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Comportement

Publié le 04 déc 2016Lecture 6 min

Quand les parents ont peur de leurs enfants…

Marie-France LE HEUZEY, Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, Paris

L'histoire et la littérature font état d’enfants effrayants. Ainsi, Louis de France, duc de Bourgogne, était décrit à 7 ans comme un jeune prince arrogant et violent, qui sera transformé par l’éducation de son tuteur Fénelon ; Gisèle, dans « Quel amour d’enfant » de la Comtesse de Ségur, ou Giorgo, « L’enfant tyran » de Dino Buzzati, terrorisaient leur entourage… En revanche, la littérature médicale et psychiatrique n’est pas très riche en travaux sur ce sujet, qui reste très tabou et semble faire peur aux pédiatres et pédopsychiatres.

Paroles de parents • Madame E., mère de Nathaniel, 14 ans : « Je n’en peux plus, gardez-le à l’hôpital, j’ai peur, il va me tuer… Aujourd’hui, il a brandi le sèche-cheveux branché et a menacé de le jeter dans mon bain… » • Madame A., mère de Joséphine, 15 ans, m’envoie un long mail : « Ma fille m’a récemment giflée à deux reprises… Alors qu’elle était en fugue, elle m’a téléphoné pour me dire qu’elle viendrait nous préparer un bon dîner… C’est ce qu’elle a fait. Pendant le repas, elle a insisté pour que mon mari et moi finissions nos verres de bière. Nous avons été pris de vertiges. Elle avait mis des somnifères dans la bouteille… »   Les situations de tyrannie intrafamiliale L’enfant tyran est plus souvent garçon que fille. Pour une frustration minime ou inexistante, il réagit par des insultes, des menaces, des morsures, des coups, des bourrades, il empoigne les cheveux. Parfois, il utilise des accessoires comme un balai, une tringle à rideau. Il menace de se jeter par la fenêtre ou brandit un couteau de cuisine. Les cibles peuvent être variées : le père, la fratrie, les grands-parents, les animaux domestiques, mais la cible privilégiée reste la mère. Les cibles matérielles, objets de ses attaques, sont essentiellement les choses précieuses de la maison, ou objets indispensables comme les appareils dentaires, les lunettes. Dans le fonctionnement familial, la hiérarchie est inversée : l’enfant tyran décide des horaires, des choix alimentaires, des programmes télévisés, des lieux de vacances ou destinations de sorties, des achats (non seulement des jouets et des jeux, mais aussi de la voiture ou de l’équipement de la maison). Il donne des ordres, fait du chantage.   Le tyran familial est un enfant particulier Il est particulier par sa place : enfant unique ou aîné, souvent enfant précieux, surinvesti car né après un enfant décédé, né tardivement ou après procréation médicalement assistée, après adoption, ou après une période néonatale difficile.   Il a un certain profil de tempérament En psychologie du développement, le tempérament est l’aspect constitutif, héréditaire de la personnalité (alors que le caractère désigne les attributs acquis par l’expérience et les processus d’adaptation à l’environnement). Les traits de tempérament sont observables dès la naissance, et le tempérament des enfants tyrans peut être difficile, défini par l’irrégularité des cycles biologiques, des réponses de retrait devant la nouveauté, une lenteur d’adaptation et des réactions émotionnelles intenses et négatives ; voire un tempérament obsessif qui, aux caractéristiques du tempérament difficile, associe une rigidité, une intolérance au changement, une hyperesthésie sensorielle, un manque d’autonomie, des difficultés de séparation et une intolérance à l’échec. L’autre type est le tempérament anxieux, avec inhibition comportementale, difficulté d’adaptation aux situations nouvelles, besoin de conformisme par rapport aux pairs, et réactivité exacerbée.   Dans certains cas, au-delà du tempérament, l’enfant souffre d’un réel trouble psychopathologique qu’il faut diagnostiquer et traiter Le trouble oppositionnel avec provocation C’est le trouble le plus classique, ensemble symptomatique caractérisé par une humeur colérique et irritable, d’un comportement querelleur, provocateur ou d’un esprit vindicatif : l’enfant s’oppose activement, refuse de se plier aux règles, se met en colère, conteste, embête les autres délibérément. Ce trouble est particulièrement observé dans les familles où la continuité de l’éducation a été interrompue par une succession de personnes différentes, où dans laquelle les pratiques éducatives ont été incohérentes ou négligentes.   Le trouble déficit de l’attention/ hyperactivité Parfois comorbide au trouble oppositionnel, il est caractérisé par des manifestations d’inattention et d’impulsivité, avec ou sans hyperactivité motrice. Les éléments de dysrégulation émotionnelle, l’impulsivité, le besoin de réponses immédiates peuvent donner un tableau de tyrannie intrafamiliale. Les enfants souffrant de troubles anxieux exigent beaucoup de leurs parents, en particulier ceux souffrant d’anxiété de séparation. Terrorisés à l’idée qu’il puisse arriver malheur, soit à eux-mêmes (peur du rapt ou de se perdre) soit à leurs parents, ils sont incapables de rester seuls, exigent une présence constante, parfois ne vont plus en classe, et menacent de mettre fin à leurs jours si on tente de les contraindre.   Le trouble obsessif compulsif Il se définit par l’existence d’obsessions (pensées ou images intrusives) qui entraînent des compulsions telles que des comportements répétitifs de vérification, de lavage, de rangement, pour soulager la détresse causée par les obsessions. Parfois, l’enfant souffre en silence, et même en cachette, mais dans certains cas il exige que la famille participe à ses compulsions, terrorisant l’entourage par ses exigences et explosant en colères si quelqu’un touche ses affaires ou ne se conforme pas à ses rituels.   Les troubles du développement Les enfants souffrant de retard mental peuvent être tyranniques du fait de leur handicap, mais les situations les plus sévères se rencontrent dans le domaine des troubles du spectre autistique comme dans l’exemple de Nathaniel, en raison des difficultés de communication et d’interactions sociales qui sont le socle constitutif de cette pathologie. Chez l’adolescent, les deux situations exposant le plus à la violence domestique sont, d’une part, les troubles du spectre de la schizophrénie, qui nécessitent une prise en charge psychiatrique spécifique et, d’autre part, les troubles des conduites. Les particularités des adolescents agresseurs ont fait l’objet de quelques études. Ainsi celle de Ibabe (2015), qui a comparé trois groupes d’adolescents : ceux responsables d’agression domestique seule (PA), ceux responsables d’agression domestique et d’autres formes d’agression (PA+) et ceux responsables uniquement d’autres formes d’agression (no PA). Les jeunes responsables d’agressions extrafamiliales avec ou sans agression domestique ont des points communs : mêmes situations sociales, mêmes familles nucléaires, ils sont souvent des aînés, souffrent de difficultés scolaires, et d’une faible estime de soi. Alors que les agresseurs domestiques purs (PA) ont un meilleur niveau social, sont plus souvent issus de famille monoparentale et ont une moins bonne autonomie. Ce profil rappelle ainsi le profil des enfants tyrans que nous avons décrits. Comme dans l’observation de Joséphine, la violence contre les parents peut se situer dans un contexte d’addictions. Ainsi une étude réalisée en Espagne, portant sur 981 adolescents, a étudié l’association entre la consommation de substances chez les adolescents et les comportements de violence envers les parents. L’étude s’est déroulée en 3 temps : évaluation initiale (T1), à 6 mois (T2) et à 1 an (T3). Chez les garçons, la consommation de substances à T1 est prédictive de violence verbale à T2, et de violence verbale et physique à T3.   Conclusion Doit-on se référer à l’Ecclésiaste (XIX, 18) : « Châtiez votre fils sans jamais perdre courage, de peur qu’il ne vous réduise à l’affreuse nécessité de souhaiter sa mort » ? Il est difficile de s’y résoudre. Certes, lorsqu’il existe un trouble psychopathologique, il faut le diagnostiquer et mettre en place les soins psychiatriques adéquats, avec selon les cas un soutien à la parentalité. Différentes approches familiales peuvent être proposées : guidance psycho-éducative, groupe de parents, approches cognitivo-comportementales, thérapies familiales, techniques de résistance non violente. En « prévention », il est aussi important de rappeler aux parents que l’éducation doit poser des limites, qu’aimer ne signifie pas tout accorder, et enfin qu’être parent, ce n’est pas être copain. Il est important également de veiller à la cohérence : si papa dit non, maman ne dit pas oui… C’est d’autant plus difficile dans les nouvelles familles dites recomposées où le(la) compagne du parent peut peiner à asseoir son autorité.

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