Publié le 17 sep 2021Lecture 7 min
Anémie microcytaire : comment l’explorer ?
Cécile GUILLAUMAT, Service de pédiatrie, CH Sud-Francilien, Corbeil-Essonnes
La découverte d’une anémie microcytaire est courante dans notre pratique et peut être de fortuite. La carence martiale est de loin le diagnostic le plus fréquent, mais il est important de ne pas conclure trop vite et de savoir rechercher les autres causes d’anémie microcytaire. L’origine de la carence martiale doit être explorée lorsque celle-ci est confirmée.
Savoir interpréter un hémogramme chez l’enfant
Chez l’enfant, les valeurs du chiffre de l’hémoglobine, ainsi que celui du volume globulaire moyen (VGM) varient avec l’âge, tout comme ceux des autres lignées. Il est donc impératif d’interpréter les résultats d’un hémogramme en fonction des normes pédiatriques. L’anémie est définie par une baisse de plus de - 2 DS par rapport au taux normal pour l’âge (tableau 1).
Les anémies microcytaires proviennent d’un défaut de production de l’hémoglobine par la moelle osseuse lié à une insuffisance médullaire. Les anémies microcytaires sont donc d’origine centrale Pour réfléchir, on doit donc se baser sur la structure d’une molécule d’hémoglobine. Comme son nom l’indique l’hémoglobine est constituée de chaînes de globines et de molécules d’hème (figure). Les globines sont au nombre de 4 et sont identiques deux à deux. Elles contiennent chacune une molécule d’hème constituée d’une molécule de protoporphyrine avec en son centre un atome de fer. La baisse du taux d’hémoglobine provient donc d’un dysfonctionnement au niveau d’un de ces différents constituants.
Figure. Composition de l’hémoglobine, d’après Pearson Education.
Anomalie du fer
Il peut s’agir soit d’un manque de fer, soit d’un dysfonctionnement de l’utilisation du fer qui rendent l’érythropoïèse inefficace. Le manque de fer appelé carence martiale est de loin la cause la plus fréquente. Un bilan martial est donc indiqué en première intention lors de la découverte d’une anémie microcytaire. Si celle-ci est confirmée, il ne faut pas s’arrêter à son traitement, il faut rechercher la cause de cette carence martiale.
Le manque d’apport de fer est l’étiologie la plus fréquente de carence martiale et ne touche pas que les nourrissons ou les enfants vivant dans un environnement socio-économique défavorable. Il est important de savoir rechercher à l’interrogatoire un manque d’apport en viande, le fer héminique animal étant le mieux absorbé. Une consommation excessive de produits cuits et affinés ou de thé, puissant chélateur du fer, peuvent également induire une carence martiale.
Le manque de fer peut aussi provenir d’un défaut d’absorption lié à certaines pathologies du tube digestif telles que la maladie cœliaque ou les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). On les recherchera par un bilan spécifique sanguin et/ou endoscopique. Un bon interrogatoire permet aussi de mettre en évidence une géophagie ou autres pica, encore fréquente chez l’enfant.
La perte de fer par les saignements chroniques est une autre cause de carence martiale. Il faut bien sûr penser aux pertes digestives, mais la cause la plus fréquente reste, chez la jeune fille, les ménométrorragies qui sont souvent banalisées et minimisées. Pour pouvoir les objectiver et les quantifier, on peut s’aider des « scores d’évaluation objective », type score de Higham.
On met plus rarement en évidence une anémie microcytaire dans les états inflammatoires très prolongés, présents dans certaines maladies inflammatoires (Lupus, Horton, etc.), ainsi que dans certaines néoplasies. Dans ce cas, le fer est en quantité normale, voire augmentée, mais son métabolisme est dévié, ce qui entraîne un défaut de son utilisation par l’érythropoïèse.
Anomalie au niveau des chaînes de globine
Les hémoglobinopathies donnant une microcytose sont principalement les thalassémies alpha et bêta, ainsi que les hémoglobinoses C et E.
Les thalassémies hétérozygotes et les hémoglobinoses C et E, qu’elles soient homozygotes ou hétérozygotes (AC, AE, CC, EE, etc.) sont le plus souvent asymptomatiques et ne donnent pas de syndrome anémique. Seules les thalassémies majeures et les doubles hétérozygoties C et E avec un gène de thalassémie (Cβthal 0, Eβthal 0) ou de la drépanocytose (SC, SE, CE, etc.) donnent une anémie plus ou moins marquée.
L’anémie est présente dès la naissance dans les alphathalassémies majeures ou hémoglobinose H. Le diagnostic est évoqué devant la découverte d’hémoglobine Bart’s lors du dépistage néonatal ciblé de la drépanocytose, ou plus tard dans la vie par la présence d’hémoglobine H. La confirmation du diagnostic est basée sur un test génétique moléculaire. Le début est plus tardif, dans les 6-12 premiers mois de vie, pour les bêtathalassémies majeures et chez les doubles hétérozygoties suscitées. C’est l’électrophorèse de l’hémoglobine qui confirme le diagnostic.
Anomalie au niveau de l’hème (précurseur : protoporphyrine)
Les pathologies liées à l’hème font partie de la famille des porphyries. Ces affections sont caractérisées par la présence, dans l’organisme, de quantités massives de porphyrines, molécules précurseurs de l’hème. Cette anomalie est liée à une activité déficiente d’une des huit enzymes de la voie des porphyrines.
Ces affections sont très rares. Il en existe deux types :
– les porphyries acquises (notamment intoxication aux métaux lourds) ;
– les porphyries congénitales, isolées (par exemple anémie sidéroblastique liée à l’X) ou syndromique (comme le syndrome de Pearson).
Chez l’enfant, la découverte d’une anémie microcytaire sans carence martiale doit faire rechercher une porphyrie.
Le saturnisme, porphyrie la plus fréquente, est une maladie liée à une intoxication aiguë ou chronique par le plomb. Toute présence de plomb dans l’organisme est anormale, celui-ci n’ayant aucun rôle physiologique. C’est une pathologie à déclaration obligatoire, sous diagnostiquée car les signes cliniques sont peu spécifiques. Il faut donc savoir y penser, en particulier chez les enfants qui sont plus exposés et plus vulnérables.
L’intoxication peut se faire par voie digestive (ingestion d’écailles de peinture au plomb), par voie respiratoire (tabagisme passif), par voie cutanéomuqueuse (maquillage khôls) ou par voie transplacentaire. La toxicité s’exerce principalement au niveau des reins, du tissu hématopoïétique et du système nerveux central.
Les signes cliniques sont le plus souvent peu spécifiques tels que de troubles digestifs banaux, asthénies, céphalées, etc. C’est pour cette raison que la maladie est mal ou trop tardivement détectée. Or chez l’enfant, le saturnisme peut être responsable de troubles du développement staturo-pondéral et sexuel, de troubles du comportement, ainsi que de troubles des acquisitions cognitives. Une plombémie de 12 µg/l correspond à la perte d’un point de QI.
Le diagnostic se fait ” par un dosage de la plombémie. Il est important de faire ce dosage sanguin même s’il n’existe pas de critères évidents d’intoxication récente à l’interrogatoire, car le plomb est stocké au niveau des os avec un relargage tardif possible, sa demi-vie étant de plus de 10 ans. L’ancienneté de l’intoxication peut être confirmée par des radiographies des genoux qui montrent des bandes claires métaphysaires correspondant à l’accumulation de plomb au niveau des cartilages de conjugaison.
Le traitement précoce par chélateur du plomb peut permettre une amélioration de l’atteinte rénale et hématopoïétique, mais il a peu d’effet sur l’atteinte neurologique.
Les anémies sidéroblastiques héréditaires correspondent à un groupe hétérogène d’anomalies rares de la moelle osseuse. Elles sont dues à un défaut d’utilisation du fer, d’où une baisse de synthèse d’hémoglobine malgré un bilan martial normal, voire augmenté. Ces pathologies sont définies par la présence, au myélogramme, après coloration de Perls, de sidéroblastes en couronne qui correspondent à l’accumulation pathologique de fer dans les mitochondries.
Conclusion
Une anémie microcytaire est une anémie d’origine centrale. Elle est liée à une anomalie de production de l’hémoglobine par la moelle osseuse. Un bilan martial doit être fait en première intention car la carence martiale est le plus souvent en cause. Sa prise en charge ne doit pas se limiter à un traitement par fer, il faut savoir en rechercher l’étiologie.
Chez l’enfant, la deuxième cause d’anémie microcytaire est due aux hémoglobinoses microcytaires telles que les syndromes thalassémiques, responsables d’une diminution ou d’une absence de synthèse d’une chaîne de globine, ou d’une hémoglobinopathie, responsable d’une synthèse de chaîne de globine anormale.
Plus rarement, on met en évidence un état inflammatoire prolongé, responsable d’une déviation de l’utilisation du fer conduisant à un défaut d’érythropoïèse. Enfin, très exceptionnellement, on évoquera certaines anémies sidéroblastiques sans oublier le saturnisme qui reste encore actuellement une cause trop souvent sous-diagnostiquée.
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