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Profession, Société

Publié le 16 nov 2017Lecture 7 min

Le pédopsychiatre et les nouvelles organisations familiales

Marie-France LE HEUZEY, Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert Debré, Paris

En quoi le pédopsychiatre serait-il impliqué dans les nouvelles organisations familiales ? La famille peut avoir des définitions en termes de patrimoine, de culture, de religion, de société, d’affectivité, de coutumes, etc., mais pas en termes psychiatrique. Le métier du pédopsychiatre est de s’occuper de la souffrance des enfants, mais cela signifie-t-il pour autant que les familles actuelles sont plus délétères que les « anciennes » ?

Dans les faits, le pédopsychiatre est sollicité non en cas de « nouvelle organisation » mais en cas de « dysfonctionnements », c’est-à-dire de « désorganisations » familiales. Les compositions des familles accueillant des enfants sont nombreuses et complexes, et ne sont pas stables au cours d’une vie. Les enfants peuvent ainsi connaître plusieurs compositions successives. Une famille monoparentale peut l’être après un décès, une rupture, une maladie, par avantage fiscal ou par choix de vie, etc. Dans une famille homoparentale, dans certains cas, les enfants sont les enfants de ce couple, avec un lien biologique avec l’un des parents, ou pas. Ils peuvent être nés précédemment d’une union hétérosexuelle d’un des parents, etc. Quant aux familles appelées « familles recomposées » ou plus simplement « composées », il est impossible de décrire la multitude de schémas envisageable. Et depuis l’exemple de Thomas Beatie (assigné femme à la naissance en 1974 puis devenu homme après une réassignation hormonale, mais qui, ayant gardé ses organes génitaux féminins, a pu porter ses 3 enfants), combien d’hommes « enceintes » fondent des familles ? L’impact des séparations parentales Les séparations et divorces sont largement banalisés, sujets de diverses comédies cinématographiques, et pourtant ce sont des situations de souffrance pour les enfants, quel que soit leur âge, qui ont des répercussions immédiates et à long terme. Ainsi, une étude portant sur 346 enfants (173 de parents séparés et 173 de parents contrôles) a confirmé les résultats d’études antérieures : la séparation parentale a sur les enfants un impact négatif sur l’ajustement psychologique (scores plus élevés d’anxiété, de dépression, d’hostilité) et sur les relations sociales (retrait social, moins bon contrôle relationnel). Elle retentit également sur la scolarité (moins bon niveau académique, décrochage scolaire) et suscite plus de victimisation. À l’adolescence, il y a un risque majoré de dépression, de consommation plus précoce de tabac, d’alcool et de toxiques. Devenus adultes, les sujets ayant vécu plusieurs séparations familiales pendant l’enfance ont de moins bonnes aptitudes dans l’exercice de leur propre parentalité (hyperréactivité, sensitivité, utilisation plus fréquente de punitions physiques) et de moins bonnes capacités de résilience. Le vécu des enfants après la séparation dépend beaucoup de la qualité de la coparentalité. Le désaccord sur l’éducation et les soins sont très perturbants pour les enfants. S’il y a violence entre les ex-conjoints, voire harcèlement, les conséquences sont encore plus négatives. Néanmoins, le pédiatre doit être prudent dans son écoute, et ne pas se laisser entraîner par une allégation « d’aliénation parentale ». Le syndrome d’aliénation parentale, notion introduite par R.A. Gardner dans les années 1980, fait référence à des situations dans lesquelles un enfant, sous l’emprise de l’endoctrinement d’un parent, rabaisse, dénigre et insulte de manière continue l’autre parent. Ce pseudo-syndrome, très utilisé au niveau juridique dans les divorces conflictuels, n’est pas validé scientifiquement, et n’est pas reconnu par les classifications internationales des troubles mentaux. Le comportement d’un enfant est le résultat complexe de plusieurs facteurs et ne peut pas être attribué à un seul parent. Quant à la garde alternée, elle peut être difficile à vivre pour des enfants qui ont besoin de stabilité, qui ont du mal à s’organiser et à ne pas oublier leurs affaires comme les enfants hyperactifs (acheter les livres en double n’est pas vraiment une solution) ou qui se repèrent encore mal dans le temps et l’espace. La vitesse de rotation doit être raisonnable. Elle est déconseillée avant 3 ans. Les familles homoparentales Elles suscitent de nombreux débats passionnés, généralement sous-tendus par des convictions religieuses, idéologiques ou politiques, mais sans réelles études scientifiquement valides. La revue critique de la littérature, publiée en 2016 par W. Schumm, fait en 120 pages une bonne synthèse des études publiées analysant essentiellement trois grands thèmes : la stabilité des familles homoparentales, l’évolution des enfants adoptés et le devenir des enfants dans différents domaines concernant l’orientation sexuelle, l’estime de soi, l’attachement, l’identité de genre, le comportement, l’impulsivité, la consommation de toxiques, etc. D’après les études, les familles homoparentales seraient moins stables, mais ce qui impacte le plus la santé psychique des enfants, ce sont les transitions multiples activant les sentiments de rejet et les unions mixtes. Le devenir des enfants n’est pas notablement différent des enfants des autres familles et aucune conséquence négative majeure n’a été dépistée. Néanmoins, l’auteur souligne les diversités méthodologiques et les difficultés de comparaison : pas de randomisation, peu d’études d’enfants de parents gays par rapport aux familles lesbiennes, groupes de comparaison mal définis (familles « hétéro-intactes » ou instables, familles recomposées, « fixité » ou « fluidité » de l’orientation sexuelle des parents, etc.). Les enfants adoptés ont un aussi bon ajustement que les enfants adoptés par d’autres familles, mais l’auteur pointe le fait qu’il s’agit généralement de familles de niveau social élevé, adoptant un seul enfant. Peu d’études se sont intéressées à l’évolution de ces derniers à l’adolescence. Au total, les conclusions sont rassurantes mais d’autres études sont nécessaires. Les parents transsexuels Dans son article de 2013 « Pères d’un nouveau genre et leurs enfants », C. Chiland rapporte les données du suivi d’enfants de pères transsexuels, dont les compagnes avaient bénéficié d’une insémination artificielle avec donneur par le CECOS de l’hôpital Cochin. Ces pères sont reconnus hommes par la loi, sans obligation qu’ils aient eu recours à une phalloplastie. Ce projet ayant suscité des réticences (interrogations sur la santé psychique de ces transsexuels, leur capacité à être pères, construction psychique des enfants et en particulier de leur identité sexuée), il avait été discuté en comité d’éthique. Les suivis des enfants étaient prévus en fin de 1re année, puis tous les deux ans. Entre 2000 et 2010, 42 enfants (28 garçons et 14 filles) sont nés de 29 couples et, fin 2010, 24 enfants avaient été suivis. Ces couples sont stables, ces pères se conduisent en pères compétents, s’identifiant aux valeurs masculines et paternelles de leur culture. Les enfants suivis se développent normalement et se sentent être des garçons ou des filles en accord avec leur sexe biologique. Le suivi de ces enfants se poursuit encore actuellement mais n’a pas fait l’objet pour l’instant d’une nouvelle publication. Les familles monoparentales Les études de cohortes de familles monoparentales, en général de mères seules, insistent généralement sur les difficultés de santé physique et psychique des enfants tant par le biais de la baisse du niveau socio-économique que par l’isolement de la famille et le sentiment d’abandon des femmes. Les études s’intéressent en effet aux mères seules après « abandon » (deuil, séparation ou divorces). Une étude récente au Royaume-Uni a comparé les enfants âgés de 4 à 9 ans, nés après insémination par donneur, de 51 mères « solo » par choix à ceux de 52 couples hétérosexuels. Les mères « solo » ne se différencient pas du groupe de comparaison en termes d’anxiété, de dépression ou de stress lié à la parentalité. Il n’y a eu ni différence entre les enfants, ni dans les interactions mères-enfants. Il y aurait même moins de conflits rapportés dans les familles monoparentales. Il serait néanmoins intéressant de connaître l’évolution ultérieure particulière à l’adolescence.  “ Le danger psychique est majeur pour les enfants de famille sans toit” Autres familles Les familles sans domicile fixe Les enfants de familles sans toit sont exposés à de nombreux obstacles sanitaires tant dans leur santé physique que psychique. L’enquête ENFAMS (Enfants et familles sans logement) a étudié de janvier à mai 2013, 343 enfants âgés de 4 à 13 ans, vivant à Paris sans logement. Même si le vécu des enfants étaient différents suivant les pays d’origine, on note un haut niveau de troubles émotionnels et comportementaux, de problèmes de sommeil, de surpoids, et nombreux étaient ceux qui avaient été victimes d’agression ou de harcèlement. Le danger psychique pour ces enfants est majeur. Les familles d’accueil Sans mettre en cause la qualité des familles d’accueil, il s’avère que les enfants « placés » ont par rapport à une population générale, en contrôlant les niveaux socio-économiques, une plus mauvaise santé physique (asthme, problèmes de vue, d’audition) et psychique avec plus de troubles des apprentissages, plus de troubles anxieux et dépressifs, de troubles du comportement (troubles du déficit de l’attention et autres). En conclusion Les familles avec enfants sont plurielles et un même enfant peut connaître dans sa vie plusieurs structures familiales, parfois avec sa fratrie, parfois tout seul ou avec une nouvelle fratrie. Et ce sont les ruptures, les abandons, les séparations qui impactent le plus la vie psychique des enfants. Le bon développement d’un enfant dépend donc du bon fonctionnement de sa famille plus que de sa structure.

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