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Profession, Société

Publié le 10 fév 2017Lecture 6 min

Pourquoi les refus d’interruptions médicales de grossesse sont-ils en augmentation ?

C. LAUNAY-BOURILLON, gynécologue-obstétricien, maison de la naissance, clinique Jules-Verne, Nantes

Les grands progrès de l’échographie prénatale permettent de dépister une majorité de malformations et de pathologies fœtales. Lorsqu’elles sont qualifiées d’anomalies « d’une particulière gravité, reconnues comme incurables au moment du diagnostic », elles peuvent, selon la loi française, aboutir à une interruption médicale de grossesse (IMG), après demande parentale et accord d’un centre de diagnostic prénatal (CPDPN).

Alors que le nombre d’IMG est plutôt stable en France depuis quelques années, le nombre de grossesses poursuivies alors qu’une IMG avait été acceptée, ne cesse d’augmenter. Définition et rappels Plutôt que de « refus d’IMG », on devrait parler d’IMG « non demandée », malgré un pronostic très péjoratif quant aux possibilités de survie ou la lourdeur du handicap à venir. Leur nombre est en forte croissance depuis peu, alors même que les indications d’IMG pour certaines pathologies sont maintenant consensuelles au sein des CPDPN. En France, on réalise environ 7 000 IMG par an, 400 grossesses sont poursuivies, alors que l’IMG aurait été acceptée (3 à 5 % des cas). À l’inverse, seules 10 % des IMG souhaitées par les couples sont refusées alors que dans un contexte où 60 à 70 % des malformations sont dépistées et 35 % d’entre elles aboutissent à une IMG ce taux était de 20 % il y a quelques années. La loi du 4 juillet 2001 a modifié les termes du texte de loi en parlant d’interruption « médicale » de grossesse et non plus thérapeutique. Le délai de l’IMG n’a pas changé puisque celle-ci est possible jusqu’au terme. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a précisé le but du diagnostic prénatal, qui est de donner à la femme enceinte toutes les informations et les explications pertinentes pour qu’elle soit en mesure de se prononcer en connaissance de cause. La loi garantit la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et assure le respect de l’être humain dès le début de la vie. Cependant, l’autonomie de l’être prénatal est liée à celle de ses parents, qui sont les seuls « décideurs » pour le devenir de leur enfant. Expérience au CHU de Nantes Au sein du réseau Sécurité Naissance des Pays-de-la-Loire, environ 44 000 naissances sont recensées chaque année. Il existe 3 centres de diagnostic prénatal, 433 IMG ont été réalisées en Loire-Atlantique en 2014 (30 % des dossiers présentés au staff de CPDPN), et environ 1,1 % des IMG « proposées » n’ont pas été souhaitées par les couples. Ce chiffre est en constante augmentation depuis 2010 (figure). L’hôpital Necker a publié une étude regroupant 75 grossesses « poursuivies » malgré un pronostic très péjoratif entre 2004 et 2007. Dans la majorité des cas (43 cas), la demande parentale était une prise en charge maximaliste de leur enfant, 25 couples ayant fait la demande d’une hospitalisation en soins palliatifs. Tous les enfants sont à plus ou moins long terme décédés. Figure. Nombre de grossesses poursuivies par année : expérience du CHU de Nantes (d’après les données de Winer – N. Banaszkiewicz). Les raisons des demandes parentales La motivation des parents dépend toujours de l’histoire familiale, de la culture et de la religion du couple. L’annonce du diagnostic ou de la malformation a aussi un impact important sur la décision parentale. Ce moment, toujours vécu comme très traumatisant, entraîne de la sidération, de l’incompréhension, de la colère et une douleur morale intense d’autant plus que cette annonce est toujours inattendue. Les parents se retrouvent alors devant un choix difficile, ambivalent : faire le deuil de l’enfant idéal ou poursuivre la grossesse malgré tout. Les parents font alors le plus souvent une demande de prise en charge en soins palliatifs, ce qui leur permettra de « rencontrer » leur enfant, de devenir pour certain parents, et donner du sens à cette courte vie. D’autres raisons personnelles sont aussi évoquées : les antécédents de PMA (procréation médicalement assistée), l’âge maternel, le terme avancé de la grossesse, l’opposition à l’avortement (d’origine religieuse ou non) ou la gémellité. Parfois – et c’est plus gênant –, la notion d’« erreur » médicale possible entraîne un véritable déni de pathologie, où la gravité de la maladie est incomprise ou sousestimée. Certains couples ne seront pas capables de choisir (non-choix). Quelle que soit la demande parentale, elle doit toujours être prise en compte, d’autant plus qu’elle peut changer au cours du temps. Le délai de réflexion prend ici toute son importance. Dans tous les cas, un soutien psychologique est proposé. De façon plus générale, se pose la question de la place du handicap dans la société ; les IMG représentent- elles une certaine forme d’eugénisme ? À l’inverse, le « coût » financier d’une telle décision pose parfois question, les moyens employés, la mobilisation importante des équipes peuvent sembler à certain injustes à une époque où les budgets médicaux sont limités. De la même façon, il peut exister une opposition entre ce qui peut être le bien-être de l’enfant et la satisfaction des parents (les parents seraient « irresponsables », quel est alors le minimum décent pour cet enfant ?). Pour les soignants Face à ce genre de demande, il est indispensable de définir une prise en charge médicale précise, après une décision collégiale de tous les soignants. Un « projet de vie » doit être élaboré, les soins palliatifs doivent être évoqués dès la grossesse et débuter dès la naissance, afin d’éviter les gestes médicaux inutiles. L’objectif est d’anticiper un parcours difficile et d’éviter les « tensions » entre les parents et l’équipe soignante, tout en essayant de respecter ce que les premiers imaginent ou veulent pour leur enfant. La place du pédiatre est centrale dans cette prise en charge multidisciplinaire, qui doit être réévaluée régulièrement. La grossesse, la naissance et la prise en charge précoce Les modalités du suivi obstétrical de la grossesse doivent être discutées en amont : suivi identique, allégé ou intensifié ? L’échange préalable avec les parents est fondamental, afin de bien se mettre d’accord, notamment en cas d’apparition d’anomalie en rapport avec la pathologie fœtale (hydramnios). L’accouchement sera bien défini avant la mise en travail : modalités d’accouchement le plus physiologique possible, dans un lieu choisi par le couple et l’équipe médicale (niveau III non systématique), la séparation mère-enfant devant être évitée. Le risque de mort in utero ou de mort per-natale est évoqué et les décisions en urgence sont à éviter. Dès la naissance, les soins palliatifs sont mis en place, permettant aux parents d’accompagner leur enfant qui va décéder. Ce moment est fondamental, puisqu’il permet aux parents de découvrir leur bébé, de confirmer parfois les anomalies échographiques, même si la réalité peut être traumatisante. L’équipe qui accompagne le couple devra s’adapter et personnaliser la prise en charge : rituel de naissance, présentation à la fratrie, la famille, bébé habillé, mis au sein éventuellement, etc. Et après… Chaque équipe doit développer les soins palliatifs, visant à éviter l’acharnement thérapeutique excessif (l’obstination déraisonnable de la loi), tout en veillant au meilleur intérêt de l’enfant, selon le principe de bienveillance et de non-malfaisance de l’éthique. Cependant, ces notions sont très complexes et variables selon les cultures. La place des parents doit être respectée, sans jugement, même s’il existe parfois une incompréhension avec l’équipe soignante. Dans quelques cas, le retour à domicile peut être envisagé, si la santé de l’enfant le permet. Là encore, il doit être organisé, et les complications anticipées. Conclusion On assiste actuellement à une augmentation des demandes de prise en charge d’enfants qui ont une pathologie létale, grave ou incurable diagnostiquée en anténatal. Les IMG, pour certains, ne sont plus la seule solution possible. Ces demandes peuvent être acceptées, après que le couple ait reçu une information claire, loyale, adaptée et personnalisée. La poursuite de la grossesse doit s’entourer d’une éthique basée sur la bienveillance et le respect de l’autonomie, tout en garantissant le respect de la vie humaine. L’accompagnement par les équipes notamment obstétrico-pédiatriques est toujours personnalisé. Une réflexion éthique se pose alors autour des notions telles que la prise en charge du handicap dans notre société, la place des soins palliatifs en maternité et en pédiatrie, l’obstination déraisonnable, etc.

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