Publié le 15 avr 2021Lecture 10 min
Dysmorphologies : trait familial ou expression d’une maladie ?
Philippe LABRUNE, Clamart
La dysmorphologie s’intéresse aux syndromes rares qui s’accompagnent d’anomalies morphologiques ou de malformations. La majorité de celles-ci sont associées à un retard mental. L’examen de la face, à tous ses étages, ainsi que des extrémités est l’élément déterminant du diagnostic.
Jusqu’à une période proche, l’analyse d’une dysmorphie ne concernait que les enfants après la naissance. Depuis un certain nombre d’années, les progrès de l’échographie anténatale, et tout particulièrement de l’échographie 3D, permettent de plus en plus souvent des diagnostics in utero, et ont ainsi conduit à développer la dysmorphologie fœtale(1).
Par ailleurs, les manifestations cliniques des syndromes génétiques peuvent être différentes et hétéro- gènes, selon les populations au sein desquelles elles surviennent(2). Ainsi, en fonction des ethnies et de leurs caractéristiques morphologiques, les différences cliniques peuvent être importantes et rendre l’analyse difficile. À l’inverse, certains syndromes génétiques ne diffèrent pas selon les ethnies en cause. C’est pointer d’emblée toutes les difficultés de ce type d’examen.
Dysmorphies faciales : quelques définitions
Durant la vie fœtale, l’échographie peut mettre en évidence des anomalies de la forme du crâne et des différents étages du visage (micro- ou rétrognatisme, absence d’os propres du nez, saillie des bosses frontales, etc.). L’examen morphologique des oreilles est également devenu routinier en échographie anténatale, permettant l’analyse de leur forme et de leur implantation chez les fœtus. Des fentes labiales ou labio-palatines sont également régulièrement observées. Les problèmes diagnostiques sont aigus, ce d’autant que les explorations sont limitées à l’imagerie, voire à certains examens de laboratoire.
Après la naissance, l’aspect particulier du visage peut attirer l’attention et conduire à un examen clinique attentif. De même, chez tout enfant porteur d’une ou plusieurs malformations, il faut aller à la recherche d’éléments dysmorphiques au niveau du visage.
L’examen clinique est fondamental et doit être systématique, tout en expliquant aux parents qu’il ne s’agit pas d’une appréciation « esthétique » du visage de leur enfant, mais de l’analyse systématique de particularités qui peuvent orienter vers un diagnostic spécifique.
Il faut donc systématiquement noter, au niveau de l’étage supérieur du crâne, l’implantation, la coloration et la texture des cheveux, l’aspect des cils et des sourcils, et celui des yeux. On peut ainsi déjà noter des anomalies de la pigmentation, l’existence d’un ptosis, d’un hyper- ou d’un hypotélorisme, d’une obliquité particulière des fentes palpébrales. De même, l’existence d’un épicanthus, ébauche de troisième paupière comblant l’angle interne de l’œil, peut orienter vers certains diagnostics. L’examen ophtalmologique est également fondamental car, par exemple, la constatation d’un colobome peut faire évoquer certains diagnostics particuliers.
Au niveau de l’étage moyen, l’examen clinique s’attache à une description précise du nez, du philtrum, de la bouche, de la cavité orale, ainsi que des dents, des oreilles (morphologie, taille, implantation, orientation). Au niveau de l’étage inférieur du crâne, il faut noter une anomalie de taille ou de position de la mâchoire.
Si certaines situations sont bien tranchées et relativement « faciles » lorsque la dysmorphie est soit très spécifique, soit associée à des malformations ou à d’autres anomalies cliniques, cela peut, parfois, ne pas être le cas et on peut être amené à se poser la question de l’existence d’une maladie ou de la présence d’une particularité morpholo- gique, qui se transmet au sein d’une famille.
Il est ainsi possible de prendre quelques exemples pour illustrer ces difficultés d’interprétation.
Quelques exemples
À propos de l’épicanthus
La constatation d’un épicanthus est fréquente et habituelle chez les enfants asiatiques, ainsi que dans d’autres régions du monde. Elle est souvent familiale et l’examen des parents, des frère et sœurs, prend alors toute son importance. Un épicanthus dans ces situations n’a aucune signification pathologique (figure 1 A).
En revanche, l’épicanthus est très fréquent chez les enfants atteints de trisomie 21, mais il est alors important de rechercher des signes associés (autres éléments de la dysmorphie faciale, existence d’une cardiopathie, d’une malformation digestive, données concernant le dossier obstétrical et le suivi de la grossesse) (figure 1 B).
Figure 1. Deux formes d’épicanthus.
A : épicanthus isolé, familial. B : épicanthus dans le cadre d’une trisomie 21.
Un épicanthus est également présent chez les enfants atteints d’une embryo-fœtopathie du nouveau-né de mère alcoolique mais, là encore, il y a d’autres éléments cliniques qui orientent le diagnostic, dont le contexte maternel et l’examen morphologique du nouveau-né (effacement des piliers du philtrum et de l’arc de Cupidon).
Un épicanthus peut également se voir au cours d’un syndrome de Turner mais les données de la surveillance de la grossesse, ainsi que l’examen clinique néonatal peuvent souvent orienter (petite taille, pterygium colli, etc.). Enfin, l’épicanthus peut également être partie intégrante d’un syndrome de Williams (association à une cardiopathie et à d’autres particularités au niveau du visage), ou d’un syndrome de Noonan (en association avec d’autres éléments dysmorphiques, une petite taille, une atteinte cardiaque).
À propos du synophrys
La fusion des sourcils sur la ligne médiane, au-dessus de la racine du nez, définit le synophrys ou monosourcil. Il s’agit d’une variation physiologique normale que l’on peut retrouver chez plusieurs personnes d’une même famille (figure 2 A). Dans certaines cultures et au cours de l’histoire, le monosourcil a été considéré comme un élément physique attractif(3). Ainsi, la célèbre peintre mexicaine, Frida Kahlo, était elle porteuse d’un monosourcil dont l’histoire dit qu’elle en prenait grand soin (figure 2 C). Cette particularité physique est bien visible sur son autoportrait. Dans un article récent, une étude épidémiologique du synophrys a été rapportée(4). Cent-dix personnes avec un synophrys ont fait partie de l’étude, leur âge variant de 4 à 69 ans. L’exis- tence d’un synophrys familial (présence chez le père, la mère, la fratrie, le fils ou la fille) a été constatée dans près de 12 % des cas. Un variant du gène Pax3 a été associé à la présence d’un synophrys dans une autre étude(5).
Cependant, cette variation est également une manifestation clinique d’un certain nombre de maladies génétiques, au premier rang desquelles le syndrome de Cornelia De Lange (figure 2 B) qui associe outre le synophrys d’autres éléments dysmorphiques, un retard de croissance, des malformations des extrémités, un retard mental et moteur. D’autres syndromes peuvent inclure un synophrys dans leurs manifestations cliniques, telles que des anomalies chromosomiques (délétion 3p, duplication 3q, trisomie 13), le syndrome de Waardenburg, le syndrome de Smith Lemli Opitz (déficit en 7-déhydrocholestérol réductase à l’origine d’un syndrome polymalformatif avec retard mental sévère).
Figure 2. Synophrys. A : isolé dans le cadre d’une forme familiale. B : associé à d’autres éléments dans le cadre d’un syndrome de Cornelia De Lange.
C : autoportrait de Frida Kahlo qui avait un synophrys.
À propos du piébaldisme (mèche blanche)
Le piébaldisme est un phénotype caractérisé par des cheveux dépigmentés, parfois associés à des plages de peau dépigmentée(6). C’est une maladie très rare, liée à des anomalies de développement des mélanocytes secondaires, en rapport avec une mutation du proto-oncogène c-kit. Une mèche blanche de cheveux, assez souvent de forme triangulaire, est présente sur la partie frontale du cuir chevelu (figure 3 B). Parfois, le front sous-jacent est également atteint (figure 3 A).
La transmission se fait sur un mode autosomique dominant expliquant l’existence de cas à différentes générations, et celle d’une transmission père-fils.
Le plus souvent, le piébaldisme est isolé et le seul traitement repose sur la protection des plages blan- ches contre l’exposition solaire. Il s’agit donc d’un phénotype relativement bénin, à la limite de la pathologie, mais qui peut être socialement et psychiquement invalidant chez les individus atteints, surtout chez les enfants. Le piébaldisme doit être distingué de l’albinisme qui se caractérise par de larges plages de peau dépigmentée, sans macule hyperpigmentée en leur sein, ainsi que des anomalies oculaires et une atteinte des cheveux plus importante.
Le piébaldisme doit également être distingué du syndrome de Waardenburg qui est une affection transmise sur un mode autosomique dominant comportant une mèche blanche congénitale, une leucodermie avec une distribution ressemblante à celle du piébaldisme, une dystopie des canthi, une hétérochromie irienne et, dans un certain nombre de cas, une perte de l’audition (figure 3 C, p.3).
Figure 3. Piébaldisme. A : mèche frontale blanche isolée avec dépigmentation cutanée frontale (forme familiale).
B : mèche blanche isolée chez un nourrisson (forme familiale).
C : syndrome de Waardenburg, mèche blanche associée à une dystopie des canthi, une racine du nez large et une hétérochromie irienne.
Enfin, le piébaldisme peut être associé, dans de très rares cas, à d’autres maladies telles que le mégacôlon congénital, l’anémie de Blackfan-Diamond.
Il faut répéter l’importance de s’assurer du caractère isolé de la mèche blanche afin d’être certain que l’on est dans une situation de véritable piébaldisme, sans laisser de doute à d’autres diagnostics.
À propos du philtrum
Le philtrum est un repli qui relie la base du nez à la lèvre supérieure, au niveau de l’arc de Cupidon, et qui est limité latéralement par les piliers du philtrum.
Il existe de grandes variations de morphologie du philtrum entre les ethnies (figure 4 A et B). Il existe également de nombreux syndromes malformatifs, s’accompagnant souvent de retards mentaux, qui comportent, comme manifestation phénotypique, des anomalies de forme du philtrum.
Le syndrome le mieux connu et le plus fréquent s’accompagnant de la disparition des piliers du philtrum, de l’amincissement de la lèvre supérieure et de la quasi-disparition de l’arc de Cupidon est le syndrome d’alcoolisme fœtal (figure 4 C et D).
Figure 4. Philtrum. A et B : variations physiologiques de l’aspect du philtrum.
C : syndrome d’alcoolisme fœtal avec effacement des piliers du philtrum,
quasi-disparition de l’arc de Cupidon et lèvre supérieure fine.
D : aspect anténatal (échographie 3D) d’une embryofœtopathie alcoolique,
avec effacement des reliefs du philtrum qui est bombant et lèvre supérieure fine.
Autres variations familiales pouvant s’intégrer dans des syndromes malformatifs
La liste des dysmorphies faciales est très longue et il n’est pas pos- sible d’être exhaustif. Deux autres exemples peuvent également être discutés
La présence de grandes oreilles décollées a très régulièrement une origine familiale et il suffit pour cela de voir les ascendants et, le cas échéant, de consulter les photographies des familles. D’un autre côté, la présence de grandes oreilles décollées est un élément phénotypique fréquent chez les enfants atteints du syndrome de l’X fragile.
Cependant, les grandes oreilles décollées sont, chez les enfants atteints de ce syndrome, associées à d’autres manifestations cliniques (grand front, troubles du compor- tement, retard cognitif) qui permettent de faire le diagnostic assez rapidement, le plus souvent.
Les trois formes d’agénésie dentaire, se différencient principalement en fonction du nombre de dents absentes :
– l’hypodontie (ou agénésie ponctuelle) touche entre 5 et 6 % de la population et se caractérise par l’absence de 1 à 6 dents. Les dents concernées sont généralement la seconde prémolaire du bas, et l’incisive latérale supérieure. Elle est d’ailleurs souvent la cause des « dents du bonheur ». Il s’agit bien là d’une situation à la limite de la pathologie ;
– l’oligodontie (ou agénésie multiple) se caractérise par l’absence de plus de 6 dents et se traduit par d’autres anomalies génétiques (comme des dents de forme et de couleur singulières) ;
– cette pathologie est beaucoup plus rare que l’agénésie ponctuelle (elle ne touche qu’un à 7 enfants sur 100 000 naissances). Les causes de l’agénésie ponctuelle et de l’agénésie multiples sont héréditaires. Mais cette anomalie génétique ne va pas toucher uniquement les dents et peut toucher d’autres organes. Il ne s’agit alors que d’un signe clinique parmi d’autres d’une maladie rare, comme la dysplasie ectodermique qui se manifeste par des anomalies au niveau des ongles, des glandes sudoripares, des sourcils et des cheveux, et qui expose les sujets atteints à des coups de chaleur lors d’épisodes fébriles (incapacité à transpirer).
Enfin, de façon beaucoup plus rare, une personne peut naître sans dent. On parle alors d’anodontie.
Dans tous les cas, l’absence de plus de 6 dents est donc généralement le signe d’une maladie génétique. Il est cependant possible qu’une agénésie dentaire soit isolée.
Conclusion
L’analyse d’un visage nécessite un examen clinique soigneux, rigoureux et attentif. Les variations faciales familiales sont très fréquentes et sont le plus souvent isolées.
Les particularités faciales liées à des maladies sont le plus souvent associées à d’autres éléments dysmorphiques, à des malformations, à des retards mentaux et/ou des troubles du comportement
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