L'œil du médecin d'adolescents
Publié le 04 nov 2021Lecture 6 min
Gabin, 15 ans, présente des céphalées brutales
T. SEMENOFF, A. CARLIER GONOD, Unité de pédiatrie adolescents, Centre hospitalier intercommunal de Créteil
Gabin se présente aux urgences pédiatriques à 15 h. Depuis 13 h 30, il se plaint de céphalées diffuses, apparues de manière brutale et intense, d’emblée maximale, non calmées par la prise de paracétamol à domicile.
Gabin n’a aucun antécédent médical. C’est la première fois que ces symptômes ont lieu et il n’y a aucune pathologie neurologique dans la famille. Un élément déclencheur supposé est l’ablation des 4 dents de sagesse le matin même, à 10 h 30, sous anesthésie locale. Gabin n’est pas fébrile à l’arrivée aux urgences, mais les douleurs persistent. Il est rapidement pris en charge par l’équipe médicale, qui ne retrouve aucune anomalie à l’examen clinique, en particulier un examen neurologique normal. La douleur est cotée à 7/10 sur l’échelle numérique (EN).
Les examens biologiques ne retrouvent pas de syndrome inflammatoire, l’hémogramme et la numération plaquettaire sont normaux. Un scanner cérébral est réalisé avec et sans injection de produit de contraste : pas de signe en faveur d’une thrombose veineuse, pas d’anomalie du parenchyme cérébral, pas de prise de contraste anormale ; les sinus de la face sont libres. Une ponction lombaire est réalisée : pas d’hypercellularité, biochimie normale, pas de germe isolé au direct. Une recherche de toxiques urinaires revient positive aux cannabinoïdes. Les autres recherches de toxiques sanguins et urinaires sont négatives (alcool, tricycliques, benzodiazépines, opiacés, cocaïne et barbituriques).
Le bilan clinique et paraclinique semble rassurant, mais Gabin reste douloureux, malgré les différentes lignes d’antalgiques administrés : ibuprofène, nalbuphine, néfopam. Finalement, c’est l’hydratation parentérale par polyionique glucosé qui semble être la plus efficace sur les douleurs. Une poursuite des soins et de la surveillance sont proposées en unité de médecine de l’adolescent.
Pour écarter les dernières causes évidentes de céphalées dans ce contexte, un avis stomatologique est demandé, lequel infirme la possibilité d’une complication aiguë directement liée à l’opération effectuée la veille.
Quels examens complémentaires devant une céphalée en « coup de tonnerre » ?
Toute céphalée brutale, c’est-à-dire maximale en moins d’une heure, doit faire suspecter une cause vasculaire et en premier lieu une hémorragie sous-arachnoïdienne(1) (HSA). L’imagerie cérébrale injectée (IRM ou à défaut le scanner) est l’examen de référence en urgence. Il faut penser élargir l’exploration aux troncs supra-aortiques devant toute suspicion de dissection carotidienne (notion de traumatisme récent, cervicalgie, signe de Claude Bernard-Horner). Si l’imagerie ne permet pas d’obtenir un diagnostic, une ponction lombaire doit être faite, toujours à la recherche d’arguments pour une HSA ou encore une méningite de présentation atypique. Une intoxication (cyclines, vit. A) ou une hypertension intracrânienne (HTIC) « bénigne » doit être recherchée. Le risque d’atrophie optique n’est pas nul et ne justifie pas cette appellation(2).
Une fois hospitalisé, Gabin décrit à l’équipe soignante du service une symptomatologie qui a un peu évolué : il s’agit maintenant de douleurs à type de tension intracrânienne modérée, associées à une anxiété importante. Le simple fait d’ouvrir la fenêtre où de l’accompagner à l’extérieur du bâtiment fait disparaître les symptômes. Les céphalées réapparaissent en salves les deux premiers jours d’hospitalisation et sont calmées par la prise ponctuelle de tramadol et d’hydroxyzine.
Ce séjour est l’occasion de faire le point sur l’état psychique du jeune et sur ses consommations de toxiques. Gabin confirme fumer régulièrement du cannabis, à visée anxiolytique principalement, la dernière prise remonte à la veille au soir, en amont du geste chirurgical prévu. Il nous informe fumer davantage depuis quelques semaines et se sent stressé au lycée en raison de conflits assez violents entre d’autres jeunes et ses amis. Il ne sait pas d’où viennent ses céphalées, mais pense lui-même qu’elles sont entretenues par son anxiété. Le contexte et l’évolution inhabituelle des douleurs nous amènent à émettre l’hypothèse d’une somatisation de ses tensions intrapsychiques. Ce diagnostic est délicat à poser, car il faut être certain d’avoir éliminé une cause organique et il est souvent peu accepté par l’adolescent et sa famille. Une explication complète et un accompagnement bienveillant permettent une meilleure adhésion à la prise en charge.
Gabin est finalement demandeur d’un suivi psychologique pour son anxiété, mais ne ressent pas le besoin d’aide pour arrêter sa consommation de cannabis. Les céphalées ayant presque disparu et aucune crise douloureuse n’ayant eu lieu sur la journée, Gabin rentre à domicile avec une prescription d’antalgique à la demande et une consultation avec une psychologue au Centre médico-psychologique (CMP) pour adolescents de son secteur.
Quelques semaines après le début de son suivi au CMP, c’est sa psychiatre qui nous contacte. Elle a pu rencontrer Gabin, ses céphalées s’atténuent, mais quelques crises apparaissent de temps en temps. Son état psychique s’améliore et ne saurait expliquer à lui seul les symptômes de cet adolescent. Elle pense à un syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible (SVCR). On demande alors une IRM cérébrale injectée, plus sensible, qui n’objective pas d’anomalie, notamment pas d’arguments indirects en faveur d’un SVCR sous réserve d’un examen (comme souvent) artéfacté par le matériel orthodontique.
Un peu plus de 2 mois après l’épisode initial, Gabin est revu en consultation post-hospitalisation. Il ne présente plus de céphalées et a pu arrêter sa consommation de cannabis. Le suivi va se poursuivre au CMP en ambulatoire.
Le SVCR en bref
Le syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible (SVCR) touche plutôt les adultes avec un âge moyen à 45 ans et une légère prédominance féminine, mais peut toucher aussi les patients plus jeunes, notamment les adolescents(3). Il est dû à une vasoconstriction des artères cérébrales, réversible en 3 mois. Les céphalées se déclenchent « en coup de tonnerre » et durent plusieurs minutes à plusieurs heures, se répétant volontiers sur quelques jours à plusieurs semaines en salves(4). Elles sont isolées dans 70-80 % des cas, mais parfois associées à des crises comitiales ou déficits focaux. Le SVCR peut se compliquer d’hémorragie (sous-arachnoïdale ou parenchymateuse) ou d’infarctus cérébral, mais le scanner ou l’IRM sont le plus souvent normaux surtout dans la phase aiguë. Il est donc important de réaliser une angiographie cérébrale (angio-TDM ou ARM par exemple) quelques semaines après si l’imagerie initiale est normale. Il existe une forte association entre le SVCR et la consommation de cannabis(5,6). En effet, dans plus de la moitié des cas, le SVCR survient après une exposition à des substances vaso-actives comme le cannabis, les antidépresseurs sérotoninergiques, les décongestionnants nasaux et les triptans ou durant le post-partum. Le traitement repose sur le repos, l’arrêt des substances vaso-actives ± la nimodipine.
L’adolescence et le cannabis
La consommation de substances toxiques est un sujet important à aborder avec l’adolescent qui identifie rarement sa consommation comme problématique et ne consultera que rarement spontanément pour ce motif. Selon le projet EnCLASS réalisé en 2018(7), l’expérimentation de cannabis concerne 33,1 % des lycéens avec une prévalence de consommation régulière, soit > 10 fois par mois, à 7,8 % des lycéens en terminale. La teneur moyenne en THC a fortement augmenté ces dernières années(8,9), ce qui implique une plus grande attention à porter aux complications liées à la consommation de cannabis aujourd’hui.
Le SVCR en est une, rare ou souvent sous-diagnostiquée, car de description récente(10). Ne pas méconnaître une consommation de toxiques chez l’adolescent, dépistée à travers un questionnaire(11) par exemple, a un impact direct sur la prise en charge globale de celui-ci, même si ses symptômes ne sont ou ne semblent pas être en lien avec son motif de consultation. Quel que soit le motif d’entretien avec un adolescent, s’il ou elle est consommateur ou consommatrice de toxiques, il ne faut pas hésiter à engager une prise en charge en commençant par une explication bienveillante des conséquences de cette consommation et l’adresser, par exemple, à une Consultation Jeunes Consommateurs(12).
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