à 1/7 000. La transmission est récessive autosomique.
La cystinurie se manifeste à tout âge, mais les coliques néphrétiques apparaissent généralement au cours des deux premières décades, avec un âge moyen de début à 15 ans. L’apparition de calculs rénaux avant 3 ans est plus fréquente chez les garçons. Les calculs sont bilatéraux dans plus de 75 % des cas et récidivent dans plus de 60 %, avec une plus grande fréquence chez les hommes. L’insuffisance rénale est rare.
La cystinurie est due à des mutations dans les gènes SLC3A1 (2p21) et SLC7A9 (19q13.11). La classification des patients repose désormais sur des critères génétiques : les cystinuries de type A sont respectivement associées à des mutations des gènes SLC3A1. Les hétérozygotes ont un risque plus élevé d’avoir des calculs urinaires comparativement à la population générale.
Le diagnostic repose sur l’examen physique, la détection des calculs de cystine et le dosage de la cystine excrétée dans l’urine, l’analyse révèle une excrétion urinaire de cystine > 300-400 mg/j.
La détection d’un côlon hyper-échogène lors d’une échographie fœtale de routine à 36 semaines de gestation suggère une cystinurie avec une valeur prédictive positive élevée (89 %). Dans tous les cas, le diagnostic doit être confirmé après la naissance.
Prise en charge et traitement
Boissons abondantes permettant une diurèse de l’ordre de 2 l/m2 chez l’enfant, jour et nuit (période où la concentration des urines est maximum et donc le risque de formation de lithiase également).
Alcaliniser les urines jusqu’à un pH de 7 à 7,5.
Réduire la consommation de protides :
– la méthionine, précurseur de la cystine, ne peut pas être complètement supprimée, car il s’agit d’un acide aminé essentiel ;
– les aliments les plus riches sont les œufs, le fromage (parmesan, gruyère), la viande, le poisson.
Réduire la consommation de sel : corrélation entre natriurèse et excrétion urinaire de cystine, sans doute liée à une réabsorption couplée des acides aminés et du sodium. Lorsque malgré toutes ces mesures, la cystinurie dépasse le seuil de cristallisation, il faut recourir à l’un des deux principaux médicaments la D-pénicillamine (Trolovol®) et la tiopronine (Acadione®). Ces médicaments ont des effets secondaires, en particulier cutanés (éruptions, démangeaisons), digestifs, hématologiques (surveillance de la numération formule sanguine) et rénaux (surveillance régulière de la protéinurie)
Pronostic
Le pronostic est bon. Cependant, une insuffisance rénale peut très rarement apparaître en cas de non-observance du traitement par le patient, de récurrence des calculs et d’interventions réitérées (Orphanet).
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