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Pédiatrie générale

Publié le 18 jan 2018Lecture 9 min

L’alimentation « idéale » des moins de 1 an

Olivier MOUTERDE, Unité d’hépatologie, gastroentérologie et nutrition pédiatrique, CHU de Rouen et Université de Sherbrooke, Hôpital Charles Nicolle, Rouen

Au risque d’enlever des illusions aux lecteurs, il sera difficile, et douloureux par certains côtés, mais crucial de répondre à la question de l’alimentation idéale du moins de 1 an.

Difficile car les connaissances scientifiques doivent progresser encore dans ce domaine très complexe : 3 acides gras essentiels ou semi-essentiels, 12 acides aminés indispensables, 14 vitamines et minéraux, etc. Dans le lait de mère, on dénombre 200 oligosaccharides, etc. dont la signification physiologique est largement inconnue. Les quantités optimales selon l’âge de chacun des éléments de l’alimentation restent à définir, pour chacun isolément et proportionnellement aux autres, en tenant compte de leur biodisponibilité de leurs interrelations. Par ailleurs entre les connaissances scientifiques et le lait ou l’assiette, il y a de nombreux paramètres qui influencent la pratique : la culture, l’opinion des parents, de l’entourage, des médecins traitants, des forums internet, etc. Il ne suffit donc pas que la science progresse pour que ce progrès se retrouve dans la pratique ! Douloureux car on ne peut croire à la magie. Il n’existe plus rien sur terre qui ne soit contaminé, les végétaux ont leurs propres défauts comme les aliments d’origine animale, y compris le lait maternel. Le bio, le végétal et toutes les formes de régimes plus ou moins décalés, promus parfois de façon fanatisée et aveugle peinent à prouver un intérêt décisif, éthique ou sanitaire alors qu’ils font courir parfois des risques de carences graves. L’idéal est donc variable selon les époques et les écoles, mais ne sera jamais atteint. Crucial car comme chacun le sait la première année est l’âge de multiples acquisitions : poids, taille, développement des organes dont le cerveau, développement des fonctions physiologiques, programmation métabolique de certains paramètres, mais aussi découverte des aliments et des facteurs relationnels autour de l’alimentation. Quoi qu’il en soit, surtout pas de déprime ! La science avance, les experts travaillent, la durée de vie augmente et la contamination par des polluants a tendance à diminuer. La nutrition est un grand enjeu pour l’avenir de l’humanité ! Les recommandations sont là pour mettre des balises, qui peuvent se déplacer avec le temps, souvent de façon modeste. Elles délimitent ce qui est néfaste ou dangereux, conseillent ce qui est le mieux en regards des connaissances acquises. Elles doivent laisser une liberté en fonction de l’opinion, de la culture et des souhaits des parents. Ce texte n’abordera pas l’alimentation du prématuré, et n’entrera pas dans les détails des conseils de diversification, qui sont abordés par ailleurs dans cette revue. Premier idéal : la relation à l’alimentation L’alimentation pourrait être définie comme « un plaisir paisible et convivial, acquis avec un équipement adéquat en réponse à un besoin vital ». Se retrouve dans cette définition, dont chaque mot est pesé, l’importance de répondre aux besoins et la progression de l’acquisition. Si de nombreuses recommandations existent sur les apports nutritionnels et la date de leur introduction, les parents sont souvent désarmés devant la manière de donner à manger, la réaction à avoir quand l’enfant paraît refuser, quand il pleure, quand il a moins faim ou, plus tard, lorsqu’il demande à choisir, etc. L’alimentation n’est pas seulement le fait de donner et recevoir à manger, mais la rencontre de deux personnes autour d’enjeux et de paramètres multiples. Qu’a vécu la personne qui donne à manger ? Comment va-t-elle réagir si l’enfant grimace ou refuse, avec quelle arrière-pensée ? Certains parents feraient tout pour que leur enfant mange : chanter, forcer, changer le menu, etc., de crainte qu’il ne tombe malade ou par angoisse de ne pas remplir son rôle de parent. L’anorexie du nourrisson peut débuter dès les premiers mois de vie quel que soit le mode d’alimentation, en cas d’insistance indue. Les difficultés alimentaires chez l’enfant en bonne santé débutent plus souvent lors de la diversification. Le problème devient particulièrement aigu à l’âge de la néophobie, qui se trouve au-delà de la période abordée ici. Les dernières recommandations de l’ESPGHAN(1) sont très peu détaillées sur ce point : les parents déterminent l’horaire, la disponibilité entre les repas, le contenu et la relation à l’alimentation, ce qui influence les préférences et la régulation de l’appétit. L’alimentation superflue ou comme récompense est déconseillée. Que proposer ? L’alimentation devrait respecter la définition ci-dessus, sans insistance mais avec des règles, des parents détendus et  solidaires devant un enfant qui a le droit de ne pas avoir faim ou d’afficher ses préférences tout en étant guidé vers un rythme, une diversité et une alimentation adaptée à l’âge. Deuxième idéal : le lait Le lait brut et plus ou moins écrémé de vache et de tout autre mammifère est inadapté à l’alimentation du petit de l’homme pendant la première année de vie et idéalement jusqu’à 3 ans. Chaque espèce a ses priorités, le veau doublant par exemple sont poids très rapidement alors que le nourrisson fabrique, lui, du cerveau. Le lait maternel est l’alimentation idéale pour le nourrisson, de façon exclusive si possible jusqu’à 4 voire 6 mois. En fait « le lait maternel » type n’existe pas tant sa composition varie en permanence selon le sein, l’heure, le jour, le déroulement de la tétée. Ses bienfaits physiologiques sont connus. Même si elles ne peuvent rivaliser avec le lait maternel, les préparations infantiles sont un substitut acceptable, de composition contrôlée adaptée aux besoins nutritionnels des nourrissons. Le mot « préparation » est important, certains produits inadaptés imitant l’aspect des boîtes de préparations, entretenant une ambiguïté. Résolument les préparations pour nourrissons (jusqu’à la diversification), de suite (jusqu’à 1 an voire 3), puis de croissance (préparation pour enfant en bas âge) sont recommandées. Les préparations à base de soja sont déconseillées, par le comité de nutrition de la SFP(2), au moins jusqu’à 6 mois. Comment choisir une préparation ? Trois critères paraissent se détacher, le premier étant le seul décisif : – elle devrait contenir des acides gras poly-insaturés (AGPI-LC) à longue chaîne, dont du DHA (acide docosahexaénoïque, AGPILC de la famille oméga-3). Recommandés en France depuis 2010 par l’ANSES (www.anses.fr), ils font maintenant partie des composés obligatoires dans les préparations, avec effet seulement en 2020(3). Dès maintenant, les préparations en contenant sont à privilégier ; – le fer est un élément important, uniquement pour les enfants à risque de carence (anciens prématurés, hypotrophes), allant du simple au double dans les préparations. La tendance est plutôt de le diminuer dans les préparations infantiles(4) ; – un taux bas de protéines a probablement un moindre impact physiologique. Il s’agit plus à l’heure actuelle d’un élément de réflexion que d’une recommandation(5). Lorsque la préparation est thérapeutique (dans l’allergie, par exemple), elle doit avoir fait la preuve de son efficacité. L’utilisation d’un tel lait dit « HA » chez l’enfant à risque est recommandée, en particulier par le comité de nutrition de la SFP(6). Cette recommandation est toutefois discutée. D’autres composés sont autorisés, dont la présence n’est pas un critère de choix pour l’EFSA(7) : nucléotides, taurine, pré-/prosymbiotiques, lipides structurés. L’ajout d’amidon ou de caroube a un effet prouvé sur les régurgitations simples du nourrisson. D’autres composés (lactose, protéines solubles/caséine, pré-/ probiotiques, etc.) en plus ou moins grande quantité expliquent le grand nombre de préparations tentant d’améliorer les troubles fonctionnels, souvent sans aucun argument scientifique. Troisième idéal : la diversification(1) Ses enjeux sont abordés par ailleurs. Disons qu’elle doit avoir lieu entre 4 et 6 mois avec une variété maximum (dont les aliments amers), y compris pour l’œuf, chez l’enfant à risque allergique. Le gluten peut être introduit en quantités progressives de 4 à 12 mois. Les fruits et légumes mixés et la viande débutent, puis les textures grenues à partir de 9 mois. Citons une restriction concernant le miel (1 an). Les autres idéaux (?) Sans lait de vache = idéal ? Il existe une mouvance « anti-lait de vache », répandue dans certains ouvrages, des sites et forums internet avec des arguments parfois de l’ordre du délire : « Le lait de vache est un mélange de colle, d’hormones et de pus » ou « La caséine est une colle qui encrasse l’organisme ». La revue des données scientifiques montre qu’il s’agit d’un aliment de haute valeur nutritionnelle à moindre coût(8). À côté du lait de vache, le lait de chèvre peut servir de base à une préparation. Plusieurs fabricants sont sur le marché (attention, le terme « préparation » doit figurer sur la boîte !). Ces laits n’ont pas d’avantages particuliers autre que de changer d’espèce animale, ils ne contiennent pas à l’heure actuelle d’AGPI-LC. Le risque de la mouvance anti-animal est que certains nourrissons reçoivent des jus végétaux inadaptés. Végétal = idéal ? Il serait faux de dire cela, les végétaux ont leurs propres inconvénients et leurs propres contaminants chimiques potentiels. L’ESPGHAN déconseille, par exemple, les jus à base de riz du fait de leur teneur en arsenic(1), le comité de nutrition de la SFP le soja du fait de la présence de phyto-œstrogènes, etc.(2). Les protéines végétales ont par ailleurs une moindre qualité nutritionnelle et doivent être ingérée en plus grande quantité. Il existe une interférence entre certains de leurs composés et l’absorption de micronutriments comme le fer. En cas de choix d’une alimentation végétale pour le jeune nourrisson, il faut utiliser toujours une « préparation », les jus végétaux vendus par ailleurs étant très dés- équilibrées et faisant courir aux enfants des risques de carences graves. Le soja étant déconseillé, il ne reste que le riz, avec une seule préparation contenant des AGPI-LC. Avec la diversification et la diminution de la prise de préparations, le régime végétalien devient potentiellement dangereux pour les enfants (risque de carences en vitamines B12, A, zinc, calcium, DHA, énergie, fer), le régime lacto- ou ovo-lactovégétalien demande à être strictement contrôlé par un professionnel (fer, zinc, vitamine D, DHA). Ne pas respecter cela peut avoir des conséquences sévères, incluant retard cognitif irréversible et décès, insiste l’ESPGHAN(1). Bio = idéal ? Malheureusement plus rien n’est totalement indemne de contaminants dans le monde. Des en quêtes, accidents et polémiques récents le montrent bien. Une grande étude menée par l’ANSES(9) sur 670 substances, a relevé que les enfants de moins de 3 ans sont exposés à 9 contaminants de façon préoccupante, et à 7 qui sont à surveiller. Ces contaminants se trouvent aussi bien dans les produits animaux (dioxine) que les végétaux (arsenic). Ils sont beaucoup plus présents dans le lait de vache que dans les préparations à base de ce lait. Ils tendent à diminuer par rapport aux enquêtes précédentes, et ces données ne doivent pas inquiéter abusivement les parents(5). Les aliments destinés au nourrisson et au jeune enfant sont très contrôlés et offrent une sécurité maximum dans l’état actuel des règlements et de la science, qu’ils soient labellisés « bio » ou non. Il y a potentiellement beaucoup plus de polluants dans des légumes bio maison que dans un petit pot « non bio ». Quelques laits infantiles (soumis aux mê - mes règles strictes que les autres) sont labellisés « bio », seuls certains d’entre eux bio contiennent des AGPI-LC. En conclusion, le bio est probablement utile à la planète, non optimal pour le très jeune enfant en « fait maison » et probablement sans avantage décisif sous forme de préparations et petits pots. La femme enceinte et allaitante est aussi concernée pour son enfant par les contaminants. Il existe des conseils spécifiques en cas d’allaitement et pendant la grossesse. Sans huile de palme = idéal ? L’acide palmitique constitue 23 % des lipides du lait de femme. L’huile de palme n’est pas nocive. Conclusion En conclusion, dans l’idéal, un nourrisson est allaité par une maman qui est aidée pour cela ou reçoit à défaut une préparation, avec AGPI-LC, jusqu’à 3 ans au moins. La diversification peut commencer avec des petits pots, pourquoi pas bio. Son alimentation est un plaisir, mais avec des règles. Il vit dans un monde où les experts travaillent et dont l’avis est prédominant sur les modes et fanatismes, et où les polluants diminuent.

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