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Gastro-entérologie

Publié le 03 mar 2021Lecture 8 min

Diarrhée et constipation : les régimes sont-ils utiles ou inutiles ?

Julie LEMALE, Service de nutrition et gastro-entérologie pédiatriques, hôpital Armand-Trousseau-GH Est-Parisien (AP-HP), Paris

La prise en charge des troubles du transit s’accompagne souvent de modifications du régime alimentaire chez l’adulte comme chez l’enfant. Ces pratiques trouventelles une justification en pédiatrie, reposent-elles sur des arguments scientifiques ou sont-elles des croyances empiriques véhiculées de génération en génération ? Les réponses de Julie Lemale (Service de nutrition et gastro-entérologie pédiatriques, hôpital Armand-Trousseau, Paris).

Régimes spécifiques et diarrhée aiguë Le traitement de la diarrhée aiguë doit impérativement comporter l’administration d’un soluté de réhydratation orale (SRO) pour éviter une déshydratation, principal risque chez le jeune enfant(1). Ce dernier s’administre ad libitum en petites quantités toutes les 20 minutes à la phase aiguë de la réhydratation. Les SRO ont une osmolarité spécifique se situant aux alentours de 250 mOsm/l. Ils contiennent des glucides (en moyenne 25 g/l), du sel (en moyenne 60 mmol/l), du potassium (en moyenne 20 mmol/l). Seuls les produits commercialisés en pharmacie doivent être administrés. Les SRO « fait maison » ne sont pas adaptés. Le Coca-Cola® ne doit pas être utilisé en raison de son hyperosmolarité, de son absence complète de potassium et quasi complète de sodium. Pour les pays en voie de développement, l’OMS valide une formule d’eau de riz préparée avec du sel. La composition de ces préparations est cependant très imprécise et dépourvue de potassium. La réalimentation est une phase importante de la prise en charge. Chez le nourrisson allaité, l’allaitement ne doit pas être interrompu. Chez les nourrissons alimentés avec un lait infantile, la réalimentation doit être précoce, dans les 4 à 6 heures, avec le lait habituellement utilisé. Contrairement à ce qui était recommandé dans les années 2000, les hydrolysats poussés de protéine de lait de vache ne sont plus systématiques chez les nourrissons de moins de 3 mois. Utilisation d’un lait sans lactose La prescription d’un lait infantile sans lactose est fréquente en cas de diarrhée aiguë, mais celle-ci at-elle un intérêt ? Normalement, l’activité lactasique augmente avec la maturation de l’entérocyte. En cas de diarrhée aiguë, il existe une destruction entérocytaire, les entérocytes immatures devenant alors plus nombreux et conduisant à une diminution de l’activité lactasique. L’intérêt d’un lait sans lactose a été évalué dans une métaanalyse, la durée de la diarrhée, évaluée dans 16 études, était diminuée en moyenne de 18 h. Cependant, il existait un faible niveau de preuve car les populations étudiées étaient très hétérogènes et il s’agissait essentiellement de patients hospitalisés avec une diarrhée sévère. En isolant les 2 études concernant des enfants suivis en ambulatoire, l’administration d’un lait sans lactose ou non ne modifiait pas la durée de la diarrhée. Ainsi, les recommandations actuelles sont d’administrer uniquement un lait sans lactose si la diarrhée est jugée sévère par le pédiatre, si elle entraîne une déshydratation avec la nécessité d’une hospitalisation ou si celleci est supérieure à 7 jours. Cette administration du lait sans lactose doit être limitée dans le temps, en général à 8 jours, car l’hypolactasie est transitoire. Le lait antérieur peut être repris sans transition. Aliments spécifiques et diarrhée aiguë Des aliments tels que les carottes, les bananes, les pommes, les myrtilles, les coings sont souvent donnés par la famille en cas de diarrhée aiguë. Ces aliments sont riches en pectines, des substances végétales de type polysaccharides, qui augmentent le temps de transit orocæcal du fait de leur effet adsorbant. Toutefois, si visuellement les selles sont moins liquides, le risque de déshydratation de l’enfant est le même. Il n’y donc pas lieu de privilégier ces aliments qui ont l’effet d’une éponge. De même, les fruits et légumes crus, ainsi que les jus de fruits consommés avec modération, ne doivent pas être supprimés de l’alimentation. Le riz est souvent un aliment privilégié en cas de diarrhée aiguë. Des études chez l’animal ont montré que des composés du riz amélioraient la réaction immunitaire intestinale de type Th1 et avait un effet inhibiteur sur les canaux chlore CFTR permettant une diminution des sécrétions digestives(2). De plus, le riz contient également des polymères glucidiques (amylopectines et maltodextrines). Ainsi au même titre que les aliments précédemment cités, les pectines ont un rôle absorbant. De plus, la libération progressive intra-luminale du glucose favoriserait l’absorption du sel et de l’eau via le cotransporteur sodium/glucose (effet absorbant). Mais encore une fois, même si les selles paraissent moins liquides, le riz ne limite pas le risque de déshydratation. En pratique, en cas de diarrhée aiguë, les régimes spécifiques limitant ou favorisant certains aliments sont inutiles. Il n’existe aucune étude ayant démontré leur efficacité. Ils peuvent par ailleurs être dangereux, car même si l’aspect des selles est moins liquide, le risque de déshydratation est identique. De plus, l’administration prolongée de tels régimes peut conduire à un déséquilibre de l’alimentation. La seule mesure diététique à évaluer est la mise en place d’un lait sans lactose en cas de diarrhée sévère ou prolongée. Régimes spécifiques et constipation La constipation est très fréquente en pédiatrie, sa prévalence est évaluée à 14 % chez l’enfant. En 2016, la constipation a été définie chez le nourrisson et chez l’enfant par les critères de ROME IV (encadré)(3). Son diagnostic est clinique. Le traitement de la constipation comprend 2 étapes(4) : une désimpaction orale avec du PEG ± électrolytes (1 à 1,5 g/kg/j) ou rectale si impaction rectale (lavements) pendant 3 à 6 jours ; un traitement d’entretien avec du lactulose (1-2 g/kg/j) ou préférentiellement du PEG 3 350 ou 4 000 (0,2-0,8 g/kg/j). Chez le nourrisson de moins de 6 mois, l’huile de paraffine est le traitement de choix. Utilisation d’une eau particulière L’eau d’Hépar® est souvent utilisée en cas de constipation chez le petit nourrisson en raison de l’effet laxatif du magnésium. Il faut rappeler que sa composition ne répond pas aux recommandations de l’AFSA pour une utilisation chez l’enfant en raison de taux de sulfates 10 fois supérieurs aux valeurs préconisées, d’un excès de calcium, de magnésium et de minéraux. Ainsi, il existe des risques potentiels métaboliques et rénaux. Il n’y a qu’une seule étude dans la littérature ayant évalué l’intérêt de l’utilisation d’une eau hyperosmolaire dans la constipation de l’enfant, son administration ne modifiait pas significativement la fréquence des selles par rapport au placebo(5). Ainsi, la consommation d’eau d’Hépar® n’est pas recommandée chez l’enfant, et si toutefois elle est utilisée chez le nourrisson sans pathologie rénale ou métabolique, elle doit être de courte durée et ne doit pas dépasser 3 biberons par jour. L’augmentation de la ration hydrique est-elle utile chez l’enfant ? L’augmentation de la ration hydrique a été évaluée chez l’adulte dans plusieurs études avec une efficacité relative. En pédiatrie, seul le travail ancien de Young et coll. a étudié l’intérêt d’une augmentation de la ration hydrique de 50 % comparée à des apports habituels chez 108 enfants de 2 à 12 ans(5). Sur les 3 semaines de suivi, il n’y avait pas d’amélioration de la fréquence des selles. Ainsi, préconiser des apports hydriques normaux doit rester la règle chez l’enfant constipé. Constipation et lait infantile Les industriels de l’alimentation infantile tentent depuis plusieurs années de développer un lait infantile favorisant l’accélération du transit et le ramollissement des selles. Ainsi, plusieurs formules infantiles sont proposées contenant soit 100 % de lactose, un rapport caséines/protéines solubles < 1, des lipides structurés, de la caroube, des pro- ou prébiotiques. Aucune étude n’a démontré une efficacité formelle de ces différentes formules infantiles, il faut avant tout éviter les changements itératifs de laits chez les nourrissons constipés. Constipation et aliments sélectionnés Certains cas d’allergie aux protéines de lait de vache (APLV) ont été révélés par des constipations sévères du nourrisson. Une étude initiale avait montré à la fin des années 1990 que 68 % des nourrissons constipés âgés de 11 à 72 mois répondaient à l’exclusion des protéines de lait de vache (PLV)(6). Ces données n’ont été que partiellement confirmées par la suite dans un autre essai randomisé, où seulement un tiers des nourrissons avaient une normalisation de leur transit après l’administration d’un hydrolysat de protéines de riz. C’est pourquoi le comité d’experts de l’ESPGHAN recommande une exclusion/réintroduction des PLV pendant 2 à 4 semaines chez le nourrisson restant constipé malgré un traitement laxatif bien conduit(4). De même, en cas de résistance au traitement, une maladie cœliaque doit être envisagée et recherchée par une sérologie, la constipation révélant cette pathologie dans 1 % des cas. Pour les rares hypersensibilités au gluten non cœliaque, comme pour les APLV, une exclusion/ réintroduction du blé de 2 à 4 semaines peut être réalisée. Dans tous les cas, face à un échec de ces mesures diététiques, il est important de reprendre un régime normal. Un régime riche en fibres est souvent recommandé en cas de constipation. Des études épidémiologiques ont montré que les enfants constipés mangeaient moins de fibres. Les fibres sont des hydrates de carbone non digestibles issus des végétaux ou des compléments alimentaires comme le glucomannane. Elles ne sont pas digérées dans l’intestin grêle et arrivent intactes au niveau du côlon. Elles stimuleraient la motricité intestinale par des modifications du microbiote et la production d’acides gras volatiles. De plus, elles favoriseraient la « rétention d’eau » intra-luminale et augmenteraient ainsi le volume fécal. L’intérêt d’un tel régime est contradictoire, car le rôle du côlon est de réabsorber l’eau et non de la retenir, etc. Une revue systématique pédiatrique avec méta-analyse a montré que les laxatifs étaient significativement plus efficaces qu’un régime riche en fibres. La consommation de fibres en complément alimentaire n’est pas plus efficace qu’un placebo(7) et les sociétés savantes de gastro-entérologie pédiatrique européenne et nord-américaine ne recommandent pas l’augmentation de leur consommation chez l’enfant constipé(4). Même si son efficacité est parfois minime, elle ne doit en rien retarder la mise en place d’un traitement laxatif. Enfin, le riz est souvent exclu chez les enfants constipés bien que le riz complet contienne des fibres insolubles. Une étude effectuée chez 3 835 femmes japonaises âgées de 18 à 20 ans avait montré que les plus grosses consommatrices de riz étaient moins constipées que celles en consommant de faible quantité(8). Une étude avec la même méthodologie, réalisée chez des enfants japonais de moins de 6 ans, a retrouvé des résultats quasiment identiques(9).

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