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Endocrinologie-Diabétologie

Publié le 02 juil 2020Lecture 11 min

Le diabète de type 2 en pédiatrie

Elise BISMUTH REISMAN, Service d’endocrinologie et de diabétologie pédiatrique, hôpital Robert Debré, Paris

Le diabète de type 2 révélé à l’âge pédiatrique reste peu connu alors que sa prévalence augmente dans le monde entier depuis quelques dizaines d’années. Ses spécificités (présentation clinique, évolution), différentes de chez l’adulte, doivent être connues afin de limiter les risques d’erreurs diagnostiques et de proposer une prise en charge optimale à ces patients à risques importants de complications à court, moyen et long terme.

Le diabète de type 2 représente 90 % des diabètes chez l’adulte. Chez l’enfant, la première cause de diabète reste de très loin la destruction auto-immune des cellules bêta (diabète de type 1), mais on a vu émerger ces dernières décennies des cas de diabète de type 2 (DT2) en lien avec l’augmentation mondiale du taux d’obésité. Même si la prévalence du diabète de type 2 révélé à l’âge pédiatrique semble encore faible en Europe, il est très important de savoir reconnaître cette forme de diabète à la prise en charge spécifique chez l’enfant afin de limiter le risque de complications à court, moyen et long terme chez ces patients. Rare ou pas si rare ? Alors qu’exceptionnel avant les années 1980, l’incidence du diabète de type 2 chez les enfants a augmenté mondialement, en lien avec la hausse de la prévalence de l’obésité. Aux États-Unis, le diabète de type 2 représente actuellement 1/3 des nouveaux cas de diabète chez l’adolescent toutes origines ethniques confondues(1). Dans certains pays asiatiques (Japon, Chine), l’incidence du diabète de type 2 à l’âge pédiatrique soulignant les difficultés de reconnaissance de ces patients dans les cohortes d’enfants diabétiques(3,4). En France, l’émergence puis l’accroissement des nouveaux cas ont été décrits au début des années 2000 dans notre centre et nos données récentes montrent que le diabète de type 2 concerne actuellement 1 adolescent sur 10 arrivant pour révélation de diasurpasse même celle du diabète bète(5,6,7). Des données récentes de type 1(2). En Europe, la prévalence est plus faible, mais nous avons également assisté sur les dernières décennies à l’émergence puis à l’accroissement des nouveaux cas de DT2 dans différents pays d’Europe (Grande-Bretagne, Allemagne, Autriche, Pologne, etc.). Il y a néanmoins de fortes disparités selon le type d’études (données déclaratives sur registre versus études systématiques des cas) dans les DOM-TOM montrent des chiffres encore plus inquiétants(8). Quels sont les principaux facteurs de prédisposition ? La période d’adolescence, le genre féminin, l’origine ethnique non caucasienne, les antécédents familiaux de diabète de type 2 sont des facteurs favorisants pour un jeune en situation d’obésité de développer un diabète de type 2(9). L’obésité est souvent ancienne avec rebond d’adiposité précoce. Il est intéressant de noter que, dans certaines ethnies, le diabète de type 2 peut intéresser des individus à IMC quasi normal ; c’est le cas notamment chez les patients d’origine asiatique(2). La découverte d’un diabète de type 2 avant le début de la puberté reste rare et s’intègre le plus souvent dans un contexte d’obésité syndromique. Physiopathologie Comme chez l’adulte, la physiopathologie du diabète de type 2 repose sur deux mécanismes principaux. Des anomalies de la sensibilité à l’insuline appelée insulinorésistance entraînent un défaut de captation du glucose au sein de la cellule, une augmentation de la production hépatique de glucose et une augmentation de réabsorption du glucose au niveau rénal. Afin de maintenir la normoglycémie, une hyperinsulinémie (augmentation de la production d’insuline par la cellule bêta du pancréas) est nécessaire. Le diabète de type 2 apparaît lorsque le « stress » de la cellule bêta devient trop important, entraînant des altérations fonctionnelles de la sécrétion d’insuline qui devient alors insuffisante pour maintenir la normoglycémie en situation d’insulinorésistance(10,11). La dysfonction bêta-cellulaire se majore avec le temps et de manière plus rapide chez l’adolescent que chez l’adulte diabétique de type 2, nécessitant le recours fréquent à l’insulinothérapie initialement ou secondairement après quelques années d’évolution(12,13). L’insulinorésistance « physiologique » présente à la puberté en fait une période très propice au développement des troubles de la tolérance glucidique chez les sujets prédisposés (obésité, signes cliniques d’insulinorésistance, antécédents familiaux de diabète, antécédents de restriction de croissance in utero avec reprise rapide de poids dans la petite enfance, etc.)(14). Une présentation clinique souvent trompeuse Le diagnostic de diabète peut être fortuit sur un dépistage d’un trouble de la tolérance glucidique (HGPO) en contexte d’obésité, mais, dans la majorité des cas, les patients pédiatriques se présentent avec des signes cliniques d’hyperglycémie. La cétose est présente dans plus d’un tiers des cas et l’acidocétose non exceptionnelle (5 à 25 % selon les études)(16). Cela souligne le retard diagnostique fréquent de ces patients pour lesquels la perte de poids liée au syndrome cardinal (qui peut durer plusieurs mois) peut être vécue de façon positive par eux et leur famille, ne faisant pas penser à une « maladie ». À l’arrivée aux urgences, certains de ces patients ont parfois un IMC quasi « normalisé », d’où l’importance de bien reconstituer les courbes de croissance et de corpulence pour tous les enfants qui révèlent un diabète. Des signes cliniques d’insulinorésistance sont le plus souvent retrouvés tels qu’un Acanthosis nigricans au niveau cutané (figure) ou une spanioménorrhée. Figure. Acanthosis nigricans au niveau cervical chez une adolescente. Dans de rares cas, ces patients peuvent se présenter avec un tableau biologique hyperosmolaire (acidose modérée, mais glycémie extrêmement élevée) de pronostic péjoratif. La consommation importante de sodas pour satisfaire la soif liée au syndrome polyuro-polydipsique est un facteur favorisant. Quelle prise en charge initiale ? À l’arrivée, le diagnostic peut être suspecté (cf. facteurs favorisant ci-dessus) mais certainement pas affirmé. En effet, un adolescent obèse révélant un diabète de type 1 aura une présentation clinique très similaire, avec un risque rapide de carence insulinique totale et donc de cétose et d’acidocétose rapide en l’absence de mise en route d’une insulinothérapie. La prise en charge initiale de ces patients doit donc être guidée par la présentation clinique. Elle sera dans tous les cas hospitalière pour une prise en charge thérapeutique et éducation thérapeutique du jeune et de sa famille. En cas de cétose ou d’acidocétose, une insulinothérapie (SC dans le premier cas, IV selon protocoles dans le second) devra être instituée. En l’absence de cétose, une surveillance des glycémies/cétonémies peut être instituée pendant quelques heures, couplée à des dosages d’insulinémie. En cas d’hyperglycémies importantes, une insulinothérapie SC devra être instituée lors de cette phase initiale. En cas d’hyperglycémies modérées ou de découverte fortuite sur HGPO, l’introduction d’un traitement par antidiabétique oral peut être discutée après avis auprès d’un centre spécialisé(16). L’annonce diagnostique doit être celle d’un diabète (ce qu’on sait) avec nécessité de traitement pour obtenir la normoglycémie. Il n’est pas conseillé de trop discuter le type de diabète à ce stade, car cela peut être source de confusion pour les familles et en raison d’idées reçues fréquentes (« diabète de type 1 grave vs type 2 pas grave et pas d’insuline nécessaire »), mais de dire que les examens sanguins permettront de déterminer le mécanisme du diabète chez leur enfant. L’éducation thérapeutique devra s’adresser à l’enfant et sa famille et aborder tous les aspects de la prise en charge (gestion du traitement, activité physique, équilibre alimentaire, bien-être psychologique). La prise en charge psycho-sociale est très importante pour ces adolescents, souvent victimes de stigmatisations et d’une mauvaise estime de soi en rapport à leur poids face à un entourage familial banalisant souvent la situation. Comment confirmer le diagnostic ? Il n’y a pas de test diagnostique confirmant le diabète de type 2. L’absence d’auto-immunité (anticorps anti-GAD, IAA, IA2, ICA ZNT8) sera un argument fort en contexte évoquant un diabète de type 2(16). Il conviendra néanmoins d’éliminer d’autres formes rares de diabète chez l’enfant et notamment un diabète monogénique (MODY) par l’analyse des antécédents familiaux, le profil glycémique des parents et la recherche des signes associés à ces diabètes (anomalies hépatiques, rénales, etc.) ; une analyse génétique permettra d’éliminer ce diagnostic dans l’état actuel des connaissances. L’étude de la répartition des graisses du patient et le profil métabolique peuvent permettre d’évoquer d’autres dia bètes plus rares encore liés à des anomalies de la gouttelette lipidique responsables d’insulinorésistance (syndrome lipodystrophique). Pour ces raisons, il convient chez tout enfant révélant un diabète d’effectuer la recherche d’autoanticorps anticellule bêta dès le diagnostic et d’échanger sur la conduite diagnostique et thérapeutique à tenir avec un centre spécialisé du réseau maladies rares PRISIS (pathologies rares de l’insulinosécrétion et de l’insulinorésistance) en cas de diabète non auto-immun. À noter également que dans 10 à 20 % des cas, des anticorps peuvent être présents chez les patients se présentant et évoluant initialement comme des diabètes de type 2. Ces formes frontières ont un déclin plus rapide de la fonction bêta (insulinodépendance) et doivent être surveillées pour l’apparition d’autre atteinte auto-immune(17). Traitements Règles hygiéno-diététiques L’augmentation de l’activité physique et le retour à une alimentation équilibrée sont les piliers de la prise en charge(16). La stabilisation ou la perte de poids permettent une nette amélioration des profils glycémiques. L’application des règles diététiques (diminution des produits sucrés à forte teneur énergétique ou en matière grasse et des grignotages, augmentation de la ration de légumes et fruits, diminution de consommation de plats industriels, contrôle des portions alimentaires, éducation à la lecture des étiquettes et emballages) est recommandée pour toute la famille. La limitation du temps d’écran, la préservation d’un temps du sommeil nécessaire sont également des aspects importants. Insulinothérapie Elle est fréquemment nécessaire à la phase initiale, mais également après quelques années de suivi chez les patients sevrés en insuline ou n’ayant pas eu d’insuline à la phase initiale. Selon les besoins, insuline basale seule ou schéma basal-bolus selon les résultats métaboliques. Antidiabétiques oraux Ils seront institués lorsque la suspicion de diabète de type 2 se renforce (auto-immunité négative). Ce traitement permet dans certains cas le sevrage en insuline (à effectuer en hospitalisation et après avis d’un centre spécialisé). La metformine peut être prescrite chez l’enfant à partir de l’âge de 10 ans. Elle permet une diminution de l’insulinorésistance par un effet sur la voie AMK dans le foie, le muscle et le tissu adipeux. Les troubles digestifs sous metformine étant fréquents, les prises doivent être faites au milieu ou à la fin du repas afin de limiter ces troubles et de favoriser le bon suivi du traitement par le jeune ; néanmoins la compliance est souvent modeste. D’autres molécules sont en cours d’études chez l’adolescent, mais aucune n’a d’AMM pour le moment en France. L’approbation récente par la FDA du liraglutide dans cette indication ouvre néanmoins des perspectives pour ces patients. Chirurgie bariatrique Reconnue comme thérapeutique chez l’adulte diabétique de type 2, elle est à l’étude chez l’enfant et pratiquée dans certains centres spécialisés disposant d’un programme d’accompagnement spécifique pour cette population de patients. Les taux de rémission du diabète de type 2 sont importants après chirurgie bariatrique chez l’adolescent, mais la fréquence des carences et des reprises chirurgicales chez ces patients nécessitent de bien poser les indications(18). Quel suivi pour ces patients ? Le risque de complications chroniques liées au diabète et à l’obésité est élevé chez ces patients. Les complications microangiopathiques peuvent survenir précocement, dès la période pédiatrique, et à des niveaux d’hémoglobine glyquée plus faibles que dans le diabète de type 1(19,20). Leur dépistage se fait donc dès le diagnostic puis annuellement (rétinopathie, néphropathie). La cible thérapeutique d’hémoglobine glyquée est inférieure à 7 %, voire inférieure à 6,5 % (16). Une éducation thérapeutique adaptée pourra prévenir les complications aiguës (cétose, hypoglycémie sévère). La prise en charge des comorbidités (dyslipidémie, stéatose hépatique, HTA, apnée du sommeil, etc.) doit être associée à la prise en charge du diabète. Les patients doivent être informés des risques de la consommation de tabac et d’alcool sur leur état de santé. Faut-il mieux dépister les adolescents obèses ? Actuellement les recommandations préconisent de dépister les troubles de la tolérance glucidique après l’âge de 10 ans et/ou après le début de la puberté chez les adolescents obèses avec facteurs de risque (antécédent de diabète gestationnel lors de la grossesse de l’enfant en question, antécédent de RCIU avec reprise de poids rapide dans la petite enfance, antécédents familiaux de DT2 au 1er degré, ethnie à haut risque, présence de signes cliniques d’insulinorésistance)(16). Le rapport coût/bénéfice de ce dépistage en population reste discuté et, en pratique, une minorité d’adolescents révélant un diabète de type 2 arrivent suite à un dépistage, ce qui suggère que ces enfants ne sont pas pris en charge dans le cadre de leur obésité, ou que le dépistage n’est pas fait ni souhaité par la famille. Compte tenu de la fréquence des formes cétosiques au diagnostic témoignant d’une longue évolution des symptômes, une information sur les signes d’hyperglycémie par le médecin traitant pour tout enfant en situation d’obésité est essentielle dans tous les cas afin de sensibiliser ces familles. Conclusion Le diabète de type 2 révélé à l’âge pédiatrique n’est plus une entité rare et il est nécessaire d’y penser devant une révélation de diabète chez un adolescent aux antécédents d’obésité et en l’absence d’auto-immunité anticellule bêta du pancréas en raison des enjeux pronostique et thérapeutique pour ces patients. Il s’agit d’une maladie grave dont le diagnostic est souvent trop tardif ; une perte de poids « inexpliquée » chez un adolescent obèse devrait faire immédiatement évoquer le diagnostic. Contrairement aux idées reçues, la nécessité de recours à l’insulinothérapie est fréquente chez ces patients. La transition et la poursuite du suivi régulier en milieu adulte sont importantes et doivent tenir compte des particularités de cette forme de diabète, caractérisé par des complications précoces.

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