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Profession, Société

Publié le 16 déc 2021Lecture 5 min

Morsures de chien : mieux comprendre pour mieux prévenir ?

Claude BEATA, Docteur vétérinaire spécialiste en médecine du comportement des animaux de compagnie, Titulaire DIE Vétérinaire comportementaliste, Dip ECVBM-CA, Coordonateur du DU de Psychiatrie vétérinaire (UCBL1, Vet Agro Sup, Zoopsy)

Pendant longtemps, toute séquence agressive, chez le chien, était rapportée à la hiérarchie et à la volonté de dominer du chien (ce qui était recouvert par le vocable « dominance aggression » chez nos amis anglo-saxons). Depuis plusieurs années, nous savons qu’il n’en est rien, mais aujourd’hui la loi sur les chiens présumés dangereux (1999, 2008) nous a obligés à la fois à un effort de classification et à un travail d’enquête.

Les séquences comportementales d’agression Nous utilisons depuis la refondation de la psychiatrie vétérinaire la classification de Moyer (1968) adaptée par Pageat (1994). Chez le chien, on distingue : agression hiérarchique ; agression par irritation (2 types) ; agression par peur ; agressions territoriale et maternelle ; agressions intermâles ; agression instrumentalisée ; (agression de) prédation. La description des séquences et leur reconnaissance sont fondamentales à la fois pour le diagnostic, mais surtout le pronostic et la mise en sécurité des différents protagonistes. L’intégrité de la séquence est un élément de pronostic important. Classiquement, la séquence d’agression comporte une phase appétitive (menace), une phase consommatoire (attaque, morsure, griffade, etc.) et un signal d’arrêt avec phase d’apaisement. Lorsque l’agression s’instrumentalise, c’est la phase d’apaisement (puis la phase appétitive) qui disparaît. • Agression hiérarchique ou de défense de ressources Le contexte est généralement clair. Dans les phases initiales, quand la séquence est encore complète, la phase de menace est très prononcée (grognements, babines retroussées, oreilles pointées, pilo-érection). Elle devient de plus en plus dangereuse chez le chien quand elle s’instrumentalise avec disparition de la phase de menace. Dans les stades débutants, le contrôle de la morsure est excellent et les dégâts infligés inexistants ou mineurs. • Agression par irritation C’est sans doute la grande majorité des agressions observées. Chez le chien, la séquence peut être différente en fonction du statut hiérarchique et de la confiance de l’animal. Dans tous les cas, plus il y a d’émotions, moins il y a de contrôle. Les phases appétitives (menace) deviennent peu lisibles et la réponse de moins en moins contrôlée. • Agression par peur Elle se déroule uniquement en milieu fermé avec réaction critique, pas de phase de menace, pas de contrôle et des manifestations organovégétatives simultanées. La confusion est fréquente avec l’agression par irritation d’un animal effrayé. Les conséquences peuvent être dramatiques. • Agression territoriale ou maternelle Les séquence se ressemblent avec une mise à distance de l’intrus et un signal d’arrêt correspondant au franchissement d’une limite virtuelle. Cette agression maternelle peut parfois s’observer en interspécifique avec une défense des petits humains de la maison. • Agression instrumentalisée Elles sont d’autant plus dangereuses que généralement elles ont perdu tout signal annonciateur et sont peu contrôlées. Pour peu qu’elles soient le fruit d’un entraînement, le signal d’arrêt a disparu lui aussi. • (Agression de) prédation Il ne faudrait plus la classer avec les agressions. La nature même de la séquence est très différente. Le but de l’action est la consommation et non pas la mise à distance. Les morsures infligées sont donc très graves et visent à ingurgiter le résultat de la prise en bouche. L’anatomie n’est pas la même, les voies ne sont pas les mêmes, l’objectif non plus, seules les conséquences et la sensation de la victime ont pu conduire à inclure ces séquences dans les agressions. L’enquête Une enquête a été menée par l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et l’association Zoopsy regroupant les vétérinaires psychiatres. Vous pouvez en trouver le rapport total en suivant le lien ci-après : http://invs.santepubliquefrance.fr /publications/2011/morsures_chi ens/index.html Cette enquête sur les facteurs de sévérité des morsures est venue confirmer certains points et a ouvert la discussion sur d’autres. Un des points d’étonnement pendant sa réalisation a été la méconnaissance des services d’urgences de la législation imposant une évaluation comportementale aux animaux ayant mordu, y compris dans le cercle familial. Rappelons l’obligation pour tout professionnel ayant connaissance d’une morsure canine dans l’exercice de ses fonctions de déclarer la morsure à la mairie du lieu de résidence de l’animal. Les résultats de l’enquête ont ainsi pu montrer que : l’appartenance à une race spécifique ne permet de prévoir, ni la morsure ni sa gravité ; Les enfants dans cette enquête présentaient des morsures moins graves que les adultes. On peut imaginer que les enfants sont présentés à l’hôpital dès la moindre effraction cutanée après morsure et, par ailleurs, un des centres était uniquement pédiatrique ; la classe socioprofessionnelle semblait un facteur non négligeable avec un risque en milieu ouvrier ; nous avons pu confirmer que les morsures survenaient plus fréquemment au domicile, étaient plus graves et que dans leur grande majorité pour les enfants causées par des animaux connus au cours d’interactions ; la grande majorité des morsures se révèle être des morsures par irritation, largement devant les agressions territoriales et les hiérarchiques qui ne représentent que 10 % du total. Ces résultats affaiblissent le mythe du chien dominant qui mordrait l’enfant, ceci n’étant ni conforme au répertoire normal de cette espèce, ni à notre réalité clinique. Nouveau panorama des causes de danger À partir du moment où les séquences sont reconnues, il est plus facile d’en mesurer les conséquences. La capacité à inclure ces séquences dans un diagnostic nosographique permet de bien mieux faire le lien avec le danger potentiel. Par exemple, le fait d’ignorer qu’il existe des troubles psychiatriques réels chez le chien, qui coupent l’animal de la réalité, ne permet pas de comprendre le danger que peuvent représenter ces animaux qui ne sont ni dans la catégorie des troubles hiérarchiques, ni dans celle des troubles émotionnels et dont les séquences peuvent conduire à des résultats dramatiques. Le tableau en annexe rappelle que les dangers les plus importants ne sont pas constitués par les agressions hiérarchiques, loin de là, et nous démontre la complexité des agressions canines. Conclusion Le fait de connaître l’épidémiologie des morsures sur enfant et les bases comportementales de l’agression peuvent permettre de mettre en place une prévention beaucoup plus efficace. Il aurait fallu une vraie volonté politique de recueil des données pour aller encore plus loin.

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