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Apprentissages

Publié le 06 nov 2016Lecture 7 min

La pragmatique, qu’est-ce que c’est ?

G. GUÉROULT*, F. BOIDEIN**, *orthophoniste, **neuropédiatre, service de neuropédiatrie, hôpital St-Vincent-de-Paul, Lille

La pragmatique correspond à « l’interprétation et l’utilisation appropriées du langage en relation avec le contexte dans lequel il apparaît »(1). Lorsque l’on s’exprime, les mimiques, les gestes ainsi que la prosodie (intonation, volume de la voix), jouent un rôle primordial dans la communication et peuvent à eux seuls changer le sens des mots.

Pour F. Armengaud(2), la pragmatique s’efforce de répondre aux questions : – Que faisons-nous quand nous parlons ? – Que disons-nous quand nous parlons ? – Qui parle et à qui ? – Qui parle et avec qui ? – Qui parle et pour qui ? – Comment peut-on avoir dit autre chose que ce qu’on voulait dire ? – Quels usages peut-on faire du langage ? Il est important de prendre en compte le versant expressif et réceptif (tableau 1). La pragmatique, c’est décoder les éléments non verbaux, interpréter le message dans son contexte d’énonciation, et réaliser des inférences. Par exemple, les mots « hier, je, ici » ne peuvent s’interpréter que dans leur contexte d’énonciation. Ces mots arrivent d’ailleurs tardivement dans le langage des enfants, qui ont du mal à effectuer des inférences. Développement typique de l’enfant • Dès le plus jeune âge, 8-9 mois selon Ninio et Bruner(3), le bébé commence à acquérir la capacité à gérer l’alternance des tours de parole. • Entre 14 et 32 mois, on assiste à un développement rapide des actes de la communication(4). • À partir de 2 ans, l’enfant utilise les premières formes de politesse(5). • Entre 3 et 4 ans, il commence à inférer l’information à partir de petits récits(6). • La cohésion du discours s’améliore entre 9 et 12 ans(7). • Jusqu’à l’âge de 17 ans, l’enfant développe sa capacité à expliquer des expressions idiomatiques(8,9).   Dans le champ de la pathologie   Figure. Interprétation littérale : il pleut des cordes.   Trouble du spectre autistique (TSA) Des troubles sévères et durables de la pragmatique (tableau 2) existent dans le cadre du TSA, qui sont permanents et rendent la communication peu efficace. On observe un manque d’appétence à la communication (si ce n’est pour parler de ses centres d’intérêt ou pour satisfaire à un besoin), des difficultés à donner ou à demander une information, à maintenir le thème de l’échange, mais également dans la gestion des tours de rôle, et dans l’adaptation au contexte et/ou à l’interlocuteur. De plus, on remarque une compréhension littérale du message énoncé (figure).   Trouble spécifique du langage oral (TSLO) Dans le cas de TSLO, les troubles peuvent être modérés à légers, le désir de communiquer est réduit mais réel. L’informativité est souvent altérée. L’enfant éprouve généralement des difficultés à relier les informations entre elles et à donner l’information pertinente. La prosodie de l’enfant, lorsqu’il est petit, est souvent inadaptée. Vers 11 ans, il peut avoir des difficultés à accéder au langage élaboré (inférences, implicite, métaphores). Trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA[H]) On observe des difficultés au niveau de la régie de l’échange, c’est-à-dire la gestion du tour de parole (chevauchements fréquents), le maintien du thème (passage du coq à l’âne, digressions), mais aussi des difficultés d’adaptation au contexte. Déficience L’enfant a du mal à s’adapter au contexte et/ou à l’interlocuteur (il se montre régulièrement trop familier). L’informativité est également altérée. Surdité On note des difficultés à gérer l’implicite, les sous-entendus.   Lors d’une consultation L’évaluation des composantes structurales est très importante, mais elle ne suffit pas à rendre compte du degré d’habileté langagière d’un locuteur. Certes, il est plus difficile de communiquer lorsqu’on ne dispose que de catégories phonologiques approximatives, lorsqu’on n’a qu’un maigre lexique, ou lorsqu’on ne peut manier qu’un nombre restreint de structures morpho-syntaxiques. Cela dit, il reste que pour certains locuteurs, enfants ou adultes, ce sont moins les structures de la langue que l’utilisation même du langage qui semblent poser problème(11). Lors d’une consultation, il con vient d’observer : – les conduites de salutation ; – la capacité à entrer en interaction ; – la capacité à maintenir le thème de l’échange ; – la capacité à dire qu’on ne sait pas, à demander de l’aide ; – l’utilisation des gestes pour soutenir le discours ; – la capacité à respecter le tour de parole ; – le choix des mots ; – le volume, le ton de la voix et la prosodie ; – les mimiques et expressions faciales ; – la qualité du contact visuel. Si un doute existe, on prescrira un bilan orthophonique, qui permettra d’évaluer le niveau de compréhension et d’analyser avec précision les aspects pragmatiques. La dimension pragmatique doit être prise en compte par l’orthophoniste au moment du bilan comme tout au long de la prise en charge(12).   Cas cliniques Rémi, 4 ans, est reçu dans le cadre d’un bilan de langage oral pour des difficultés que l’entourage peine à expliquer. Lors de l’entretien d’accueil, on observe des phénomènes écholaliques qui laissent suspecter des difficultés de compréhension importantes. Adulte : « Comment tu t’appelles ? », Rémi : « T’appelles ? », A. : « Tu t’appelles Rémi ? », R. : « Rémi ? » Le contact visuel est fuyant, le regard accroche difficilement. L’agitation motrice se majore en situation de test (lorsque Rémi est en difficulté), il ne parvient pas à manifester qu’il ne comprend pas. Même si on le place dans une situation incongrue : « Dessine-moi un jouruf… » Rémi dessine alors un rond, il ne parvient pas à dire qu’il ne sait pas, ni à faire une demande d’objet (par exemple si on lui demande de faire une croix sur une feuille sans lui fournir de crayon), malgré un vocabulaire suffisant pour le faire. Le bilan laisse apparaître un trouble de compréhension orale important associé à des difficultés pragmatiques (regard fuyant, faible appétence à la communication, peu d’utilisation de la fonction instrumentale et personnelle). Il convient donc de rééduquer la compréhension orale et d’évaluer à distance cet enfant. Si les difficultés pragmatiques sont la conséquence du trouble de compréhension, celles-ci devraient s’estomper parallèlement à l’amélioration de la compréhension. L’évaluation des compétences pragmatiques peut jouer un rôle majeur dans les diagnostics différentiels.   Marie, 10 ans, consulte dans le cadre de difficultés de comportement (difficultés attentionnelles fluctuantes, angoisse, difficultés d’intégration à l’école). Lors du bilan, elle utilise un vocabulaire soutenu qui contraste avec des tournures régressives. À la question : « Tu ne le veux pas ? », elle répond : « Non, tu ne le veux pas ! », en parlant d’elle. Elle donne beaucoup de détails en réponse à des questions simples. Adulte : « Tu fais du sport ? », Marie : « Oui je fais du basket + nom du club, le mardi de 17 h à 18 h 15, non de 17 h 30 à 18 h 15, etc. » Lorsqu’on l’interroge sur ses amis, elle donne leurs prénoms ainsi que leurs noms de famille. Elle sature la conversation par ces détails et ne tient pas compte de l’interlocuteur, part dans de longs discours sans même regarder si l’adulte l’écoute encore ou se lasse de cette conversation. Marie ne parvient pas à s’adapter aux connaissances de l’interlocuteur et à donner les informations nécessaires et suffisantes au bon déroulement de l’échange. On doit fréquemment lui demander de préciser de qui elle parle (par exemple lorsqu’elle dit : « Il était pas là… » sans qu’elle n’ait parlé de cette personne avant). Le contact visuel est fluctuant, parfois correct, parfois fuyant. Ces difficultés pragmatiques (touchant essentiellement la fonction informative) ne sont pas corrélées avec des difficultés de compréhension orale (les difficultés pragmatiques étant plus importantes que les faiblesses de compréhension orale). Dans le cas de Marie, il semble nécessaire de poursuivre les investigations, notamment en lui proposant une évaluation de la théorie de l’esprit (tâche de fausse croyance). Deux hypothèses sont posées : un trouble du spectre autistique (bien que peu d’éléments en faveur de celui-ci soient évoqués par l’entourage familial et scolaire), ou un trouble psychopathologique.

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